Chapitre IIL : La fureur des Léviathans, Partie 2

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 Plus nous nous étions approchés de l'île, plus les rafales de vent étaient puissantes. Cela faisait plusieurs minutes que des voix, relativement floues, semblaient converser dans ma tête, sans qu'elles soient intelligibles. Lorsqu'enfin nous survolions le premier bout de terre où vivaient Noctalya et Gasth, une bourrasque violente nous soufflait et avait presque failli tous nous faire dégringoler. Seule la Hulote, volant depuis de nombreux cycles, avait réussi à compenser la brassée d'air et par la même avait réussi à maintenir son équilibre aérien.

 Avec Tne' nous atterrissions et je déposais Evialg au sol. Les voix qui m'avaient perturbé durant le vol, continuaient de plus belle, et me paraissaient déjà plus claires. Il s'agissait d'une discorde, j'avais interrogé mes compagnons pour savoir si eux aussi entendaient la brimade, mais la seule réponse que j'avais obtenue fut celle de Tne', qui se cogna le front du creux de la main.

 Pourtant, la discussion continuait de s'enflammer, et le débat semblait prendre des airs menaçants. Une personne luttait seule contre deux autres si j'identifiais les différents tons qui résonnaient dans ma tête. Alors que nous allions pénétrer dans l'auberge frappée par le vent courroucé, je me rendais compte qu'en fonction d'où je tournais ma tête, la brimade semblait plus ou moins intelligible. Les autres rentraient pour se réfugier à l'abri, tandis que je les prévenais que je revenais. Retournant sous la pluie battante et affrontant le vent hurlant, je courais en direction d'où les voix me paraissaient être plus fortes.

  Je me retrouvais rapidement les pieds dans la tourbe visqueuse et puante, mais aucun doute ne se profilait : les mots s'accentuaient plus je m'enfonçais dans la boue, et j'atteignais bientôt les premiers arbres, mal en point de cette jungle qui était pourtant si belle la première fois où nous étions venus sur cette île. Je continuais ma course effrénée à travers les fougères, sautillant nerveusement pour ne pas me prendre les pieds dans une racine qui aurait été bien malvenue et qui m'aurait fait atterrir le nez dans la tourbière.

 Au-dessus de ma tête, le ciel qui s'était noirci de plus en plus durant le voyage aérien, était maintenant un vrai champs de bataille, où le vent mordant répondait aux assauts féroces de la foudre. Cependant, je distinguais maintenant clairement les mots qui étaient prononcés, sans que je ne sache qui étaient en train de les proférer.



 « C'est bien là où nous nous différencions, vous et moi. Si je laissais ma colère prendre le pas sur ma raison, vous seriez morts sans que j'ai à lever un sabot, cela reviendrait à amputer le monde de votre rôle et de votre présence, et je suis contre ça. C'est pour cela que je vous demande de retrouver vos esprits et de cesser immédiatement votre stupide projet. Clamait une première voix.

- Tu nous menaces ? Avait lancé une autre « voix ».

- Je ne vous menace pas, je vous promets seulement, en utilisant votre argumentaire, que si vous ne me laissez pas le choix, je vous réduirai à l'état de cadavre une bonne fois pour toute. »


 Je ne comprenais pas quelle incartade pouvait mériter que l'on soit tué, mais j'allais sûrement bien vite le découvrir. Après avoir traversé une bonne partie de l'épaisse jungle, je n'allais pas tarder à déboucher sur les falaises où nous avions récupéré Evialg ; je quittais la forêt dévastée alors qu'un éclair aveuglant venait de frapper l'île non loin de moi, j'étais percutée de plein fouet par une masse assez solide, dont les extrémités que je ne voyais pas encore semblaient être bien pointues. Ma vue redevenait claire, et entre mes bras se tenait la créature faite d'os et de plantes que nous avions surprise avec Tne', celle qui était en train de dévorer une bestiole lorsque nous traversions cette jungle chargés d'Evialg inconsciente.


  « Tu es vivante ? Entendais-je dans ma tête.

- C'est à moi de te demander ça ! Un coup de foudre que l'on reçoit directement, peu de chance pour en réchapper sans y laisser des plumes ! Dans tous les sens du terme, j'entends. Je me rendais compte de la chose. Attends, mais c'est toi qui me parle ? Adressais-je à l'animal dont j'avais amorti le vol.

- C'est impossible... Je te croyais morte. Il y a longtemps de ça. Continuait de parler la voix, sans que la bouche de l'étrange bête ne bouge. Je ne suis pas étrange, je suis comme toi.

- Ça ne me rassure pas beaucoup ça ! On me dit souvent que je suis bizarre et un peu limitée, alors je ne te le souhaite pas. Mais... Comment tu as deviné que je te trouvais étrange ? M'étonnais-je moi-même.

- Toi et moi sommes liés par la pensée, plus précisément, comme tous les Dieux, tu peux donc comprendre les songes des léviathans qui peuplent Mithreïlid et qui se trouvent à ta proximité, c'est pour ça que je peux entendre ce que tu penses. Pour ma part je suis télépathe de nature, mais quand je converse avec toi, tu le deviens aussi. Tu ne te rappelles de rien ?

- Télé-quoi ? Hé bien... Comme tu l'as dit, je suis belle et bien morte à un moment donné. Alors même si par le biais des rêves, je me suis rappelée de certaines choses de ma vie précédente, beaucoup d’événements ou de détails sont encore flous ou inexistants dans ma mémoire actuelle... Mais un de mes amis m'a déjà parlé de ton existence, puis je t'avais déjà vu, ici même, sur cette île. Même si à ce moment-là, je t'avais juste trouvé étrange.

- Au moins, tu n'as pas été effrayée par mon apparence. Tu n'imagines pas le nombre de touristes et promeneurs, qui sont terrifiés en m'apercevant pataugeant dans la tourbière.

- J'aime bien moi. Je touchais sans me méfier ses bois osseux et pointus, puis les épaisses fleurs qui ornaient son dos. Tu sais, vu mon état quand je sors d'une bataille, je ne peux pas vraiment juger ce à quoi ressemblent les autres. Je pensais néanmoins à Evialg, à son corps sans ride, à sa beauté sans égale, et à ses yeux blancs qui me font craquer à chaque fois que je commence à me perdre dedans, je commençais à me souvenir du goût qu'avait sa chair. Oula, j'avais oublié que tu lisais dans mes pensées, il va falloir que je me calme, sinon tu vas te mettre à entendre des pensées perverses...

- Qui est cette personne, ce Evialg ?

- Ce ? Hahahahaha. Non, Evialg est une femme, je crois que j'en suis amoureuse... Elle fut ma première adversaire de taille et je crois que si elle ne m'avait pas éventrée ce jour-là, je serais toujours en train d'errer toute seule sur Mithreïlid. Les aléas du destin.

- M'en veux-tu ?

- De quoi ?

- De ne pas être venu avec toi lorsque tu as affronté Hérylisandre. Tu ne serais sûrement pas morte si j'étais venu.

- Qui sait ? Ce n'est même pas elle qui m'a tuée, tu sais.

- Comment ça ?

- Je me suis tuée moi-même pour éviter d'être scellée par les sorciers d'Hérylisandre. C'est une longue histoire que j'ai pu vivre en rêvant. Mais ce qui compte, c'est que je sois de nouveau en vie. Non ?

- C'est certain.

- Nous vous dérangeons ? Venait de résonner deux autres voix dans ma tête. Vous voulez peut-être que nous vous laissions tranquille ?

- Sincèrement, oui. Qui que vous soyez. Je soulevais mon regard du Cerf, et scrutais en direction de la falaise, que j'avais ignorée depuis l'éclair aveuglant. Dans le ciel flottait une créature énorme, qui se maintenait en l'air en battant des nageoires, et de l'eau sortait un long cou lisse et recourbé, orné d'un crâne de Dragon lui-même muni d'une gigantesque corne lumineuse. Tant celle qui ressemblait à un Dragon était belle, tant celle qui volait était difforme, puis je ne comprenais pas comment pouvait-elle voler du fait de sa grosse taille.

- La beauté importe peu quand on peut déclencher des tempêtes. Qui es-tu toi aussi pour remettre en question ce que je suis ?

- C'est à moi qu'elle s'exprime la grosse bête ? J'entendais un rire discret qui devait sûrement provenir du Cerf.

- Oui c'est à toi que j'envoie mes pensées, minuscule humaine.

- Non mais j'y crois pas. Je laissais mon léviathan se remettre sur ses quatre pattes, je me relevais et m'approchais du bord de la falaise. Je préfère être minuscule que moche et stupide. Je suis Teïnelyore, Déesse de l'Amour, reine et fondatrice d'Ilyohelm. Nous sommes supposées être liées, c'est d'ailleurs pour ça que je suis ici.

- Teïnelyore est morte, emportant avec elle l'essspoir de tout Mithreïlid. Elle est morte parcsse que ssson léviathan l'avait abandonnée. Elle ne peut donc pas ssse trouver devant nous actuellement. Vous ne pouvez pas usssurper ssson identité. Sifflait dans mes songes le serpent marin.

- Il faut être misérable pour prétendre être un Dieu, alors que l'on est si minuscule. Pathétique humaine.

- C'est du grand n'importe quoi, c'est moi, Teïnelyore ! Je commençais à bouillir : entre les sifflements du ver d'eau qui allaient finir par me donner un mal de crâne infernal, ou le fait que cette créature volante communiquait avec une prétention infâme. Elle vole certes, mais par rapport à un dragon, je trouve vraiment qu'elle ne ressemble à rien du tout.

- Quelle peste, insolente créature incapable.

- Mais quoi ?! Ah oui, c'est vrai que vous lisez dans les pensées. Après c'est votre problème, si vous n'entendiez pas ce que je pense, vous n'auriez jamais su comment je vous imagine.

- Tu vas répondre de ton affront.

- Mais c'est le monde à l'envers, je viens jusqu'ici pour justement trouver les responsables des catastrophes qui frappent Mithreïlid. Et là, vous vous permettez de me juger et de me critiquer, alors que franchement... Je vous prends les nageoires dans la vase, en train de malmener mon Léviathan ET de générer un ouragan qui pourrait engloutir tout le continent. J'étais en colère comme rarement je l'avais été. Vous exagérez ! C'est à moi d'être désagréable pour le coup, surtout si vous n'êtes pas capable de comprendre le mal que vous êtes entrain d'engendrer ! Si mes mots ne suffisent pas à vous raisonner je pense qu'une bonne correction s'impose. »


 Je ne devais pas trop les endommager, mon but était d'arranger les choses, pas de les aggraver, et même si j'avais envie de tailler en lamelles le boudin volant, je devais avant tout limiter la casse. Cependant, je me retrouvais dans une impasse, car des bestioles de cette taille, je me doutais bien que des coups de tête ne suffiraient pas pour les calmer ; si je dégainais Masamune, c'était avec certitude que j'en ferai des rondelles.

 J'étais bien embêtée, j'avais jusque là toujours employer la manière sanglante pour changer les choses, mais là, je ne pouvais plus le faire ainsi. Je me demandais bien comment pouvais-je atteindre le monstre volant sans chercher le corps-à-corps et comment pouvais-je lutter avec le serpent marin sans mettre un pied dans l'eau... Me revenait alors en tête mon affrontement contre Evialg sous sa forme dragonique.

 J'avais autour de moi un grand nombre de rochers et d'arbres abattus, si je réussissais à les provoquer suffisamment, j'allais peut-être pouvoir retourner leurs grandes tailles et leur nombre contre eux. Je laissais mes ailes se déployer et commençais à jeter pierres et troncs en direction des deux léviathans. J'avais conscience de ne pas leur faire grand chose, mais ils étaient entrain de se mettre en mouvement l'un et l'autre, la baleine glissait dans l'air, tout en déclenchant des bourrasques violentes tandis que la créature marine tournait en rond dans l'océan déchaîné, une tornade naissait sous mes yeux, soulevant des trombes d'eau et arrachant des morceaux de falaise sur son passage.

 Si j'arrivais à m'élancer suffisamment vite, je pouvais me glisser dans le souffle et ainsi espérer atterrir poings tendus dans la baleine. Entre la vitesse du vent et ma force, j'arriverais sûrement à la mettre au tapis. Je courais du plus vite que je le pouvais en direction du tube d'air, mais au moment où j'allais m'engouffrer dans le courant aérien, j'avais l'impression de me heurter à un mur qui me soufflait en arrière ; je m'envolais sans même pouvoir battre des ailes pour limiter ma vitesse de projection, je défrichais plusieurs dizaines d'arbre avant d'enfin être arrêtée. Je maugréais, les fesses dans la boue, le dos en compote. Apparaissait au-dessus de ma tête le visage d'Evi', qui m'aidait à me relever.


 « Et bien, tu es partie t'amuser sans moi, c'est ça ? Souriait- elle.

- Si tu savais... Le livre disait vrai, ce sont bien des léviathans qui sont à l'origine des cataclysmes. Je me massais le postérieur, tout endolori par la réception un peu brutale.

- Quand nous avons constaté que tu n'étais pas rentrée en même temps que nous, je suis venue aussi vite que j'ai pu. Le voyage a épuisé Tne', alors il est resté à l'auberge. Mais je suis là maintenant.

- Je pense que tu ne seras pas de trop. Je vais avoir du mal à limiter la casse toute seule.

- Pourquoi ça ?

- Parce que nous ne pouvons pas juste les tuer, cela n'arrangerait rien.

- Vu comme ça, c'est certain que les occire ne changera sûrement pas grand chose. À quoi ressemblent-ils ?

- Il y en a un qui est énorme et qui vole, l'autre c'est un serpent géant qui nage. Le problème c'est qu'ils utilisent leurs pouvoirs, et que ça rend le combat un peu inéquitable.

- Ah c'est eux qui ont fait ça ? Elle tendait le doigt à l'opposé de moi, je me retournais. C'est eux qui ont généré la tornade ?

- Oui, c'est eux.

- Ah... Ils ne plaisantent pas, en effet.

- Nous sommes des léviathans, nous ne sommes pas là pour rire, mais pour gérer Mithreïlid.

- Qui a dit ça ? Se méfiait Evialg en faisant un tour rapide sur elle-même.

- C'est moi. Avançait mon léviathan en sautillant au-dessus des débris de bois. Tu devrais t'éloigner d'elle, Teïnelyore. Je sens une grande obscurité qui émane d'elle.

- Evialg, je te présente mon léviathan. Léviathan, voici Evialg, c'est elle que j'aime.

- Mais il ne parle pas, comment est-ce que je peux l'entendre ? S'étonnait Evi'.

- C'est de la télépita... télétapi... Euh. Comment tu dis déjà ?

- Télépathie.

- Voilà, ça. Un nouveau mot, encore...

- Sauf que je vais me répéter, mais je te conjure de te méfier d'elle. Elle représente le Mal qui attaque Mithreïlid.

- Détends-toi. Elle n'a juste pas choisi sa famille. C'est la descendante d'Hérylisandre. Sauf que sans elle, je n'aurais pas pu renverser Irasandre et reprendre ma cité.

- Puis je n'ai aucune envie d'être aussi mauvaises qu'elles deux. Bon... Nous discutons de ça, mais n'avons nous pas mieux à faire justement ? Commencer par sauver Mithreïlid, par exemple. Grognait Evialg.

- C'est vrai que nous n'avons pas un instant à perdre. Remarquais-je. L'idée que j'avais été de me propulser dans la tornade et de retomber droit dans la baleine volante. Il faut juste que tu me jettes dedans mon amour.

- Tu es sûre que ça ira ? Me demandait-elle légèrement inquiète. Tu es solide certes, mais une tornade, c'est assez violent quand même.

- Je ne vois pas d'autre solution pour le moment... Tu pourrais nous aider ? Adressais-je à mon léviathan.

- Déjà à l'époque tes plans me semblaient un peu... Particuliers. Mais ils ont toujours fonctionné, alors après tout... Venait de s'exprimer le cerf à moitié mort. La distance qui nous a séparés m'a affaibli, je n'ai pas énormément d'énergie à fournir.

- Cela t'aiderait ? Je me munissais d'un caillou qui était à mes pieds, et m'entaillais sur quelques centimètres de peau, laissant quelques gouttes rouges perler de la plaie.

- Sûrement, oui. »

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