Indices sur nanoS

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Les Consortiums appelèrent ceux qui devaient produire “Prods” et ceux qui n’avaient plus à produire “Improds”. Et ils dirent que c’était bon.

Évangile selon l’Algorithme, 1-9.

Mardi 11 janvier 2033

J’avais du prendre trois relaX pour m’endormir. Trop d’adrénaline dans le sang suite aux événements de cette foutue journée d’hier. Trop de ruminations. Trop de mauvais souvenirs remontant à la surface, comme le pus jaillirait d’un abcès. Trop d’émotions associées. Trop de bruit dans cette chambre. Trop chaud. Trop de tout, et pas assez de réponses.

Ensuite, j’avais passé une nuit que je qualifierais de vraiment merdique.

Erika s’était endormie sans aucun mal. Elle dormait encore, comme les autres, les trois familles d’improDs qui nous avaient volontiers accueillis dans leur “appartement collectif”. Un euphémisme. C’était un bouge infâme dans les sous-sols désaffectés de cette usine d’un autre temps. Un repaire pour des hommes vivant comme des rats. Un lieu où la lumière du jour ne parvenait jamais.

Quelle heure pouvait-il bien être ?

- Tom, chuchotai-je. Quelle heure est-il ?

Pas de réponse.

- Tom. Donne moi l’heure, dis-je en haussant la voix.

Une vibration sur mon poignet. Le cadran de mon strapphone afficha 07 : 38 : 22.

Je l’avais mis sur vibreur, il pouvait difficilement me répondre.

A deux mètres de là, Erika me fixait depuis le petit matelas une place sur lequel elle était allongée. A même le sol. Je regrettai d’avoir insisté pour l’heure. Je l’avais réveillée.

- Bien dormi, fis-je.

- Plutôt bien. Et vous ?

- Pas trop mal, mentis-je.

- Un café ?

- Vous avez ça ?

- Je suis un homme plein de ressources.

Je lui montrai le carton au milieu des autres affaires. La bande d’Achille les avait entreposées là, après que nous ayons reçu l’autorisation de rester. Elvis dormait encore, à côté, sur deux couches de couvertures qui lui servaient de matelas. Il ronflait comme une vieille chaudière percée.

Nous ne pûmes nous empêcher de sourire. Erika avait un beau sourire. Des dents d’une blancheur éclatantes parfaitement rangées derrière des lèvres charnues d’un joli rose pâle.

L’odeur du café sortit Elvis de son sommeil.

- Ce serait pas de refus, cria t-il.

Sa voix résonna dans l’appartement crasseux qui ne disposait de pratiquement aucun meuble. Une collection de matelas, dix chaises rafistolées autour d’une grande table fatiguée, un évier avec un peu de vaisselle, c’était tout.

- Chut, me contentai-je de lui répondre.

Un peu plus loin dans la grande pièce un enfant pleura.

- Bravo, c’est gagné !

Elvis se gratta son épaisse tignasse en m’adressant un sourire confus.

- Oups, sorry about that ! Mais je boirai bien un café quand même.

Il s’approcha de nous, seulement vêtu de son caleçon. Un truc infâme, de couleur rouge avec des motifs blanc en forme de cœur.

Erika éclata de rire.

Je ne réagis pas, mes pensées étaient trop sombres.

- Tu n’as pas l’air en grande forme ce matin Waldo. Mal dormi. Quelque chose te tracasse ?

Je lui tendis sa tasse de café fumant.

- On s’en tire trop bien.

- Parle pour toi, mon pote. Tu as vu le bouge dans lequel on a atterri. Quelle misère ? Pas grand chose à se mettre sous la dent si tu vois ce que je veux dire.

Elvis venait de me mimer la forme d’un sein avec sa main libre. Décidément il ne pensait qu’à ça.

- On y arrive trop facilement. J’ai l’habitude des méthodes du Conso. On leur a mis deux, peut-être quatre gars au tapis et leur réaction me semble bien timide, pour ne pas dire inexistante. Un moment j’ai même pensé qu’on nous avait collé des Traqueurs. Les types au Colonial ne semblaient pas vouloir poser de question.

- Ooooh Waldo. Arrête ta parano. Tu me dis toi-même que vos méthodes sont tatillonnes avec ces rapports de force entre le SEC et le SOC. C’est la guerre perpétuelle des petits chefs. A celui qui fera les choses le plus vite pour se faire mousser. Forcément, avec trop de précipitation on obtient des résultats pourris.

- ça doit être ça.

Erika nous observait en dégustant sa tasse de café. Nos regards se croisèrent. Nous nous fixâmes quelques secondes. Je trouvai son regard plus brillant que d’habitude, peut-être parce qu’ici il faisait aussi plus sombre.

Elvis, ne manquant rien de la scène, se leva.

- Bon, je vais voir où on peut caguer dans cette turne. Je ne sais pas pour vous, mais moi après le café, c’est recta.

- Bravo très classe.

- Pardon Madame, se contenta t-il de répondre en s’inclinant devant Erika. A tout de suite.

Erika souriait encore.

Dans l’appartement collectif, nos hôtes se réveillaient et commençaient déjà à s’agiter. Certains quittèrent l’endroit en nous regardant avec curiosité. D’autres ne nous voyaient déjà plus.

- Vous vous connaissez depuis longtemps avec Elvis ? Demanda Natacha après que nous eûmes vidé nos tasses de café.

- Plutôt. Depuis la guerre. Nous lui avons sauvé la vie avec Angelo, Achille et d’autres. C’était encore un môme.

- C’est vrai, votre guerre d’indépendance. Je comprends mieux. Vous êtes un combattant.

- Peut-être. Mais par la force des choses. Nous avons du apprendre à nous battre. Question de survie. Angelo ne vous en a pas parlé ?

- Non. Nous avions d’autres urgences. Et puis avec la mort d’Abel les choses se sont encore accélérées. Dans ces conditions on oublie le passé.

Je gardai le silence. En parlant d’Abel, elle me renvoyait le dernier message d’Angelo. J’avais tué Abel Montrivaje à sa place. Le savait-elle seulement ? Angelo lui avait-il dit tout cela ?

- Erika je… j’ai quelque chose à vous avouer.

- Ouh ça a l’air terrible. Vous m’avez appelé Erika.

- Oui. Excusez-moi je...

- Non non, ne vous formalisez pas je vous en prie. Erika c'est très bien.

- Erika alors. Bien. Voilà il y a quelque chose que vous devriez savoir. Cela concerne votre ami Abel.

Je ne parvenais pas à la regarder dans les yeux. J’en avais vu d’autres. Je devais me ressaisir et tout lui dire mais en face, dans les yeux. Dans ses yeux magnifiques.

Je me levai et marchais, le long de nos matelas, la tête baissée, comme un professeur pensif en quête d’une idée révolutionnaire.

— Erika, repris-je. Avant de mourir, mon ami Angelo m'a laissé une sorte de testament vocal, dans lequel il me révèle un certain nombre de choses. Voilà. Il semblerait que ces derniers temps je ne fus pas vraiment moi-même.

Elle me fixai avec une attention bienveillante, mais je trouvai qu'elle pâlissait légèrement.

— Voilà, repris-je. Toujours selon Angelo, il est possible qu'on ait expérimenté des substances sur moi. Des drogues d'un nouveau genre, causant des amnésies passagères. Pendant ces amnésies, j'aurais fait des choses sans même m'en rendre compte. Et voilà. Je... Comment dire ? C'est pendant un de ses épisodes d'amnésie involontaire que j'aurais tué votre ami Abel.

Avais-je prononcé cette dernière phrase moins fort ? Il me semblait bien. Sans prendre le temps de marquer de pause entre les mots non plus. Tout d'une seule traite, comme pour me débarrasser d'un poids, que je ne parvenais plus à porter depuis que je passais tout ce temps avec Erika.

Étrangement, Erika me parue soulagée. Lui avais-je révélé une vérité qu'elle connaissait déjà ?

Elle se leva et se rapprocha. Voilà une réaction à laquelle je ne m’attendais pas.

C'est elle qui m'embrassa. Ses lèvres étaient douces et chaudes. Sa langue avait le léger goût amer des arômes de café. Je la pressai contre moi. Sa chaleur me transporta. J'aurais voulu que cet instant dure à jamais.

— Ben laissez-moi vous dire que ça fait du bien. Oups ! Pardon !

Elvis était déjà de retour.

Nous le regardâmes sans relâcher notre étreinte. Il se grattait son épaisse tignasse en faisant sa grimace de garnement désolé. Nous éclatâmes de rire.

— Bon c'est pas tout ça, mais qu’est-ce qu’on fait maintenant Waldo ?

— On passe à l’offensive. On reprend tout depuis le début.

Nous avions de la chance. Achille avait un lecteur de nanoS dans son appartement collectif. Un appareil au top, avec commande vocale, projection holographique 3D et imprimante sur papier thermique. Il nous expliqua que sa tribu l'avait raflé lors d’une embuscade, sur un couple de proDs tombé en panne de robocar, à la lisière du secteur 8. Selon lui un sacré coup de veine. Ils ne leur avaient pas fait de mal m’avait rassuré Achille en croisant mon regard.

— Il fonctionne très bien. On s’en sert pour visionner les souvenirs des autres à l’occasion, déclara Achille.

— Les souvenirs des autres ? demanda Erika.

— Oui. Nous en trouvons beaucoup, de ces minuscules disques en verre dans les décharges, quand ce n'est pas sur des proDs que l'on rafle. Nous organisons des séances de projection collectives. Cela nous divertit et nous permet d'oublier nos soucis, pour un temps.

— Qu'est-ce que tu veux faire avec ce lecteur Waldo ? me demanda Elvis.

— Découvrir des choses que personne n'a découvert.

— Rien que ça. Juste sur un nanoS ?

— Oui, plus un accès aux Data, avec l’aide de Tom.

— Ton servCom sera t-il aussi efficace avec le brouilleur ?

— Oui le brouilleur n'altère aucunement les capacités du servCom répondit Erika du tac au tac.

Je la regardai, un instant surpris par la spontanéité de sa réponse. Elle le remarqua et se contenta de hausser les épaules en me souriant. Je replongeai dans ma boîte de nanoS.

Je trouvai facilement le disque de données que je cherchais. Il était bien rangé et référencé dans la boîte en plastique imprimé.

Affaire Montrivaje_Capture extèrieur jour_Le Fidèle_09/01/33_09:10:27

Depuis mon entrée au SEC j'avais mis en place une routine : ne me fier à aucune Data, à aucun rapport officiel. Quand j’étais sur le terrain, j’enregistrais tout sur des nanoS. Plus tard, une fois au calme, je me repassais les captures en boucle, le temps qu'il fallait, pour découvrir l'élément, l'indice que personne n'aurait vu. J’appelai ça mes indices sur nanoS. Or, depuis le début de cette affaire je ne l'avais pas appliqué. Bousculé par les événements, je n’avais pas eu un moment de calme. Je ne disposais de rien d’un tant soit peu tangible.

— Tom repasse moi le film pris par les hologlasses dimanche 30 juillet devant Le Fidèle s’il te plaît.

— Avec le son monsieur ?

— Oui. Assemble ensuite le film pris par Doddd. Avec le son toujours. Priorité à la vue de dessus.

Je sentis les regards de mes amis, pendant que je donnais mes instructions à Tom.

Achille était resté avec nous. Il occupait un large fauteuil. Un meuble antique, que sa tribu lui avait certainement ramené d'une décharge J'étais assis entre Erika et Elvis, sur un petit canapé dont le tissu partait en lambeaux. La cuisse d'Erika touchait la mienne. Elle dégageait une agréable chaleur. Nos mains se frôlaient dans un jeu de cache-cache tactile.

Nous étions à la place du drone désormais. Il vrombissait à la manière d’un gros insecte mécanique. Nous prîmes de l’altitude pour nous diriger à toute allure vers la foule. Nous la survolions. C’était une masse compacte, d’une cinquantaine de proDs curieux, interrompus dans leurs achats ou en plein retour vers leur domicile. C’était des proDs en phase de repos. Ceux qui devaient produire, n’auraient jamais pris le temps de s’arrêter.

— Pause. Dénombre foule.

— Quarante trois Monsieur.

— Bien. Lecture.

Le drone d’observation et la robocar disposaient chacun d’une caméra à capteur hémisphérique. Elle était composée de quatre mille cinq cent nanolentilles, capables de filmer en plan large et en plan rapproché avec le même niveau de résolution. C’était très pratique, pour identifier plusieurs personnes en une seconde dans une foule compacte. C’était aussi très pratique, pour isoler plusieurs détails en mode zoom, tout en conservant une vision d’ensemble de la scène.

Mes hologlasses étaient équipées de nanocaméras bien plus archaïques, mais les images et les sons qu’elles capturaient, pouvaient être intégrés aux autres films pour des créations 3D que je pouvais déplacer à ma convenance.

Certains visages se mirent à regarder dans les airs, en direction des nombreux drônes qui les survolaient. Au dessous-de nous, nous pûmes voir les petits colibris mécaniques du Guoanbu virevolter.

— Pause. Zoom. Isole. Copie. Identification.

— Bien monsieur.

— Lecture.

De nouveaux visages se levèrent.

— Pause. Zoom. Isole. Copie. Identification.

Nous répétâmes l’opération trois fois avec Tom.

— Pause. Dénombre visages copiés.

— Quarante.

— Bien. Rapport identification et rapport statut. Signalement anomalie.

Tom afficha sur l’écran virtuel 3D une liste clignotante de noms et de statut. Les noms finissaient de clignoter lorsque le statut s’affichait avec une correspondance correcte.

— Rapport terminé monsieur. Aucune anomalie.

Il nous restait trois individus à identifier. Ceux qui n’avaient pas pris la peine de lever la tête.

L'espace d'une seconde, je crus que plus personne dans la pièce ne prenait la peine de respirer. Puis Elvis émis un petit sifflement entre ses dents.

— Tom, passe moi le film effectué depuis la robocar. Isole non identifiés. Rapport.

La caméra zooma directement dans la foule à la recherche des trois badauds que mon servCom n’avait toujours pas identifié. Les deux premiers furent vite isolés. Le rapport émis par Tom ne signala aucune anomalie. Il nous fallut plus de temps pour repérer le visage manquant. Le type portait un chapeau à larges bords, semblable à ceux que j’avais l’habitude de porter pour me protéger des rayons du soleil. L’individu faisait tout pour dissimuler son visage. Il devait souffrir d’une très grande timidité. Il avait rabattu son chapeau le plus bas possible sur son front comme l’aurait fait un cow-boy avant de s’endormir. Il ne regardait pas en l’air et restait au beau milieu de la petite foule de curieux. Même s’il ne regardait pas en direction de la scène de crime, il semblait quand même très attentif à ce qui s’y passait. Il donnait l'impression de chercher à comprendre ce qui se passait sur la scène de crime.

— Tom plan large. Assemble les trois films. Mets en pause.

Nous eûmes un plan large en 3D de la scène qui s’était déroulée devant Le Fidèle. Nous pûmes me revoir en pleine discussion avec la ruskof. Et dans la foule, nous pouvions pouvais désormais repérer le type au chapeau, qui, malgré les vingt mètres qui nous séparaient, était effectivement en train d’écouter notre conversation.

Nous me vîmes alors entrer dans l’hôtel Le Fidèle pendant que Lena Dwarcolovna retournait à sa tâche.

Du côté des badauds, le type s’éloigna tête baissée du centre de la foule, en s’aidant de ses bras comme un nageur cherchant à rejoindre le rivage. Il finit de traverser la petite masse de proDs curieux qui restait encore agglutinés au milieu de la rue, pour rejoindre le trottoir opposé. Il allait bientôt tourner à l’angle de l’avenue principale, le Decumanus, l’axe qui traversait Oumane du levant au couchant. Une idée délirante du Grand Monarque et encore un signe de sa mégalomanie, s’il en fallait un de plus. L’inconnu allait bientôt tourner à droite pour disparaître dans l’avenue.

C'est alors qu'il y eut un miracle. L’instant fut plus que furtif, de l’ordre d’une milliseconde, mais il avait été quand même saisit par mon servCom. La paroi en verre du bâtiment, qui faisait face au cow-boy timide, réfléchissait le soleil sous un angle plus direct, et éblouit l’individu qui tourna la tête. Une moitié de son visage se refléta dans la vitrine miroir qu’il longeait. C’était amplement suffisant.

Tom n’eut pas besoin de nouvelles consignes. Il sut quoi faire. Il zooma sur la zone à couper. Il l’intégra à sa gigantesque base de données évolutive. Il afficha le visage. Mais en lieu et place de ses rapports d’identification et de statut, il y eut un son que je n’aimais pas entendre. Une sorte de meuglement mécanique très court mais suffisamment désagréable pour comprendre que quelque chose ne se passait pas comme prévu. Un message en caractères rouge gras s’afficha dans une fenêtre blanche : “Data non accessibles. Accès non autorisé. Identification.”

— Tom déploie les leurres. Efface l’historique et le cache. Reconfigure tous les adressages.

— Bien monsieur. Souhaitez-vous un shut down complet ?

— Non cela devrait suffire. Nous n’avons pas insisté. Cela passera pour une erreur de navigation.

— Qu'est-ce qui cloche ? demanda Elvis.

— Nous avons atteint une couche à confidentialité élevée. Je préfère demander à Tom d’effacer nos traces par précaution.

— Waldo, es-tu en train de nous dire que nous risquons très prochainement une visite.

— Non Achille. D'autant qu'avec ça on ne risque plus grand chose.

Je levai le petit brouilleur noir pour le rassurer.

A côté de moi, Erika acquiesça.

— Qui c'est ce type Waldo ? demanda Elvis.

— Quelqu'un que je te charge de me retrouver au plus vite. Tom, imprime la photo.

— Photo en cours d’impression Monsieur.

J’avais reconnu le cow-boy. Je le voyais à chaque fois que je me rendais chez le Farma. C’était son bras droit, ce charognard d’Akba. Qu’est-ce qu’il pouvait bien foutre ici, à tenter de glaner des infos ? Son patron avait accès à toutes les Data. Cela ne servait à rien. Avais-je enfin le début du commencement d’une piste ?

Nous nous étions retrouvés seuls avec Erika.

Elvis avait filé à la recherche du charognard. Achille souhaitait appliquer le principe de précaution. Il organisait l’évacuation éventuelle de sa tribu.

Je rangeai le nanoS, quand je remarquai sur l’un d’eux l’étiquette Emails de Waldo avant accident.

Le lecteur de nanoS afficha le contenu du disque en 3D : une arborescence de dossiers. En bas de la liste un dossier semblait plus lourd que les autres. Il s’intitulait Anniversaire de Romain Sirce 2030. Il fallait un mot de passe pour l’ouvrir.

Agencer les pièces du puzzle. Notre dernière discussion dans la voiture avant l’accident. Mon père que j’avais traité d’idiot, ou de quelque chose d’équivalent. Ma mère et ma sœur assises à l’arrière. Le camion qui nous percuta. Mon père qui me parlait de sa découverte pour craquer un code. La transhumanité qui nous conduirait à notre perte. A notre asservissement. Oui, cela me revenait. La faille dans le cryptage homomorphe quantique. Un hommage à l’inventeur. Gentry. Un nom en boucle dans ma tête. Plus lumineux que les autres. Incident Gentry.

— Mot de passe : Incident Gentry, annonçai-je à haute voix.

Rien ne se passa. Le dossier resta fermé.

— Erreur de mot de passe Monsieur, fanfaronna Tom.

Mon père avait dû me donner la clé. Mais c’était il y a trois ans.

Assise à côté de moi, Erika m’observait dans un silence monacal.

C’était forcément une clé qu’on avait l’habitude d’utiliser avec mon père. On aimait bien tester tout un tas de stratagèmes pour corser nos mots de passe. On s’amusait même à les souligner.

— Mot de passe : Incident Gentry

Le dossier reste clôt.

— Erreur de mot de passe Monsieur.

Tu m’énerves Tom. Je ne t’ai rien demandé, pensais-je.

Pression sur ma cuisse exercée par Erika. Un encouragement. Ne pas se décourager.

Souligné mais pas comme ça.

— Mot de passe : _incident_gentry_

Le dossier s’ouvre.

— Mot de passe correct Monsieur.

Le dossier contenait une bonne centaine de photos. Elles étaient forcément cryptées. Ou alors une seule l’était. Fallait-il toutes les tester ? Pourquoi pas ? Même si cela risquait d’être un peu long.

Je pris le temps de lire les titres : big bisous, gâteux d’anniversaire, bougie soit qui mal y pense. Je ne pus m’empêcher de sourire. Mon père avait le chic pour trouver des noms débiles à nos photos. D’autres noms : une famille en or, ça cadeau, dernier arrêt avant la sortie. J’ouvris celle-là.

Nous étions là tous les quatre, mon père, ma mère, Natacha et moi. Assis devant le gâteau d’anniversaire et les dernières bougies que mon père avait soufflé. Mon père faisait l’idiot encore une fois, les bras levés vers le ciel, la tête en arrière et tirant la langue. Ma mère le regardait, les yeux brillants, en riant à gorge déployée. Ma sœur faisait la morte, le haut du corps affalé sur la table. J’étais le seul à fixer l’objectif en souriant.

— Tu as… Tu avais une belle famille Waldo, déclara Erika.

— Oui c’est vrai. C’était une belle famille.

Je demandai à Tom d’ouvrir la photo sous un format texte.

Une longue série de caractères spéciaux s’afficha. Mon servCom fit défiler sur l’écran la longue litanie de symboles plus ou moins incompréhensibles.

Je l’interrompis brutalement. Là, au milieu des symboles, une série ordonnées de lettres et de chiffres s’affichaient.

— Mais qu’est-ce que c’est ? demanda Erika avant de prendre le temps mieux lire ce qui s’affichait en 3D devant nous. Waldo on dirait… on dirait une suite de formules.

— Non Erika. Ce que tu vois là, c’est ce qui a tué ma famille !


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