Un père aimant

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À mon âge, je n’aurais jamais cru convoler à nouveau si vite. C’est ma fille qui a insisté : « Je ne veux pas que tu restes seul mon petit papa. Maman aurait souhaité que tu te remaries. Et notre Nanou a été si bonne pour nous toutes ces années. Je sais qu’elle t’aime depuis toujours. »

C’est vrai qu’elles s’entendent à merveille toutes les deux. Je me demande même si Eugénie ne préférait pas sa gouvernante à sa pauvre mère. Je ne devrais plus penser à elle comme à la gouvernante. Madame de Saint-Ange va devenir ma femme, la nouvelle marquise. Cela a d’ailleurs fait jaser ! Mais après tout, il s’agit d’une deuxième union. Et elle est encore bien assez jeune pour m’offrir un héritier.

J’avoue que j’aspire surtout à la paix dans ma maison. Je ne suis plus le vaillant gentilhomme que j’étais, et le médecin m’a recommandé le plus grand calme. J’ose à peine le formuler, mais depuis le décès de mon épouse… le foyer a retrouvé sa quiétude d’antan. Je ne suis plus obligé de me réfugier dans mon pavillon de chasse. Les disputes entre ma fille et sa mère étaient incessantes. Maintenant, ma petite princesse est d’une telle douceur ! Elle fait tout pour faire plaisir à sa future marâtre.

Hier, je me suis aventuré jusqu’aux cuisines — lieux que je fréquente si rarement que les marmitons en ont sursauté — et j’y ai trouvé ma fille, appliquée, presque recueillie, penchée sur notre pièce montée. Elle a tant mûri depuis… l’accident.

Elle a en outre pris l’habitude de porter son petit-déjeuner au lit, à celle qu’elle appelle encore affectueusement Nanou. Ce qui m’a le plus étonné, c’est qu’elle a offert sa chambre aux deux filles de ma future épouse. Au début, j’ai refusé, mais elle a argué préférer aménager la mansarde. Les jeunes demoiselles ont parfois de ces lubies !

Notre si prévenante Madame de Saint-Ange lui a fait la surprise d’y accrocher le portrait de feu sa mère, qui était auparavant dans son boudoir. J’ai bien vu à l’expression de ma fille qu’elle était profondément touchée. Elle n’a rien voulu me dire, mais je suis un fin observateur. La douleur se peignait sur son visage délicat. Alors ma délicieuse future épousée l’a serrée tendrement dans ses bras, en lui disant qu’il était important de se souvenir, de ne pas oublier. Et qu’elles étaient liées à jamais par ce tragique accident.

Quand j’y repense… C’est plutôt le mot « stupide » que tragique, qui me vient à l’esprit. A-t-on idée de se pencher comme ça dans un coffre pour trouver une robe, sans prendre le soin de bloquer le couvercle ? Je sais que ma fille s’en veut beaucoup. C’est elle qui avait appelé sa mère à l’aide. Elle culpabilise depuis, c’est normal. Sans compter le choc de voir la tête de sa mère tomber dans la malle, après que le coffre s’est rabattu violemment sur elle. Pauvre enfant. Je l’ai retrouvée hurlante, inondée de sang. Madame de Saint-Ange était arrivée avant moi et la consolait. Je comprends qu’Eugénie veuille changer de chambre.

Mais tout cela est derrière nous ! Que cette nuit de noces me tarde ! Après tant d’épreuves, la vie semble enfin disposée à me rendre justice. La cérémonie achevée, je pourrai tenir ma nouvelle femme dans mes bras. Elle m’a donné un avant-goût du paradis… Si mes appétits devaient se contenter de plaisirs frugaux, je sais que c’est un festin qui m’attend désormais ! Mon vieux cœur en palpite déjà !

Je vais voir ma petite princesse. Comme elle est belle dans sa robe de demoiselle d’honneur. Mais la voilà qui passe le balai !

« Que t’arrive-t-il ? Tu joues à la servante le jour du mariage de ton papa ?

— C’est un gage que m’a donné Nanou. Je suis maladroite, j’ai versé un peu de thé en lui apportant sa collation.

— Comme tu as de la chance d’avoir une belle-mère si soucieuse de ton éducation. Toi qui étais si revêche, te voilà vertueuse et douce comme une agnelle ! J’aimerais connaître son secret ! »

***

Ce mariage fut sompteux. Moins cependant que le suivant. Auquel le marquis ne put assister, faute d'être encore en vie.

***

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