Samedi Écriture - Vous êtes allé vivre en ermite dans la forêt. Des années plus tard, vous sortez de votre isolation et le monde a bien changé.

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-Olaf, ne me quitte pas !

Ce furent les dernières paroles que j’entendais, celle de mon aimée Eurydice. Sa chevelure brune voletant autour de son visage exprimait plus d’émotions que ses yeux bridés. Son regard était noyé, sa peau ne présentait aucune ride, sa pâleur était extrême, le sang avait quitté son visage. Aucune autre émotion autre que la tristesse et l’incompréhension. Ses cheveux, lisses, noir comme si aucune lumière n’osait les toucher de peur de perdre tout éclat. Ils volaient, fouettaient l’air autour d’elle, ils étaient long, formait comme un bouclier et milles épées, quiconque l’approcherait ne le ferait qu’au prix d’un immense courage. Ils dardaient, fouettaient, fendait l’air. Ils exprimaient tout ce qu’elle n’arrivait pas à digérer : colère, tristesse, déception, rejet...amour perdu.

Mais je la quittais, j’avais peur de moi-même. Je ne voulais pas être un danger pour elle et pour l’enfant dans son ventre. Trop peur, de le contaminer lorsqu’il naitrait, le contaminer de…de tout ce qui est moi. Il, ou elle, méritait mieux que moi. Elle venait de me l’annoncer, ce fut moi le premier qui arborait un visage coi. Puis ces mots sont sortis de mes lèvres : Je…te quitte, je m’en vais, ne me retiens pas, je ne peux pas t’expliquer… Je t’ai aimé, je t’aime, je t’aimerai toujours, mais je dois partir. Ne le nomme pas après moi.

Après cela, je reprenais la porte que je venais de franchir, la clé de ma voiture dans la main, le blouson en cuir toujours sur mes épaules, je sautais même la barricade pour fuir plus vite, si elle me suivait elle devrait dévaler les 10 marches de l’escalier du motel. Dans la cour du motel, je sautais en voiture, une rutilante Chevrolet Impala, rouge comme le sang. Le sang, c’est grâce à lui que j’avais acheté cette voiture.

Eurydice me lança ces dernières paroles que mes oreilles perçurent, elle était devant la porte de notre chambre, appuyée à la barricade, le vent fouettait ses cheveux, sa voix était déchirante.

Le moteur rugit et m’emmenait loin. Très loin. Au nord. Bien plus au nord. De San Francisco je partais pour le nord, sans savoir où m’arrêter. Un endroit où l’on ne me trouvera jamais, où mon passé ne me rattraperai pas. Je plantai la voiture dans un arbre, le long d’une route de montagne, pour faire croire à ma disparition. Je continuais à pied, puis en stop, puis les Rocheuses m’ouvrirent leurs sentiers. De sentiers en sentiers, de lacets en lacets, même de falaises en falaises je grimpai. Pendant des années, je n’ai croisé personne, perdu dans les montagnes.

Je trouvais une maison aussi perdue que moi, en bois, construite il y a des années, probablement en 1800. Les hivers étaient rudes, les étés étaient chauds, les printemps étaient magnifiques, les automnes courts. Ainsi, pendant des années les saisons se succédaient. Mes cheveux poussaient, je les couper, puis lorsqu’ils dépassaient mes épaules, je les couper encore. La faune était aussi nourrissante que la flore. Une vie rêvée ? Loin du passé. Le passé. Les autres. Elle.

J’entrepris de descendre de ma montagne, de rejoindre la civilisation, juste pour voir, pour la retrouver. Oh, pas pour lui parler, pour me rassurer. Voir que sa vie est meilleure que si j’avais été là.

Elle. Elle n’avait jamais cessé de posséder mes rêves, Eurydice. Je revoyais ses cheveux magnifiques onduler. Ils étaient noirs, plus noir que tout, peut être avaient-ils absorbé toute la noirceur de son âme, expliquant sa pureté. Son sourire, si beau, éclatant, un soleil dans la nuit de ses cheveux.

Des semaines durant je crapahutait, dévalait les pentes de ma montagne. Au loin je croisais des promeneurs. Je les évitais. La route, enfin.

San Francisco. Cela m’avait pris des semaines pour rentrer. Après des années innombrables, je retrouvais la ville où je l’avais quittée. San Francisco, appelai-je, comme si la ville me répondrait, où êtes-vous ? J’évitais de retourner dans nos anciens lieux, de peur de croiser d’anciens collègues. Bien que dans mon ancien boulot, on ne vivait pas vieux.

J’errai, pas comme un sans domicile non, mon compte en banque n’avait jamais cessé de m’attendre. Je lui donnerai tout. « Eurydice ! » pleurais-je, assis sur un banc d’un parc. Retrouver une aiguille dans une botte de paille. Un jeune homme s’assit à côté de moi, s’intéressa à moi, et de fil en aiguille, la botte de paille devenait moins gigantesque. Je lui expliquai mon chagrin, mon désespoir. Il dégaina son smartphone de sa poche (ne soyez pas étonné, après des semaines à errer dans la ville, j’avais rattrapé mon retard).

Ce fut quelques jours plus tard que je la retrouvais enfin. J’avais imaginé tant de fois nos retrouvailles, de la plus romantique des façons à la plus difficile. Mais je n’avais pas osé imaginer la trouver mariée. Je n’avais pas osé me l’avouer, m’avouer que j’avais été le plus grand idiot du monde. Non, je suis parti pour la protéger, elle est en vie, heureuse, j’ai réussi… Et j’ai échoué en même temps. Cruelle est la destinée. Tant que je ne revenais pas, elle était encore à moi dans mes rêves, mais maintenant, plus jamais.

Ses cheveux noirs étaient maintenant argentés, ils accrochaient les rayons de soleil et étincelaient. Son visage était ridé. Son sourire un peu moins énergique qu’à nos 20 ans, mais plus serein dans sa septième décennie. Elle s’était mariée, des années après ma fuite, c’est l’homme du parc qui a pu me l’apprendre. Elle vivait bien, heureuse, 3 enfants, et maintenant des petits-enfants. Son fils, mon fils, Marius, avait maintenant 53 ans.

Pendant des années je restais en ville, son mari Argos cessa de vivre. Il me fallu attendre encore une année pour rassembler tout mon courage de lâche.
Un soir, alors que le soleil se couchait, je m’approchais d’elle. Et dans la lumière du soleil couchant, je l’appelai : Eurydice.
Nous nous regardions, les yeux dans les yeux, toutes les émotions y passèrent, nos mains se prirent, cet instant dura une éternité.

Fin.

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