1.7 - L'effondrement sakase et le triomphe barbare

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La lutte acharnée que se livrèrent les Dragons et les Nains ne visait rien de moins que l'anéantissement de la partie adverse. Les paysages du sud furent bouleversés à jamais de ces 300 années d'intense conflit. Des forêts partirent en fumée, des sommets montagneux s'effondrèrent, des vallées disparurent sous les flots et des collines s'affaissèrent. Les belligérants n'hésitaient pas, en effet, à user de tous les stratagèmes possibles pour venir à bout de leur adversaire. Les créatures ailées, qui avaient l'ascendant mais manquaient cruellement d'approvisionnement, pillèrent la plupart des caravanes marchandes qui transitaient dans la moitié sud des Terres du Partage. Le commerce en mer Centrale subit de plein fouet cette situation. L'activité économique se déplaça logiquement du sud vers le nord et bénéficia directement aux Shyves. Exsangue, le royaume de Sakasie commença lentement à décliner.

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Les réformes engendrées par Djibraas le Hutin au milieu de la guerre ne suffirent pas à rétablir une situation durablement compromise. Ce roi autoritaire parvint à remettre l'institution royale au centre du jeu en délivrant un titre seigneurial et un domaine à des notables, qui n'eurent aucune autre obligation que de payer et de prêter serment. Par un jeu d'alliances subtil, il priva les chefferies traditionnelles de tout pouvoir et favorisa les seigneurs, nouveaux hommes forts de Sakasie. Un code d'honneur particulièrement strict fit son apparition dès cette époque, à la faveur de l'émergence d'une véritable classe guerrière d'élite animée par les combats entre seigneuries rivales.

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Kalinaas le Cybérien, noble représentant du clan Imagazoas et mon ancêtre direct, s'inquiéta fortement de la survivance de Bâlâ Seh dans ce contexte hostile. L'ouvrage avait jadis été confié par le fondateur de mon clan à la maison naine de Kar'Gara, qui avait fait le serment de le protéger jusqu'à la fin de l'exil des Sogdaanes. Mais la tribu antique avait disparu depuis bien longtemps. Ma lignée estimait que le "leg d'Érès" devait demeurer chez les Nains, où sa sécurité était garantie ; jusqu'à cette guerre qui remettait tout en cause. Bâlâ Seh est indestructible car divin, mais sa disparition peut entraîner l'humanité à sa perte. C'est notre éternel fardeau.

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Sous la fin de règne de Djibraas le Hutin, Kalinaas le Cybérien prit le départ avec dix guerriers d'élite. Il traversa le désert Chaud d'Isaas et la forêt Mouvante, puis pénétra au cœur des montagnes naines où se situaient les affrontements. Il fut le témoin d'épouvantables batailles entre les deux créatures majeures. Les puissants mages nains répondaient au feu ardent des Dragons sans aucun esprit de recul. Pour atteindre la maison Kar'Gara, le Cybérien fut contraint d'échapper aux grandes catastrophes et aux terribles dégâts collatéraux provoqués par les belligérants au conflit. Trois de ses guerriers périrent de manière peu enviable mais le groupe finit par gagner le lieu de repli de Yga Kar'Gara, dernier survivant de sa lignée. Celui-ci était resté fidèle au serment millénaire de sa famille.

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Mon ancêtre accepta le sacrifice de cinq guerriers pour s'infiltrer dans le refuge du Nain, et pour en ressortir en possession du manuscrit divin. Yga, enfin libéré de son obligation morale, tomba à son tour pour permettre aux trois derniers Humains de s'exfiltrer de la zone des combats. Kalinaas le Cybérien fut cependant trahi par l'un de ses compagnons, Itomas le baroudeur. Il égorgea mon aïeul pendant la nuit et s'enfuit en emportant Bâlâ Seh sous le bras. Nul ne sait ce qui a pu motiver son acte. Le dernier témoin de ces évènements tragiques atteignit Cybère quatre années après le départ. Il rapporta les faits à Kalinaas le Fils, l'aîné des enfants du Cybérien. Mais l'objet céleste demeura introuvable...

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La maison Kar'Gara avait perdu son dernier représentant, comme de nombreuses autres maisons naines. L'effort ne fut pas vain. Vers 2100 a-crH, même si des combats sporadiques existèrent encore par la suite, les rares Dragons survivants fuirent vers le nord, là où le froid empêchait toute autre créature de prospérer. Les petits êtres se terrèrent sous la surface, dans les immenses galeries qu'ils avaient creusé au cours du conflit. Ils conservaient le contrôle de leurs montagnes, mais le traumatisme collectif qu'ils subirent eut la résonnance d'une défaite. La haine qu'ils vouèrent dès lors aux Dragons perdura longtemps et est encore très vivace aujourd'hui.

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L'exode des créatures ailées vers le nord fut à l'origine de la nouvelle agitation barbare. Des tribus descendirent des montagnes Vertigo et balayèrent les royaumes primitifs qui s'étaient développés autour du lac des Légendes. En 2080 a-crH environ, deux colonnes se présentèrent aux portes de la Sakasie. L'une, commandée par Norvskr le Puissant, déboucha directement dans le bassin du Cyclade et menaça les cités majeures du Royaume. L'autre, dirigée par son jumeau Nordr le Fier, surgit sur la plaine d'Itaq à l'ouest de la mer Centrale. Les deux frères étaient en profond désaccord sur la stratégie à employer. Le premier, farouche et rustique, militait pour une invasion brutale de la Kalésie et de Parthénis afin de briser rapidement toute réaction sakase. Le deuxième, plus subtil et calculateur, souhaitait couper les voies d'approvisionnement du royaume pour asphyxier la capitale avant de la cueillir comme un fruit mûr.

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Norvskr le Puissant et Nordr le Fier réglèrent leurs différends en duel, comme il était de coutume chez les barbares, mais les deux guerriers combattirent sans se donner la mort et sans abandon. Ils se séparèrent épuisés et entraînèrent derrière eux les tribus partisanes. Lorsqu'ils fondirent sur la Sakasie en appliquant leurs stratégies respectives, les seigneuries ripostèrent avec vigueur mais sans aucun commandement unifié. L'ouest de la mer Centrale, terrain de chasse de Nordr le Fier, tomba rapidement sous le contrôle des barbares. Le bassin du Cyclade, effort de Norvskr le Puissant, résista plus efficacement grâce à la présence mobilisatrice du roi.

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Les actions combinées (mais rivales) des jumeaux foudroyèrent la Sakasie. Une poignée d'années après le début de l'invasion, le royaume s'effondra comme un vulgaire château de sable. C'est finalement Nordr le Fier qui eut la peau du souverain, remportant son duel à distance contre Norvskr le Puissant. Celui-ci, affaibli par de lourdes pertes dans ses rangs, campait toujours devant les murailles de Parthénis lorsque son frère fit irruption par la mer et s'empara du palais royal. Il n'y eut pas de rancune entre les deux acolytes mais plutôt, dit-on, une franche poignée de main. Ils se séparèrent toutefois pour de bon, et chacun se remit en marche vers son destin.

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Selon la légende, les tribus affiliées à Nordr le Fier auraient engendré le peuple nordien après avoir investi le littoral nord-ouest des Terres du Partage, tandis que celles restées fidèles à Norvskr le Puissant auraient formé le peuple norvskien après s'être installées dans les vallées entre le fleuve Blanc et le fleuve des Esprits. Cependant, de nombreux barbares s'installèrent en Sakasie et constituèrent, sur les ruines des seigneuries, des petites principautés concurrentes.

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