Un pays où il fait si froid
C'est venu comme ça, tout seul.
Je ne demandais rien de spécial, juste de pouvoir m'isoler un peu, histoire de me donner du temps. De donner du temps au temps. Et il s'est mis à neiger sans discontinuer.
Ça faisait si longtemps que tombait ce coton froid, glacé, qui restait collé à mon chapeau de paille. J'avais beau le brosser, rien n'y faisait, les flocons restaient accrochés, me narguant.
Alors, fatiguée, j'ai laissé tomber. Le brossage et la neige.
Je regardais les hibiscus se franger de blanc, je voyais les mangues se ternir dans les arbres et me tournant vers la mer, je la voyais geler sous mes yeux, transformant les vagues vivantes en rouleaux de glace figés pour l'éternité.
Si j'y réfléchis bien, la neige, ce n'était pas grand-chose. Un enchantement météorologique, finalement, rien de plus. Tout le monde s'accommode de petits désagréments, n'est-ce pas? Frotter continuellement mon chapeau, était-ce si difficile ? En plus, ça m'occupait. Je me souviens même que parfois, je le coiffais et sortais, exprès pour pouvoir ensuite souffler cette poussière de froid. Par défi, je restais même en plein soleil, histoire de montrer ma détermination à ne pas me laisser envahir par ce froid, histoire de montrer que je pourrais gagner un jour. Qui sait ?
Non, je ne savais pas. Je ne savais pas que je n'avais pas en moi la force de gagner.
Et, fatiguée de brosser cette neige qui m'éblouissait, m'aveuglait, je rentrais à l'ombre glaciale de mon faré. Je restais dehors de moins en moins longtemps.
Aujourd'hui où j'écris des mémoires durs comme de la pierre gelée, je n'ai plus peur de la neige. Elle était finalement un réconfort, elle obsédait mes jours, qui alors passaient sans que je les compte, sans que je les voie.
Mais il est trop tard, j'ai rompu la magie en découvrant le feu, la neige sur mon chapeau m'a alors parue bien terne comparée à ce cuisant fluide en moi.
Le froid conserve, cristallise jusqu'à la métamorphose attendue. Il faut avoir la force d'attendre qu'il finisse. Et que les sens reviennent à la vie, que la paralysie s'efface.
Je n'ai pas eu cette force.
Dans l'ombre glacée de ma maison au toit de feuilles de cocotier, je me suis blottie sous un tas de paréos en chiffons, j'ai allumé des braises dont l'incandescence m'aidait à oublier. Ce froid. Ce froid insupportable. Mon coeur gelé ne pouvait plus rien, il était au bout du rouleau, comme emprisonné dans la mer durcie.
Alors sous quarante degrés, je me suis réchauffée à la vodka, au rhum, à la gnôle, enfin, à tout ce qui alimentait un feu constant, à tout ce qui ne gèle jamais. L'indifférence absolue.
Si j'y réfléchis bien, la neige couvrant mes jours et mon île, ce n'était pas grand-chose. Je n'ai juste pas eu la force d'attendre qu'elle fonde à un soleil revenu.
Mes mémoires, dont la plume froide se trempe dans l'alcool pour imprimer le papier, tournent en boucle. Une histoire que je commence par la fin, sans retrouver le fil, trop ténu, une histoire qui commence et s'arrête à la dernière et unique phrase, à la seule qui régisse désormais ma vie.
D'une écriture hésitante, mes tremblements étant maintenant irrépressibles, j'écris sans fin sur les étiquettes des bouteilles que j'arrache : « Il fait trop froid sans toi, le soleil des Tropiques n'y peut rien ».
Même ivre, j'ai si froid.
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