Je préfère prendre un tranZ

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Les Consortiums dirent “Que l’Algorithme soit.” Et l’Algorithme fut. Les machines prirent enfin vie.

Évangile selon l’Algorithme, 1-4.

Il me fallut visionner l’historique de mon servCom pour savoir ce que j’avais fait entre le moment où j’avais quitté Le Colonial et celui où j’avais repris mes esprits devant chez moi. La lumière moins forte du soleil indiquait que le crépuscule approchait. J’étais resté dans les vaps un sacré bout de temps. Le sang dans ma tête tambourinait comme dans une essoreuse. J’avais du mal à garder les yeux ouverts.

Les images enregistrées par Tom me permirent de retracer mon errance de l’après-midi : j’avais d’abord visité un centre de transfert avant de me rendre dans un narcobar puis une boîte de nuit pour terminer dans un magasin de fringues. Au moins je savais d’où venait le nouveau chapeau que je portais. Je ne disposais que des images de l’habitacle de la robocar, mes hologlasses étaient restées éteintes tout ce temps là. Le chapeau mis à part, je ne comprenais pas bien ce que j’avais pu faire dans des endroits pareils. Pourquoi être allé dans un centre de transfert ? Je ne pourrai jamais être un transFé, je n’avais pas les moyens. Et pourquoi être retourné dans un narcobar ?

Décidément le tranZ avait des effets secondaires très gênants. Pourtant il était devenu un compagnon indispensable. Je ne pouvais plus m’en passer. J’allais d’ailleurs devoir récupérer ma dose de médocs pour la quinzaine à venir.

Omar Ayrgin, dit le Farma, résidait dans la partie ouest d’Oumane, le secteur 10, une zone grise. C’est également là qu’il menait ses affaires. C’était un secteur gigantesque, le plus vaste de la cité-état dont la réimpression venait de commencer. Les structures métalliques rouillées des anciens docks ressemblaient désormais à des carcasses de mammifères marins échoués depuis des siècles. Elles finissaient de tomber en poussière au milieu de vastes espaces en friche. Ça et là, des meca3D œuvraient, jour et nuit, à la réimpression de bâtiments de stockage, de transformation ou de livraison. D’ici un an, le secteur 10 deviendrait une vaste zone industrielle, pour l’heure c’était encore un no man’s land potentiellement dangereux. A la tombée de la nuit, il n’était pas rare de croiser des bandes d’improDs en chasse.

La NarcoSynth Corporation était une des nombreuses filiales du consortium SpecieZ. Dirigée par Omar Ayrgin depuis son installation à Oumane elle était la première à disposer d’un complexe industriel entièrement imprimé dans le secteur 10. Sur des dizaines d’hectares et en un mois seulement, des unités de stockage, de transformation et de livraison avait été réimprimés par une flottille de méca3D autonomes qui avaient respecté au millimètre près des plans à la géométrie complexe. La NSC jouissait du monopole sur le commerce de produits pharmaceutiques naturels et synthétiques., à Oumane, dans le Pacifique, en Asie, partout.

Depuis que j’avais découvert le tranZ, mes visites chez le Farma étaient devenues fréquentes ces derniers mois. Mais c’était le prix que j’acceptai de payer pour rester un cul-plat et endurer tout le reste.

Ma robocar franchit sans encombres les quelques kilomètres de no man’s land qui séparaient le secteur 9 de l’entrée du complexe de la narcosynth corporation. Je passais brillamment les tests d’admission et je fus autorisé à garer ma robocar près d’un bâtiment plus à l’écart que je savais abriter les appartements du Farma. Il jouxtait la piste d’envol des drones de livraison long courrier et était aussi laid que les autres. Une transoP à la musculature impressionnante et au sourire d’une blancheur aveuglante me guida à travers une série de couloirs interminables. En guise de conversation je n’eus droit qu’à l’écho de nos pas et au grondement feutré des machines qui œuvraient derrière les murs. Nous traversâmes plusieurs halls déserts et arrivâmes dans un nouveau couloir. Ici on n’entendait plus le grondement des machines.

A partir de là je fus pris en charge par un grand échalas au costume impeccable et à l’allure sinistre d’oiseau de proie, ou de charognard plutôt. Était-ce son apparente absence d’émotion, sa bouche sans lèvres sous son grand nez aquilin, son regard inquisiteur froid comme celui d’un vautour ? Était-ce tout cela à la fois ? Il y avait chez cet homme quelque chose qui allumait en vous tous les signaux d’alerte dont Mère Nature vous avait doté. Je ne parvenais pas à déterminer si j’étais en présence d’un cul-plat ou d’un transoP. Pire, rien n’indiquait non plus qu’il fusse un augmenT. De toute façon, il était clair que ce type avaient les qualités requises pour être le bras droit du Farma. Cela le rendait encore plus dangereux.

- Monsieur Sirce, ravi de vous revoir. Le patron vous attend dans ses appartements.

Le charognard m’accueillit avec tout le respect qui m’était dû et me plaqua contre un des murs du couloir. A chaque visite j’y avais droit. Je m’en était formalisé deux mois plus tôt, lors de notre toute première rencontre, mais il paraît qu’on s’habitue à tout, y compris à l’inacceptable. Toutefois, je prenais mes précautions désormais. Quand je venais voir le Farma, je laissais mon AED et mes hologlasses dans la boîte à gants de la robocar. Le vautour était un nostalgique, il aimait travailler à l’ancienne et n’utilisait aucun scan.

Je vivais pleinement nos retrouvailles. Son avant bras gauche m’écrasa la nuque tandis que son genou appuya sur le creux d’une de mes jambes pour m’immobiliser. Il se mit alors en quête d’objets potentiellement dissimulés partout sur moi. Une sorte de “Où est Charlie ?” à tâtons. Nous étions devenus très intimes Il conclut nos embrassades en extirpant mon badge et mon strapphone. Puis il me laissa seul contre le mur. Il recula, observa ses trouvailles avec une curiosité feinte et presque aussitôt me les rendit.

- Merci pour votre collaboration Monsieur Sirce. Je vous en prie entrez !

Il ouvrit le porte blindée qui menait aux appartements du Farma et m’invita à entrer.

Le président directeur général de la Narcosynth corporation vivait dans un coffre-fort vaste et enfumé. Encens, bougies, cannabis, on brûlait de tout dans les appartements du Farma. C’était comme un décor de vieux film, un mauvais polar du siècle dernier. Pourtant la première fois que j’y étais entré, cet endroit m’avait plu. La lumière produite par d’antiques ampoules à filament y était aussi tamisée que dans un narcobar.

A l’autre de bout du salon, vautré sur un divan gigantesque comme un vieux chat obèse, le Farma caressait les chevelures bouclées de deux adolescents nus aux regards hallucinés allongés à ses côtés. Les cuisses exagérément dodues du PDG leur servaient d’oreillers. Devant eux, une antique table basse en bois recouvert de velours rose foncé et aux côtés plaqués d’argent supportait un service à café en porcelaine. Une des tasses était fumante.

Tandis que le Farma m’invitait à m’approcher j’eus du mal à réprimer un haut-le-cœur devant cette version revisitée d’une nuit au harem. Omar Ayrgin me dégoûtait. Pour le moment j’avais plutôt intérêt à le dissimuler. Derrière moi l’oiseau de proie m’avait suivi et montait la garde devant la porte fermée.

- Waldo ! Quelle bonne surprise ! Entre mon ami et mets-toi à l'aise !

Il avait prononcé ces mots de la même manière qu’on commande un café ou un booSt dans un narcobar. Le Farma était un gros sentimental, j’étais son ami depuis notre première rencontre, vieille de quatre mois. Il avait alors insisté pour que je l’appelle Farma.

- C'est toujours un plaisir de te voir Farma ! déclarai-je, hypocrite, en prenant place dans l'énorme pouf qui lui faisait face.

- Tu es toujours le bienvenu Waldo. Ma maison est la tienne. Tu sais, tu es mon ami. Je le disais encore à mon responsable de la sécurité juste avant que tu arrives. N’est-ce pas Akba que je te le disais ?

Il avait accompagné sa remarque d’un geste tellement maniéré que j’eus l’impression d’être dans une peinture de Gericault. Je m’interdis de pouffer, me contentant de tourner la tête pour apprécier la réponse du vautour. Il avait une bouche encore plus pincée. Il ferma les yeux et se contenta de hocher la tête. C’était un geste réflexe, comme celle d’un chien pendulaire très obéissant sagement posé sur le tableau de bord d’une robocar.

- Tu vois ! Il est important de choyer ses amis, ils valent tous les trésors du monde. Dans mon pays on dit que mille amis n’est pas trop; un ennemi, c’est beaucoup. Pourvu que notre amitié dure toujours Waldo.

Le Farma était turc et je détestai ces salamalecs mais cela faisait partie du jeu. Après tout, ce n’est pas parce qu’on baisse la tête qu’on est soumis. Le Farma aimait entendre ses conneries et elle n’engageait que lui après tout. Mais c’était aussi pour lui un moyen de me rappeler qui il était, comme le ferait un crotale en agitant sa queue.

Omar Ayrgin était le plus haut représentant du consortium à Oumane, un des douze Pontifes. Seuls les membres du SEC le savait. Pour tous les autres le Farma n’était qu’un mafieux local qui trempait dans tout un tas de trafics aussi louches les uns que les autres.

- N’aie crainte Farma. Ta gentillesse et ton honnêteté sont reconnues. Je reste ton obligé.

C’est tout ce que j’avais en stock puisque mon servCom était persona non grata dans son antre. L’endroit était truffé de brouilleurs. En tant que Pontife il y avait droit. Il sourit comme un enfant qui mange sa première friandise. Il chuchota quelques mots dans l'oreille du jeune garçon allongé à sa gauche avant de lui embrasser la joue. Il fit de même avec l’autre garçon. Le premier se leva, le regard toujours dans le vide et sortit de la pièce. Le second s’assit à ses côtés. Le Farma se redressa alors pour s’asseoir comme un énorme ballon que l’on regonfle. Sa carcasse démesurée était recouverte d’un pyjama de soie bleu du plus mauvais goût. C’est tout ce qu’il pouvait porter, je l’avais toujours vu en pyjama. Je ressentis alors toute l’intensité de son regard. C’était un regard aussi noir que du nanocarbone, un regard qui vous engloutissait. C’est ce regard qui vous disait qu’Omar Ayrgin était quelqu’un d’extrêmement dangereux. Le Farma était une caricature mais pas un clown.

- Que puis-je pour toi Waldo ?

Je ne montrais jamais que j’avais peur et par chance le turc n’était pas un augmenT. Un transoP sans doute avec deux foies et deux estomacs mais pas un augmenT. Pas de neuroCam, pas d’amplificaTeur, pas d’audioThèse… rien de tout cela, du moins en apparence. Mais si la peur a une odeur alors il pouvait la sentir.

- La même chose que d’habitude Farma. Mes medocs.

- Ils te font vraiment du bien alors. Je suis tellement content Waldo qu’ils te soulagent.

Je prenais des médicaments depuis qu’on avait remarqué que ma peau était trop blanche, mes yeux trop clairs, et mes cheveux trop blancs. Depuis qu’on avait constaté que mon corps ne produisait pas suffisamment de mélanine et que la lumière du soleil pouvait m’être fatale. Depuis qu’on avait dit à mes parents que j’étais le résultat d’une anomalie génétique, que j’étais un mutant, un monstre quasi aveugle. Depuis ma naissance, depuis toujours. Le regard des autres brûlait deux fois plus. Alors, me protéger des morsures du soleil et de celle des gens devint avec le temps plus qu’un règle de vie, un principe absolu. Tout était bon afin d’y parvenir : crèmes solaires, antalgiques, analgésiques, psychotropes, activateurs de mélanine, boosT, relaX, tranS et solitude. Des transoPérations auraient pu changer tout cela mais quitte à être un monstre, autant l’être avec panache.

La pharmacopée avait considérablement évoluée depuis ma naissance et les drogues autrefois illégales étaient désormais en vente libre. Elles m’aidaient à surmonter mes douleurs physiques, mes souffrances psychiques et mes angoisses existentielles, à accepter ce que j’étais : un albinos.

Depuis peu le Farma m’avait offert la possibilité de calmer tout cela avec une seule pilule. Le tranZ, dernière née de la narcosynth corp, réunissait tous les effets d’un cocktail de tranS, boosT et relaX. Vingt quatre heures de répit dans une seule pilule de la taille d’un ongle. Ils en étaient encore à la période d’essai et la petite pilule triangulaire ne se trouvait pas dans les narcobars ou les pharmacies d’Oumane, aussi je me fournissais directement à la source.

- Oui, ça me fait du bien. Il y a quelques effets indésirables mais je souffre moins, répliquai-je.

- Tu as eu d’autres oublis alors ?

Il utilisait le mot “oubli”, mais le mot “amnésie” convenait davantage. Depuis quatre mois que je prenais ce nouveau produit il m’arrivait d’oublier des pans entiers de certaines de mes journées. Il n’était pas rare de me retrouver dans un secteur sans savoir pourquoi et comment j’y étais arrivé, ou de me lever le matin sans aucun souvenirs de la veille. Pour le moment j’acceptais ces désagréments, en partie parce que le Farma me promettait une amélioration prochaine du produit mais aussi parce que mon servCom colmatait les parties manquantes de mes journées par ses rapports journaliers sauvegardés. Et puis ils n’avaient aucune incidence sur mon boulot, au contraire je me trouvais plus efficace, plus calme et déterminé.

- C’est ça, de nouveaux “oublis”, dis-je.

Je cherchais quoi rajouter quand l’éphèbe à poil aussi défoncé que moi revint avec une petite boîte métallique rectangulaire qu’il posa devant le turc. Celui-ci me regarda avec gourmandise. Je sortis de la poche de ma veste en cuir synthétique une liasse de renminbi que je fis glisser vers lui. Depuis ce matin j’avais dépensé plus du tiers de mon salaire mensuel. Heureusement que tout le reste était pris en charge par le consortium.

- Vingt cinq mille ren comme convenu. En te remerciant.

Je pouvais presque l’entendre saliver. L’adolescent s’était rallongé près de lui en posant sa tête sur sa cuisse. Le second éphèbe, celui qui était resté assis se pencha pour mettre la liasse en sécurité près de la boite métallique qu’il poussa alors dans ma direction. Quand j’attrapai la petite boîte pleine de promesses, son contact froid dans le creux de ma main me fit autant d’effet qu’un tranZ. Je me sentis tout de suite plus calme. Je n’avais plus peur.

- Souhaites-tu autre chose mon ami ? Un café peut-être ? On pourrait parler tranquillement. De ta dernière enquête par exemple.

Cela n’était pas une invitation, l’éphèbe assis m’avait déjà servi une tasse de café aussi noir que le regard de son maître.

- Tu sais recevoir Farma, répondis-je.

- Le Consortium est très inquiet Waldo. Que quelqu’un puisse éliminer comme ça un de nos scientifiques ça n’est pas bon pour notre réputation. Et ce qui nuit à notre réputation nuit à nos affaires et donc à nos intérêts. Les autres nous regardent et attendent notre réaction. Il est essentiel que tous les auteurs de ce crime ignoble soient vite retrouvés. Ensuite il faudra envisager les sanctions. Nous sommes à l’aube d’un événement sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Nous allons coloniser Mars et cela crée forcément des jalousies. C’est une période très sensible. Nous comptons sur toi.

Il me parlait très lentement, comme à un gosse attardé. J’aurai voulu lui faire avaler sa tasse par les trous de nez, mais je sentais le regard du vautour derrière moi et le poids de son flingue même s’il était à sa ceinture. “Calme-toi !” pensai-je, “un fantasme ne doit pas être forcément assouvi”. Maintenant que j’avais ce que je souhaitais, il me fallait un plan.

Primo : lui donner du grain à moudre.

Deuxio : gagner du temps.

Tertio : partir d’ici.

- Nous avons déjà suffisamment d’éléments pour dire que ce meurtre est un crime économique. AmaZing cherche sans aucun doute à se venger de l’incident du Groënland. Ce meurtre ne peut pas compromettre le Grand Lancement et de toute façon le compte à rebours est enclenché.

Son café était brûlant et très fort. J’en aurai bien profité pour avaler un tranZ mais je trouvais la situation déjà suffisamment humiliante.

- Il ne peut y avoir qu’un Consortium pour organiser un tel crime. Les méthodes employées sont parfaites. Je doute que nous trouvions les preuves compromettant AmaZing. Mais nous avons aussi nos méthodes. Les Data, louées soient-elles, sont régulièrement alimentées et le Consortium peut suivre le déroulé de l’enquête quasiment en direct. La procédure reste la procédure. L’Algorithme saura me guider.

- Il y a pourtant des éléments qui manquent depuis quelques temps mon ami. Certaines conversations sont incomplètes car volontairement brouillées. Il semblerait que le chef de votre service ne soit plus aussi transparent qu’avant.

- Un peu d’intimité ne nuit pas Farma.

Je ressentis des fourmillements dans ma colonne vertébrale, mon pouls s’accéléra tandis que le sang affluait dans mes poings.

- Pourquoi faire des cachotteries lorsqu’on est en famille ? Ton ami Angelo ne devrait pas oublier son serment. Il doit rester un serviteur zélé. Toi qui le connais bien tu pourrais lui rappeler quelques petits principes. Rappelle lui que tous les servCom du SEC sont reliés au centre de validation. Il a atteint son quota de parasites dans ses Data ces derniers jours.

- Il m’a avoué être fatigué ce matin. Il aura certainement oublié de…

Je n’eus pas le temps de finir ma phrase. Le Farma venait d’avaler tout le miel qu’il avait dans la bouche.

- Nous ne tolérerons aucun oubli supplémentaire de sa part Waldo. Préviens-le. Pas de brouilleur quand son servCom est activé. Si une telle négligence se reproduit nous devrons le sanctionner économiquement. S’il tient à son statut de proD qu’il réfléchisse. Rappelle-lui bien que sans nous il n’est rien et que l’Algorithme pourrait décider d’un autre avenir pour lui. J’aurais tellement de peine à le voir errer dans une décharge d’un secteur en pleine réimpression.

Sentant son maître énervé, l’éphèbe qui m’avait servi le café s’allongea sur la cuisse du satrape obèse. Celui-ci ne me regardait plus, son attention s'était reportée sur les deux jeunes garçons et ses caresses étaient devenues plus languissantes. Je sus qu'il était temps de partir.

La nuit venait de tomber quand je rejoignis ma robocar pour quitter le secteur 10. Je pouvais entendre le bruit lointain des nombreux méca3D qui continuaient de s’activer.

La robocar se mit en route, il me restait une quinzaine de kilomètres à parcourir avant de retrouver mon appartement. J’avais hâte. Ces rencontres avec le Farma m’épuisaient. Le no man’s land était recouvert d’un voile d’obscurité. J’avais demandé à Tom de ne pas allumer les phares au laser. A cette heure-là il s’agissait de ne plus attirer l’attention. Les improDs les plus téméraires attendaient l’obscurité pour agir.

J’en était encore à ruminer l’entretien que je venais de vivre avec le Farma quand Tom interrompit le flot de mes pensées inquiètes.

- Obstacle en approche, annonça t-il.

Nous venions de parcourir 6 kilomètres, la robocar s’arrêta. Dans l’habitacle le voyant d’alerte clignotait devant moi au même tempo qu’une marche funèbre.

- Analyse de la situation, repris-je.

- Barricade cent mètres devant. Un corps au sol. Signatures infrarouges à proximité. Quatre.

- Et derrière nous, repli possible ?

- Non Monsieur. Plus maintenant. Signatures infrarouges. Quatre. Obstacle en cours.

- Bien, lâche Doddd à vingt mètres pour un panorama complet. Roule jusqu’à l’obstacle et stoppe à cinq mètres.

Tous en disant cela je récupérai mon AED dans la boîte à gants et activai le mode létal. La robocar était à quinze mètres de l’obstacle.

- Analyse ultrason.

- Des fûts et des poutrelles métalliques Monsieur.

- Analyse possibilité de franchissement direct.

- Quarante-sept pour cent, Monsieur.

Je savais que les robocars n’étaient pas indestructibles, mais vérifier ne coûtait rien. La partie allait être serrée. Il me fallait un plan.

Primo : tirer.

Deuxio : tirer.

Tertio : tirer.

Avec mon AED en mode létal je n’aurais droit qu’à trois tirs. Je ne devais pas trembler. Ce que je ne savais pas c’est ce qui se trouvait exactement devant moi. Mon plan ne fonctionnerait que si la barricade était tenue par une bande d’improDs sous-équipés et abrutis par de mauvaises drogues. Je portais bien ma protection en biosteel mais contre un tir d’AED elle serait aussi efficace qu’une feuille d’aluminium tentant d’arrêter une fusée.

La voiture faisait face à l’obstacle désormais, comme le taureau devant le torero dans l’arène. Sauf que la corrida ne serait pas holographique.

L’ouverture de la portière servit de signal. Tom et Doddd illuminèrent de tous leurs feux la barricade. Phares au laser et projecteurs au xénon, ils sortirent le grand jeu et envoyèrent une bonne rasade de lumens. Je quittais l’habitacle protecteur de la robocar aussi vite que je pus. L’air était toujours aussi chaud. Je tenais mon arme dans la main droite, le bras déjà tendu. Les phares surpuissants révélaient l’obstacle et ses gardiens. Des improDs, deux mâles et deux femelles. Un des mâles portait une paire de jumelles de vision nocturnes, un modèle antédiluvien, il tomba à la renverse en hurlant. Ses rétines venaient d’être sonnées par une série d’uppercuts et de crochets lumineux. Je pouvais compter jusqu’à dix.

UN. A sa droite une femelle me visa avec une arme antique à gros calibre.

DEUX. Elle n’eut pas le temps de tirer et grilla tandis que mon premier tir l’atteignait en pleine poitrine. Des myriades d’étincelles jaillirent de sa carcasse qui s’écroulait.

TROIS. Je visais la deuxième femelle lorsqu’elle pressa la détente de son arme.

QUATRE. La détonation me sembla assourdissante et je reçus comme un coup de poing sur mon flanc gauche.

CINQ. Je tirai par réflexe avant de tomber à la renverse.

SIX. Je me relevai presque aussitôt, le souffle coupé, mais le tranZ m’aidait à sécréter des litres d’adrénaline. Je ne sentais plus rien. Je ne ressentais plus rien. Je m’en tenais à mon plan. Il flottait dans l’air une odeur d’ozone et de chair brûlée, de peur et de haine. Leur peur, ma haine.

SEPT. La deuxième femelle était au sol.

HUIT. Le dernier mâle était en fuite.

NEUF. Mon ultime tir mit un terme aux souffrances du porteur de jumelles aveugle.

DIX. Je pus dégager le barrage en moins de temps qu’il faut pour le dire. Au loin j’entendais les hurlements du deuxième groupe d’ImproDs qui venait à ma rencontre. Je ne pris pas la peine de les attendre. Je remontai dans ma robocar pour filer, nous récupérâmes Doddd en route. J’avais conservé de la guerre tous mes réflexes.

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