Chapitre I : Un bec et des ailes, nous n'en voulons pas, Partie 1

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 Durant cette nuit fatidique, où treize bébés arrivaient sur la surface de Mithreïlid, c'est l'arrivée de l'un de ces treize prodiges qui agite la vie d'une chaumière. Tandis qu'une femme, souffrant le martyr alors que ses contractions se font de plus en plus fortes et qu'elle est obligée de s’aliter sans perdre un instant, son mari s'empresse de faire bouillir de l'eau sur un caisson en fonte ardent et d'apporter une grande quantité de linge auprès de sa douce.

 La pauvre convulse de douleur alors qu'une grande quantité de sang quitte son corps, l'homme enfin à ses côtés, son travail peut commencer ; c'est après de longues heures, de bruyantes respirations et des efforts colossaux, que le mari, aussi épuisé que sa femme par cette situation délicate, peut enfin respirer normalement et sourire, entendant les premiers cris stridents annonçant l'arrivée du nouveau-né.

 Après avoir repris le temps d'inspirer de grandes bouffées d'air, après avoir forcé quelques instants de plus, c'est le visage du père sous le drap qui recouvrait l'entre- jambe de la mère qui constate l’apparition du petit être. Seulement, dans les yeux de la femme, c'est le regard contraint et déçu de l'homme qui finalement s'affiche.



 « Hé bien, que se passe-t-il ? Lui demandait-elle alors.

- Je ne comprends pas... Quelque chose n'est pas normal. Lui répondait-il, alors qu'il enveloppe le bébé dans un tissu propre. Cet enfant n'est pas...

- N'est pas quoi ?! Montre le moi ! S'indignait-elle, sans comprendre la réaction de son mari.

- Oui oui... Il lui tendait alors le refuge duveteux, contenant l'enfant. Je ne sais pas quoi dire...

- Mais c'est... La femme recevait le bébé, et son visage changeait aussitôt d'expression. Mais qu'est-ce-que c'est que ça ? »



 Sous les yeux médusés des nouveaux parents, c'est une frimousse souriante et joyeuse qui se dessine, ornant le corps d'une petite fille, qui possède tout ce qu'il y a de plus normal... si l'on la regarde jusqu'au buste bien entendu. Car au delà des épaules, ce sont deux ailes non formées qui sont à la place de ses bras, et le visage enjôleur du bébé, n'est autre que la face d'un aiglon, muni d'un petit bec encore mou et dont les extrémités de la tête sont pourvues de deux aigrettes blanches et grises. A l'inverse des deux adultes, la petite fille, mi-humaine mi-oiseau, sourit de tout son être, elle bat ses petites ailes chétives, pour se rapprocher de la poitrine chaude de sa mère, cette dernière qui, malgré son manque total d'engouement, permet tout de même au bébé d'atteindre son téton, et la laisse téter.



 « Comment cela peut-il se faire ? A-t-on jamais vu ça ?! S'inquiètait et rageait le père.

- Je ne sais pas quoi dire non plus. Cet enfant est pourtant bien le nôtre. Relativisait la mère.

- Mais pourquoi a-t-il alors cette tête et ces ailes ? Il devrait être normal, comme tous les autres humains, comme toi, comme moi.

- Avons-nous fait quelque chose de mal, d'après toi ? Sanglotait la mère en pressant la tête de son bébé.

- Je ne comprends pas. Nous l'attendions avec une telle joie. Pourquoi devons-nous avoir un enfant anormal ? Que vont dire les autres ? Vont-ils penser qu'il s'agit d'un monstre ?

- Si c'est notre ressenti alors que nous sommes ses parents... Je le pense, oui. Que devons-nous faire d'après toi ?

- Nous devrions l'abandonner. Aussitôt qu'elle dormira, je l'amènerai dans la forêt, et je la déposerai aux Rochers aux Loups. Lançait l'homme d'un ton austère. Elle n'aura pas le temps de souffrir ainsi.

- Tu es sûr de toi ? C'est vrai que je me vois mal élever cette chose... De là à l'abandonner...

- Tout comme toi, c'est un enfant humain que je désirais. Nous n'aurons qu'à...

- Oui, tu as raison, nous pourrons toujours avoir un autre bébé. »



 À ces mots, la femme s'endormait, épuisée, tandis que la petite créature, bientôt repue, allait en faire de même. L'homme, s'armant d'une épée et se couvrant chaudement, embarquait le bébé tout emmitouflé dans ses bras, quittait leur demeure, puis, dépassait le mur d'enceinte en bois du village. Quelques pas seulement après, il pénétrait dans la forêt animée par les bruits de quelques insectes phosphorescents voletant et sillonnée par l'odeur de la nuit. Il ne lui fallut que quelques minutes pour atteindre le lieu où il avait prévu de laisser le nouveau-né, en pâture à des animaux voraces. Le monticule rocheux formé de cinq pierres enchevêtrées les unes sur les autres, s'élevait à quelques mètres au-dessus d'un ruisseau cristallin, la plus haute des roches était illuminée par la lumière des Lunes, formant un halo bleu et mauve.

 L'homme y déposait le refuge de tissu, et à peine l'avait- il posé, que les yeux de l'enfant s'ouvrirent. Le scintillement de la nue se réfléchissait dans les deux globes tout humides, quittant sa torpeur et redécouvrant le premier visage qu'elle avait croisé en arrivant sur Mithreïlid, le bébé sourit, et poussa quelques balbutiements de joie, agitant gaiement une nouvelle fois ses moignons d'ailes en direction de la figure paternelle. Les cris émurent suffisamment l'homme pour qu'il hésite à laisser là le nouveau-né dont l'aspect physique l'avait pourtant dégoûté.


 Cependant, son amour ne fut pas le seul à être convoqué, plusieurs hiboux et chouettes vinrent se poser sur les branches des alentours, portant à l'enfant toute leur attention, les gazouillis du bébé attirèrent cependant d'autres créatures moins bien intentionnées. La pénombre sylvestre laissait apparaître plusieurs paires d'yeux, brillants d'un rouge vif. Les prédateurs quadrupèdes du rocher bien-nommé avaient eux-aussi répondu à l'appel de l'enfant. La meute se rassemblait autour d'un alpha bien plus grand et d'apparence plus massive. Les bêtes allaient fondre d'un instant à l'autre vers le père et l'enfant, il ne fallut que quelques instants avant que l'assaut ne soit donné.

 Alors que l'homme désespéré allait dégainer son épée pour tenter de repousser les bêtes dont les crocs allaient finalement les dévorer tous deux, bien conscient qu'il s'agissait là d'une punition, il savait qu'il ne pourrait sûrement pas survivre et par la-même protéger son bébé. Mais avant que les lames d'os n'aient eu le temps de les atteindre, c'est la nuée d'oiseaux qui fondit sur les loups, toutes serres sorties, crevant leurs yeux, les frappant de furieux coups de bec, les tuant pour la plupart et occasionnant la fuite des survivants.


 Ce n'est qu'une fois la meute repoussée, que les oiseaux de nuit intacts et saufs, reprirent leurs positions initiales, regardant de plus belle le bébé, chantant et hululant. L'homme n'en croyait pas ses yeux, c'était bien la première fois qu'il voyait tant d'oiseaux réunis au même endroit, et il savait qu'un tel hasard ne pouvait pas se produire sans raison. L'enfant qui n'avait pas imaginé que son existence aurait pu s'éteindre quelques instants auparavant, continuait de sourire, ses petits membres tendus vers le ciel étoilé. C'est le cœur alourdi par sa décision hâtive, que l'homme récupérait le nouveau-né, le blottissant contre lui, et retournait sur ses pas, afin de mettre le bébé au chaud. À peine le seuil de la maison franchi , il regarda le marmot, les yeux plein de larmes et dit à voix basse.



 « Je vais t'appeler Hul. Et jamais plus nous ne t'abandonnerons. »

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