1.9 - Les principautés combattantes

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Waneta le Rugissant régna sur l'empire shyve jusqu'à l'âge de 80 ans. Il ne chercha jamais à châtier les traitres sakases, se contentant de consolider sa domination jusqu'à la frontière naturelle du fleuve Blanc. Son fils et successeur Quanakee le Légitime, en revanche, hérita de sa rancune et mit à exécution ses désirs de vengeance. Dans les toutes dernières années du troisième millénaire a-crH, il conduisit ses troupes par-delà la boucle du Cyclade, menaçant directement les principautés majeures sakases et barbares.

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Esméraldée la Voyageuse avait déjà quitté ce monde mais avait donné naissance à quatre fils. Un seul survécut jusqu'à l'âge adulte et pas forcément le plus sagace. Car non content de s'être désintéressé de la charge héréditaire de notre lignée, Phydiès l'emporté s'égara à participer activement à l'ignonimie des trois fléaux. Il était certes un grand guerrier, mais il se déroba à ses responsabilités premières qui étaient de protéger Bâlâ Seh pour, le jour venu, révéler ses écrits.

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Il fut à la tête d'onagriers sakases en Pendrélie, cette région vallonnée qui constitue l'intérieur de la boucle du Cyclade. Un simple lieu de passage pour Quanakee le Légitime, où les troupes impériales affrontèrent néanmoins les harcèlements imposés par les principautés barbares de cette contrée. Privés de ravitaillement, les envahisseurs cherchèrent une confrontation rapide et l'obtinrent sur la fameuse colline de Logomars. À dix guerriers d'élite contre un Pendrelin sous-armé, l'affaire sembla aisée pour l'empire. Mais lorsque les fameux javeliniers shyves ainsi que les redoutés soldats blancs, armés de tridents, enfoncèrent les lignes ennemies au pied de la colline, le Légitime perdit pied : les onagriers sakases ainsi que les guerriers-fauves barbares, provenant des principautés de la plaine d'Itaq, déboulèrent depuis la vallée puis se jetèrent dans la bataille avec rage. On estime que 150.000 soldats shyves, contre 120.000 coalisés, participèrent au massacre qui s'ensuivit. Phydiès l'Emporté fut de ceux-là. Cet homme aimait le goût du sang et l'âpreté des combats...

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Au plus fort de la bataille, l'empereur shyve chercha à imiter la génération de son père. Il se coupa une oreille et se creva un œil, comme pour conjurer le mauvais sort. Désormais membre incontestable du clan Unique, il argua ses sages d'invoquer les génies de Logomars. Mais rien n'y fit. Quanakee le Légitime se vida de son sang et ses fidèles abandonnèrent le champ de bataille, non sans sacrifices. Les Sakases et les Barbares, unis dans l'effort comme rarement dans l'histoire, gagnèrent leur liberté, à défaut d'avoir trouvé leur roi.

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Phydiès l'Emporté s'illustra sur le champ de bataille et gagna les faveurs de plusieurs seigneurs. Volontiers charmeur, assurément malin, il devint le prince respecté et redouté d'Odjari, un petit port ancré sur le bord le plus oriental de la mer Centrale. Il y garda Bâlâ Seh consciencieusement mais préféra déléguer le poid de sa servitude à ses enfants et ses petits-enfants, fort heureusement plus éveillés que lui sur ces enjeux. Ceux-ci combattirent ardemment les guerriers du clan Cytharoès, initiés jadis aux secrets du leg d'Érès et désormais tenants de sa disparition forcée. Des esprits non préparés, et donc effrayés, qui ne cesseront de représenter un danger pour nous tous.

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Les deux siècles qui suivirent la tentative d'invasion de l'empire shyve furent tout autant chaotique que celui qui s'achevait. Les principautés cherchèrent à réunifier la Sakasie pour leur compte et s'opposèrent sans relâche. La bataille de Logomars devint très vite un lointain souvenir, auquel se rattachèrent pourtant ces aspirants-rois. Parthénis sortait du lot mais fut incapable de venir à bout de Cybère, Ikaratre, Perphalis, Dajylar, Odjari, et tous ces centres urbains de puissance similaire. Sur ce fond de guerre perpétuelle, les Sakases avaient également l'ambition de bannir toute présence barbare sur leur sol. Mais plus qu'une cité, ce fut finalement un clan qui réussit l'impossible, et pas n'importe lequel.

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Épyméthès l'Irascible, chef du clan Cytharoès et descendant d'Itomas le baroudeur, se rendit maître des plaines du sud par un habile jeu d'alliances ainsi que des conquêtes minutieusement ciblées. Les Sakases de ces terres différaient de ceux du Cyclade par leur refus de la sédentarisation et la poursuite d'un mode de vie pastoral et guerrier. Les "Furies", ancêtres des Doriancils, se démarquaient particulièrement car ils affrontaient le désert avec aisance. Ils furent des chasseurs d'esclave redoutables, et les populations par-delà les montagnes d'Heru en firent les frais. Épyméthès l'Irascible s'entoura de ces hommes-là. Des voyageurs turbulents, rustiques et brutaux, mais néanmoins dotés d'un sens de l'honneur aiguisé.

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Le chef de clan entra dans Cybère en vainqueur, même si ses desseins étaient ailleurs. Il s'était provisoirement détourné de la quête du livre divin porté par les siens, mais se présenta aux portes d'Odjari aux alentours de 1800 a-crH avec ses cavaliers nomades. Mon clan, incapable de résister à de tels guerriers, se divisa en deux maisons aujourd'hui bien distinctes. Ataraxaas, mon ancêtre direct fondateur de la première, arrière-petit-fils de Phydiès l'Emporté du côté paternel, hérita de la sauvegarde de Bâlâ Seh. Il gagna Parthénis mais se prépara à faire front contre les troupes du sud. Haxamaniyée, petite-fille de l'Emporté du côté maternel, fut la fondatrice de la deuxième maison. Elle céda Odjari sans combattre et dissémina le reste du clan au sein du Râzâdi.

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Assoiffé de pouvoir, Épyméthès l'Irascible ne donna aucun répit à ses ennemis et approcha de Parthénis. À sa suite, son armée avait fière allure et inspirait la crainte de ses contemporains. La cité millénaire obtint l'aide des cités concurrentes du bassin cycladique pour faire face aux nomades. Cette alliance de circonstance précipita toutefois leur chute à toutes, car elles n'étaient pas en mesure de s'opposer aux hommes de cette trempe.

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L'Irascible était magnanime avec ses ennemis vaincus, mais cruel avec les traîtres et les lâches. Parthénis qui céda à la peur, subit les foudres du conquérant et le déchaînement des Furies. Quelques habitants, dont Ataraxaas et son précieux ouvrage, parvinrent à fuir vers le nord mais la grande majorité fut massacrée. L'essentiel était ailleurs pour le chef du clan Cytharoès. Entouré de son élite, il pénétra à l'intérieur du palais royal puis jusqu'à l'ancienne salle du trône, sans poser pied à terre. Il reçut la soumission piteuse du prince déchu avant de lui couper la tête, puis proclama la renaissance du royaume de Sakasie sous son commandement.

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L'ère obscure prenait fin en même temps que la période des "principautés combattantes". Même si les barbares et les sakases du nord du royaume résistèrent encore longtemps aux successeurs d'Épyméthès l'Irascible, devenu Épyméthès Ier, cette période de guerres incessantes stimula puis favorisa de grands progrès techniques. Une ère de stabilité, bien plus documentée que la précédente, s'ouvrit pour l'ensemble des Terres du Partage. Elle fut encore considérée comme archaïque, mais elle pré-figura les futurs succès du royaume des Humains.

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