Kerit

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 — Ma petite Mercy, ça me fait plaisir de te voir.

 — Mais, tu peux pas me voir… t’es aveugle, grand Papy.

 — Tu es mignonne. En effet, je ne peux pas te voir. Mais te savoir près de moi, me donne du baume au cœur.

 J’ai senti la main de mon arrière-grand-père serrer la mienne. J’étais enfant et découvrir cette main rugueuse et ridée m’effrayait autant qu’elle me passionnait. Je me souviens avoir longuement regardé les photographies qui trônaient un peu partout. Beaucoup de mes grands-parents et de ma mère. Et une immense de son épouse et de lui pour leur mariage. Il était transformé. Sa peau autrefois ébène était maintenant bien pâle. Mais ce n’est pas tant le teint maladif qui m’avait le plus marqué. Mais les tuyaux qui l’oxygénaient.

 Pourtant, j’étais restée là. Il rêvait de me rencontrer. Maman m’a proposé en me précisant que j’aurais sûrement un peu peur, qu’il allait bientôt rejoindre le firmament. J’avais été courageuse. Et je remercie Dieu et mes ancêtres de m’avoir donné ce courage. Lui a certainement dû fondre face à ma candeur.

 — Dis, c’est vrai que tu… vas partir dans le ciel ? Avec les oiseaux ?

 Il a beaucoup toussé après ma question. Maintenant, je sais que c’est parce qu’il riait.

 — Oui, ma petite Mercy. Bientôt, je veillerai sur toi depuis là-haut. Avance-toi, je vais t’apprendre un secret.

 Un mouvement de recul, voilà mon premier réflexe. Mais le sourire de maman m’avait convaincue. J’ai alors approché mon oreille de cet homme qui m’a marquée à jamais.

 — Ta maman a toujours été ma préférée. Et tu sais qui ta maman aime le plus ? m’a-t-il murmuré.

 — Non, ai-je admis en secouant vainement la tête.

 — Elle t’aime toi. Alors, c’est pour ça que…

 Il a dû reprendre sa respiration presque trente secondes avant de poursuivre sa phrase.

 — … que, quand je volerai là-haut, je te protégerai quoiqu’il arrive.

 — Oh ! Même du Chemosit ?

 J’avais dit le mot magique. Il a utilisé une partie de ses dernières forces pour me conter le jour où il a rencontré un ours Nandi. Animal aussi connu sous le nom de Chemosit ou encore Kerit, comme le nom de son meilleur ami mort en 1912.

 — Quand j’avais ton âge…

 — Tu en avais au moins le double, l’a corrigé ma maman.

 — Tu es si petite ? Tu l’es sans doute trop pour cette histoire…

 — Oh, non ! Je veux savoir, moi maintenant !

 Je me suis tournée vers ma mère et je lui ai dévoilé toutes mes dents en jouant de mes charmes :

 — Diiiiis ! Je peux ?

 — Oui… c’est bon… tu peux…

 Grand Papy Karanja m’a alors conté, en édulcorant au maximum pour une enfant de six ans, la construction du chemin de fer Magadi. Comment il avait été enlevé à ses parents pour être traité en esclave, comment il avait manqué de nourriture et d’eau. Et surtout, comment il s’était lié d’amitié avec Kerit, un garçon Nandi un peu plus âgé que lui.

 Je me souviens de ses hésitations. Je pense qu’il s’agissait pour lui de trouver le moyen d’éviter de m’expliquer comment ce jeune garçon avait été roué de coups par des Anglais, puis laissé agonisant en plein soleil. Comme des milliers d’autres. Mais avant la mort, il y a eu la vie. Et même si leur travail était rude, chaque lune, ils parcouraient les bords du fleuve Magadi. Ils savaient qu’ils allaient bientôt être libérés de leur labeur. Alors ils jouaient, profitaient de la fin de leur enfance.

 Une nuit, singulièrement chaude, Kerit expliqua à grand Papy Karanja la légende de Kerit. Une sorte de créature mi-ours, mi-hyène, capable de terrasser un bœuf en un coup de griffe. Ce n’était pas la première fois qu’ils se racontaient des histoires pour se terrifier, mais le décès de son compagnon le lendemain l’avait particulièrement touché et ce récit était resté gravé dans sa mémoire, même après le terme de la construction de la ligne de chemin de fer.

 Chaque nuit il allait rendre hommage à son ami autour du lac. Chaque nuit il pleurait. Chaque nuit il priait les ancêtres pour punir les colons qui l’avaient maltraité.

 — Lorsque je n’avais plus de larmes dans mes yeux, que j’avais rempli à moi seul le lac, sais-tu ce qu’il s’est passé ? m’a-t-il demandé.

 — Noooon !

 — J’ai cru voir des ondulations dans l’eau, puis un éclat d’argent…

 Il a une nouvelle fois beaucoup toussé, alors j’ai posé ma question de fillette :

 — C’était la Lune ?

 — Non, ma petite. C’est mon ami qui est apparu dans le reflet. C’était la pleine lune, j’avais chaud, j’étais triste. Et il m’a parlé. « Es-tu certain de vouloir mon retour ? Ils souffriront, si je ressurgis », m’a-t-il déclaré. Et j’ai eu peur. Sais-tu pourquoi ?

 — Je… sais pas…

 — Parce que j’ai dit oui à mon ami. Et j’ai su qu’il reviendrait.

 — Et, il est revenu ? s’est enquise ma maman.

 — En effet, sous la forme d’une bête féroce. Même le plus puissant des lions, la plus rapide des gazelles ou le plus adroit des babouins n’aurait pu rivaliser avec Kerit. Quand j’ai vu qu’il allait rentrer dans la tante de ses bourreaux, je l’ai supplié de cesser.

 — Et… il s’est arrêté ? ai-je demandé, innocemment.

 Je me souviens qu’il a secoué la tête et qu’avec toute la tendresse du monde, il m’a menti.

 — Oui. Kerit était mon ami, il a écouté ma prière et s’est arrêté. Puis, il n’est jamais revenu.

 Aujourd’hui, je pense toujours à grand Papy, à sa voix éraillée. Et à Kerit, qui se cache peut-être encore dans les reflets du lac Magadi.

***


Note de l'auteur :
Comme indiqué, il s'agit d'un premier jet. Je ne prendrai sûrement jamais le temps de la reprendre, ne vous embêtez pas à la corriger (mais, je vous remercie par avance si vous le faites malgré tout).


J'ai décidé de me tourner davantage sur l'humain, plus que sur l'animal, en espérant que cela remplisse le défi.

En tout cas, c'était sympa comme exercice. Cela faisait longtemps que je n'avais pas participé :-)

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