Reconfiguration

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Les Consortiums unirent les Machines au ProDs. Il y eut les “AugmenT” et les “TransoP”. Les ProDs purent produire davantage. Les Consortiums dirent que c’était bon.

Évangile selon l’Algorithme, 1-10.


Nouméa

Mercredi 12 janvier 2033

19h03


Angelo Perada raccrocha.

- Ils ne répondent plus.

- Vous avez rappelé ?

- Oui Monsieur, c’est la cinquième fois. Leur téléphone est éteint.

- Quelle équipe ?

- Lena Dwarcolovna et Quentin Wayedr

- Quel était leur dernier message ?

- Ils on fait mention d’un incident Monsieur.

- Quel genre d’incident ?

- Un mort Monsieur.

- Vous vous foutez de ma gueule ?

- Non Monsieur. Je ne me permettrai pas Monsieur.

- Perada arrêtez avec ça.

- Avec quoi Monsieur ?

- De me coller un Monsieur à chaque mot. Ça m’emmerde.

- Bien Mons… Bien.

Nels Kumo venait de rejoindre les deux responsables du projet “Transhumanité pour demain”, les ingénieurs quantiques Erika Vyltmöss et Angelo Perada. Ils étaient assis autour de la grande table ovale d’une petite salle de réunion climatisée. Nels s’était installé à l’extrémité qui faisait face à la porte d’entrée. Il se balançait sur sa chaise, les pieds calés sur la table, un cure-dent entre ses canines.

- Ce mort. C’était qui ?

- En retraçant l’historique du programme nous avons pu remonter jusqu’…

- Accouchez Perada.

- Akba Medir.

Nels Kumo stoppa net son mouvement de balancier. Il se redressa sur sa chaise. Dans son regard, la stupeur venait de faire place à la morgue. Il capta celui de l’ingénieur assis à deux chaises de lui.

- Comment est-ce possible ?

- Je… Nous ne savons pas Mons… Nous ne savons pas encore. Mais c’est certainement lié à une défaillance du programme. Peut-être le libre arbitre du processeur quantique dans sa façon de…

- Libre arbitre mon cul Perada. Vous vendez ça aux autres mais pas à moi. D’accord ! Ce programme c’est moi qui l’ai écrit.

- Ce ne serait pas le programme directement Monsieur, continua courageusement l’ingénieur qui commençait à suer abondement, malgré la climatisation poussée à plein régime. Ce serait plutôt une défaillance au niveau du filtrage par couche. Un des principes de réalité n’aurait…

- Fermez-la Perada. Arrêtez de chercher des excuses à deux balles. Vous n’allez pas me faire une leçon sur le layer filtering en plus.

- Nels, Angelo essaye juste de te…

- Toi ferme-la d’accord ! C’est à Perada que je cause.

Les joues d’Erika virèrent au rouge. C’était de la honte plus que de la colère. Un sentiment qui remontait à loin, aux premières humiliations et aux premiers coups. Une honte liée à son incapacité d’affronter cet homme et de parvenir à le quitter. Une semaine sans donner de ses nouvelles, et au premier mot, une humiliation.

- Écoutez moi bien tous les deux. J’ai déjà dépensé des millions d’euros dans ce projet, et je suis parvenu à harponner les chinois. Ça fait tellement longtemps que nous tarvaillons sur ce satané projet que j'ai arrêté de compter. Je ne veux pas échouer. Alors vous allez tous vous bouger le cul et me dire pourquoi cet abruti de Medir cherchait à réduire notre cobaye en compote. Vous avez jusqu’à demain.

- Bien Monsieur. Monsieur je tenais quand même à vous signaler que nous avons lancé la procédure de cryptage grâce à la clé qu’Er… que Madame Vyltmöss a récupéré. D’ici la fin de la nuit nous pourrons effectuer les premiers tests de violation du système.

- Parfait. Bravo ma chérie. Mais assez perdu de temps, vous avez du pain sur la planche.


- Madame Vyltmöss, Monsieur Perada, il y a quelque chose que vous devriez venir voir au plus vite.

La voix nasillarde venait de cracher le message à travers l’intercom qui équipait de la salle.

- Merci David. Mais nous sommes en réunion avec Monsieur Kumo. Est-ce que…

- Alors si Monsieur Kumo est là, il serait préférable qu’il vienne aussi. Désolé de vous brusquer de la sorte mais cela ne peut pas attendre.


Le centre de données, était la plus grande salle du dock, où SpecieZ avait implanté son laboratoire d’informatique quantique. C’était aussi la salle la plus froide de toute l’île. La température de certains compartiments avoisinait le zéro absolu.

De longues rangées de serveurs, de refroidisseurs et de lasers étaient reliées les unes aux autres. Elles dessinaient un réseau complexe, dont le coeur se trouvait être une tour à l'aspect étrange, constituée de tubes lumineux comme des soleils et de câbles ayant l’épaisseur d’un cheveu. Une tour de Babel futuriste.

A l’entrée de l’immense labyrinthe glacé, une salle de contrôle avait été prévue pour contrôler le comportement de l’ordinateur quantique que SpecieZ était parvenu à construire après plus de 10 ans de travail. Des binômes de techniciens se relayaient toutes les quatre heures pour assurer le contrôle permanent des lieux, via une mosaïques d’écrans et de capteurs. Indicateurs de température, pression, vitesse de calcul, etc, etc…

Angelo débloqua l’entrée sécurisée de la salle de contrôle grâce à son badge d’accès. Ils enfilèrent les grosses combinaisons chauffantes pendues à l’entrée. A l’intérieur la température flirtait avec le zéro.

Les deux techniciens déguisés en esquimau ne prirent même pas la peine de se retourner. Ils scrutaient un des écrans avec la même attention que deux gros chats devant un énorme trou de souris.

Un message laconique s'affichait sur la large fenêtre noire ouverte au milieu de l'écran.

/Access <mirage_program> /exe

/ Access <homomorphic encryption key>/ process

/ Renconfigure data/ process

/ Reconfigure layers/ process

/ Reconfigure objective reality/ process


- Qui a lancé ça ? siffla Nels.

Un des esquimau porta enfin son attention sur les trois arrivants. Il sursauta en reconnaissant Nels Kumo.

- Per… personne Monsieur. Nous ne comprenons pas Monsieur. Cela vient de commencer Monsieur.

Nels ferma les yeux et se pinça le haut du nez. Il semblait pris d’une violente migraine.

- Vous avez pensé à activer la procédure de shut down bien sûr ? reprit-il.

- Bien sûr Monsieur. Nous avons appliqué la procédure à la lettre mais cela n’a rien donné. Le programme semble verrouillé Monsieur.

- Et le back door de sécurité ?

- Même résultat Monsieur. Mon… Monsieur ?

- Quoi ?

- Qu’est-ce qu’on fait Monsieur ?

- On surveille tout ça de près et on voit où tout cela nous mène espèce d’abruti.

- Non ! Hurla Angelo.

Nels Kumo le fixa comme s’il venait de voir la mort en personne.

- Qu’est-ce que vous dites Perada.

- J’ai dit non Monsieur. Bon... bon sang vous ne voyez pas que le programme nous échappe. Vous ne comprenez pas ce qu’il se passe. L'ordiQ est en train de prendre le contrôle. Il est en train de réagencer les couches pour modifier notre réalité objective. Nous devons arrêter tout ça au plus vite, avant qu’il ne soit trop tard.

Nels Kumo envoya un direct du droit au visage d’Angelo Perada. Il le cueillit à la mâchoire. L’ingénieur quantique tomba sur le sol et ne bougea plus. Un filet de sang et de bave s'écoulait de sa bouche ouverte. Erika poussa un cri de stupeur, tandis que les esquimaux reculaient d’un pas.

- Vos principes, je m’en fous royalement, Perada. Je ne vais pas perdre ce projet et tous le pognon que j'ai misé dessus. Alors vous allez vous ressaisir mon vieux où je vous massacre. Et surtout, arrêtez avec vos néologismes pourris. OrdiQ ? Franchement, quelle débilité. Vous en avez truffé le programme. Vous êtes pitoyable Perada.

Il avait parlé à la vitesse d’un train qui déraillait, en crachant les mots au-dessus d’Angelo. Il maintenait son poignet douloureux en le massant doucement. L’ingénieur quantique, toujours au sol, tentait de reprendre son souffle et ses esprits. Il s’essuya sa bouche ensanglantée d’un revers de manche.


- Levez-vous maintenant et sortez de cette pièce. Au passage, vous me ferez le plaisir de nettoyer tout ça, reprit Nels en pointant du doigt les endroits où le sang d’Angelo avait laissé des traces.

Il souhaitait humilier l’ingénieur jusqu’au bout. Il devait lui rappeler, à sa manière, qui était véritablement le chef ici, le mâle alpha. C’était aussi une façon de lui signifier d’arrêter de fricoter avec Erika. Ils étaient bien naïfs tous les deux de croire qu’il n’avait rien vu de leur récent manège.


Un bourdonnement commença à envahir l'air glacé de la pièce. C’était une pulsation régulière qui s’accélérait progressivement, de quelques centièmes de secondes à chaque nouveau battement. Il pouvait la ressentir sur chaque centimètre de leur peau, dans chacun de leurs muscles, de leurs organes, de leurs os. Tous leurs atomes frémissaient comme une eau entrant en ébullition. Les murs de la pièce vibraient, le sol, l’air, la planète entière.


Angelo Perada parvint à se remettre sur ses pieds. Les autres contemplaient avec une ferveur toute religieuse les écrans de contrôle remontant les anomalies. Une litanie de lignes s’affichait en rouge ou en orange sur la mosaïque d’écrans qui recouvraient le mur comme des écailles de verre polarisé. Il retira sa combinaison et dégaina l’arme à énergie dirigée qu’il portait sur lui depuis un peu moins d’une semaine. Depuis sa dernière rencontre avec Akba Demir, l’homme de main de Nels Kumo, qui lui avait offert un cocktail dans ce bar à la vilaine décoration. Depuis qu’il se sentait menacé.


- Retourne-toi enfoiré ! hurla Angelo.

Les deux techniciens se plaquèrent contre la paroi métallique. Erika émit un petit cri de souris. Nels Kumo sourit.

- Qu’est-ce que vous pensez faire avec ce joujou Monsieur Perada ?

- Je vais te griller pourriture. Tu es un gros malade qui se prend pour le centre du monde. Un péteux sans talent et sans idée qui se sert du travail des autres. Un mégalo prêt à tout pour satisfaire son petit ego aussi étriqué qu’un trou du cul.

- En parlant de trou du cul, j’en est un magnifique spécimen devant moi Perada, fit Nels Kumo en éclatant de rire et en avançant d’un pas vers l’ingénieur. Il savait qu’Angelo ne tirerait pas.

Ce fut la dernière fois de son existence, que Nels Kumo rit. La boule de plasma émise par le pistolet d’Angelo percuta la poitrine du fondateur de SpecieZ. Une étrange expression traversa ses yeux, un mélange d’étonnement et d’incompréhension. Puis ils se voilèrent et Nels Kumo mourut.

Dans la pièce glaciale, flottait une écœurante odeur de souffre, de chair grillée et de poils brûlés.

Le vrombissement s’amplifiait. Ce n’était plus une pulsation mais un son continu désormais. Une note jouée par un didgeridoo immense et invisible.

L’atmosphère se densifiait. A certains endroits, elle ressemblait à du mercure. A d’autres endroits, elle se pixelisait.

Imperceptiblement, le décor se transformait.


Angelo était persuadé qu’il avait encore le temps. Il se rua à l’extérieur de la salle de contrôle et courut dans le long couloir en direction des escaliers qui menaient au sous-sol. Il devaient éteindre le réseau de générateurs qui alimentaient l’énorme centre de données et son cerveau quantique.

Il avançait avec peine, dans un brouillard métallique. Ces oreilles bourdonnaient et il se sentait devenir plus lourd.

Après un parcours, qui lui semblait avoir duré une éternité, il parvint enfin devant la salle des générateurs électriques. Il badgea la serrure magnétique. Elle resta silencieuse, endormie. Il réessaya. L’ouverture ne répondait toujours pas.

Il avait dû se tromper de porte. Elle était différente, plus large et plus solide aussi. Pourtant il n’y avait d’erreur, il en était sûr. C’était le bon endroit et la bonne porte. Sauf que quelque chose l’avait transformée.


Deux étages au-dessus, dans la salle de contrôle glacée, un dernier message s’afficha sur l’écran de contrôle principal.


/Reconfigure objective reality/ exe

/program succeed


Devant le moniteur, Erika se demandait pourquoi tout avait si mal tourné.

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