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Le temps continuait son court. Lola attendait seule sous la pluie que le soleil revienne. Seule ? Non, jamais totalement. Son monstre jouait à chat avec les gouttes qui tombaient. Des brûlures barraient les bras de la petites filles. Des griffures sur ses flancs, des fêlures sur son visage. Dans une flaque, son reflet se désagrégeait en particules cendrées. Et Doki ? Doki souriait, bien sûr. Il récupérait les cendres une à une, les recollait dans l’espoir de les voir s’envoler à nouveau.

En rentrant chez elle, Lola s’arrêta soudain. Elle observa sa créature, placide, examina cette difformité noire, ces orbites vides et dégoulinantes. Elle semblait le voir pour la première fois : Doki était vraiment laid.

Ses jambes bougèrent d’elles-mêmes lorsqu’elle s’enfuit. Elle fuyait ce monstre qu’elle avait toujours connu et qui aujourd’hui, lui faisait peur. Elle courut à s’en briser les poumons, sur la route envahit de pluie et de sang. La nuit pouvait tomber, le monde pouvait s’effondrer, que lui restait-il ? Elle n’était rien de plus qu’une petite fille perdue dans le monde. À son âge, on a peur du noir, la véritable souffrance n’existe pas, à cet âge, on est heureux, quoiqu’il arrive.

Ses pas rencontrèrent des renfoncements trempées. Lola trébucha et s’écrasa sur le bitume dans un cri suraigüe. Elle comprit avant de le voir : Doki était encore là. Qui était-il ? Qu’était-elle ? La vie n’avait aucun sens, elle n’était qu’une boule de nœuds qui étranglait quiconque en faisait partie.

Les griffes acérées de son monstre se plantèrent dans son cou. Sa présence dans son dos enchaîna ses chevilles, passa une laisse autour de sa tête pour ne plus jamais la laisser partir. Le sang et la pluie formèrent des pétales écarlates sur le béton. Lola hurla, se débattit pour retirer les mains de Doki qui l’étranglait. La poigne se resserra davantage. Dans un sursaut désespéré, la petite fille se dégagea. Elle se retourna pour faire face à son agresseur. Doki souriait. Ses yeux dégoulinaient.

— JE TE DÉTESTE ! hurla-t-elle. TOUT ÇA, C’EST DE TA FAUTE !

Sa voix se brisa dans un souffle de douleur. Elle dégueula toute sa haine, toute sa rancœur dans à peine une respiration.

— Toutes les nuits, tu m’empêches de dormir. Tu hantes tous mes cauchemars. Tu es moche, tu es laid, je te déteste, JE TE DÉTESTE ! C’est à cause de toi que je pleure tous les jours. Va-t’en ! VA-T’EN !

Dégage, barre-toi, casse-toi, les mots ne suffisaient plus à Lola. Elle balançait des coups de poing à la créature, des coups de pieds dans ses jambes hérissées de piques, elle lui crachait à la figure, elle hurlait de toutes ses forces. Elle souhaitait tout jeter à la gueule de celui qui l’avait souffrir pendant tant d’années. Doki se saisit de ses poignets et l’immobilisa.

— LÂCHE-MOI ! MONSTRE !

Elle hoqueta, arracha son cache-œil. Ses lunettes se brisèrent par terre. Le sol n’était plus qu’une vague de pluie, de sang, de larmes et de verre.

— STOP ! À L’AIDE !

Doki entoura ses sept doigts autour de la nuque de la petite fille. Ses membres, faibles, ne pouvaient rivaliser avec la force d’un monstre et la paralysie de la terreur.

— Toi… Stop…

Doki sourit. Le cœur de sa victime ralentit pour devenir le murmure d’un pâle espoir.

— Toi… Moi… me déteste. Je me déteste…

Lola laissa échapper un dernier soupir dans un sanglot. Son corps s’affaissa, raidit et froid. Doki, pour la première fois, cessa de sourire. Sa bouche se décrispa, il ouvrit sa mâchoire, grand, très grand, il l’étendit au point de se briser, au point de pouvoir manger le monde entier. Il avala la petite fille.

La pluie cessa. Le monstre se redressa. De la petite fille, ne restait que les lunettes brisées. Doki fixa un long moment les nuages noirs. Les longues années de silence et de douleur pouvaient à présent commencer.

Dans l’eau qui reflétait le ciel, se dessinèrent des milliards de cendres qui s’envolaient jusqu’aux étoiles…

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