Chapitre 2.6 - Retrouvailles
jeremy chapy :
Je restai silencieux pendant que les couloirs de l’hôpital défilaient sous mes yeux. J’étais encore somnolent. Assis dans la chaise roulante, poussé par l’un des infirmiers, j’observai les murs d’un blanc uniforme, ponctués de portes numérotées et d’affiches anodines. Mon esprit, toujours embué, se raccrochait à la seule idée qui importait vraiment : revoir ma fille.
Natali marchait à mes côtés, les mains croisées dans le dos, gardant son attitude professionnelle malgré les regards attendris qu’elle me lançait parfois. Elle semblait soulagée de me voir enfin conscient, même si elle s’efforçait de ne pas le montrer ouvertement.
Une fois arrivés près de l’ascenseur, Natali prit la place de l’infirmier, qui retourna sans doute à son poste.
« Nous devrions retrouver votre fille à l’extérieur. »
« Que font-ils dehors ? »
« Vous le verrez bien. »
Au bout d’un long couloir, on ouvrit une double porte vitrée. Je distinguai alors ma fille au loin, sur le tarmac de l’aéroport, debout, en pleine discussion avec Séraphina… et à ma grande surprise, avec une petite fille qui ressemblait énormément à Elowen. Lorsqu’Iris me vit, son visage s’illumina aussitôt. Elle accourut, laissant tomber son dossier, et se précipita pour me prendre la main.
« Papa… enfin… » souffla-t-elle, les larmes aux yeux.
Je tentai de lever mon bras droit pour la serrer contre moi, mais la faiblesse de mes muscles m’en empêcha. Ce fut donc elle qui se pencha pour me prendre dans ses bras, posant son front contre le mien.
« Je suis désolé de t’avoir fait attendre si longtemps », murmurai-je, la voix tremblante.
« Tant que tu reviens, je peux patienter toute la vie », répondit-elle dans un sanglot mêlé d’un rire.
Je fermai les yeux, savourant la chaleur de ce contact, chassant pour un instant l’ombre de la douleur et des pertes. Oui, j’étais revenu.
« Ah ! Tu t’es bien réveillé », lança Elowen en avançant vers moi, s’appuyant par moments sur une béquille.
« On dirait bien que nos rôles se sont inversés », plaisantai-je avec un faible sourire. « Je suis content de voir que tu te portes bien. Mais que fais-tu seule ici ? »
« Je ne suis pas seule. Je suis avec mon père, là-haut. » Elle pointa son doigt vers le vaisseau qui commençait à descendre et se rapprochait progressivement du sol.
« Ah ah ah… » Je riai péniblement. « Alors comme ça, vous l’avez terminé ? »
« Oui, nous étions justement en train de faire des tests. »
« C’est magnifique, ma fille. »
Je respirai profondément, le cœur gonflé de fierté malgré la fatigue qui menaçait déjà de me reprendre.
Le vaisseau atterrit et je vis Pavel et Daniel sortir, accompagnés de Séraphina qui avait elle aussi quitté son poste. Ils vinrent vers moi pour me souhaiter un bon rétablissement. Chacun semblait vouloir me parler en privé, évidemment. J’imaginais bien pourquoi : Daniel et Séraphina devaient sans doute vouloir me donner leur réponse quant à la suite du projet. Quant à Pavel, je fus surpris de le voir ici à tester le vaisseau. Ma fille m’expliqua que c’était elle qui l’avait contacté pour cette demande particulière. Je la remerciai d’y avoir pensé, et la félicitai pour ce choix judicieux. Toute cette foule de personnes que je connaissais me faisait chaud au cœur, mais hélas, la fatigue reprit son rôle de marteau et m’assomma sans prévenir.
Je me réveillai encore une fois, mais cette fois-ci dans ma propre chambre. Ma fille se trouvait à côté de moi, me tenant la main. J’entendais des bruits et des voix qui venaient de l’atelier, juste à côté.
« J’ai dormi combien de temps ? » demandai-je à ma fille, qui reprenait conscience d’elle-même après avoir somnolé.
« Environ deux heures », répondit-elle en passant tendrement sa main dans mes cheveux.
« Je suis désolé, ma fille… je t’ai interrompue dans ton travail. »
« Papa, tu es bien plus important que n’importe quel travail. » Elle marqua une légère pause pendant que je faisais de mon mieux pour me redresser. « Tout le monde est dans l’atelier actuellement. » Elle rapprocha la chaise roulante du lit.
Je montai péniblement dessus, mais c’était toujours mieux que de rester allongé.
« Qu’est-ce que vous faites dans l’atelier ? »
« Nous discutons du BULTIA, des points à améliorer, et aussi de l’avenir. »
« Je vois », répondis-je, l’esprit encore embrouillé. Je marquai un léger silence avant de lui demander doucement : « Comment vas-tu, ma fille ? »
Elle se mit à ma hauteur. « Papa… » Son regard se mit à fuir, comme si elle cherchait ses mots. « J’ai vraiment eu peur pour toi, cette fois. »
J’attrapai sa main robotique. « Tu sais… tu délirais, et c’était encore pire que la première fois. » Je pouvais voir tes yeux s’humidifier à travers l’écran qui projette ton visage.
« J’étais comme paralysée… je n’ai pas su t’aider », murmura-t-elle, la voix brisée.
Je la pris dans mes bras, essayant de lui transmettre tout l’amour que j’avais pour elle, même à travers son corps mécanique. Elle resta un long moment blottie contre moi, pleurant silencieusement. Tous les mots de réconfort que j’aurais voulu lui dire restèrent bloqués au fond de ma gorge.
Cela prit un moment avant que ses sanglots ne se calment, tandis que quelques larmes coulaient aussi sur ma joue.
Je me souvenais en partie de ce qui s’était passé, mais je préférais laisser ces souvenirs dans l’obscurité de ma mémoire.
« Tu vas mieux, ma chérie ? »
« Non ! » me dit-elle franchement, entre quelques sanglots. « Je ne veux plus jamais revivre ça. »
« Je te comprends… et je dois admettre que moi non plus, je ne pensais pas avoir franchi cette limite. »
Mon corps se mit à trembler malgré moi, comme s’il se souvenait lui aussi de ce qui était arrivé. Ma fille attrapa doucement ma main qui tremblait.
« Je ferai en sorte que cela n’arrive plus jamais à ce point-là », dit-elle, tandis que je posais mon front contre le sien.
« J’espère bien », me répondit-elle avec un sourire encore humide. « Tu veux les voir, ou tu préfères encore te reposer ? »
« Je pense qu’ils ont des choses à me dire… et certainement plein de questions. »
« Certainement. »
« Bien. Alors allons-y. Je les ai déjà fait attendre suffisamment. »
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