Il y a plusieurs millénaires, sept Dragons immortels quittèrent les cieux pour unir leurs pouvoirs et créer leur propre pays, qu’ils nommèrent Weylor.

Illuyankas, le dragon d’or, aîné des sept, engendra le monde des morts afin d’y accueillir les âmes ;

Crystal, la dragonne d’argent, apporta la vie ;

Nyrvana, la dragonne blanche, instaura les saisons ;

Onyx, le dragon noir, façonna la terre qui serait le réceptacle de leurs pouvoirs unis ;

Vohon’, le dragon rouge, rendit la terre fertile ;

Némésis, le dragon bleu, fit couler l’océan et les rivières ;

Zmeï, le dragon vert, sema les plaines et les forêts.

Reconnaissants de ces présents, les habitants de Weylor construisirent à chacun une Tour enchantée atteignant les cieux. Flattés, les Dragons s’y installèrent pour veiller sur Weylor en parfaite harmonie.

Les siècles se succédèrent, jusqu’à l’apparition d’un visiteur mystérieux qui rencontra Illuyankas. Désireux de rendre la vie confortable aux Mortels, il offrit la promesse d’amener le peuple vers le progrès, afin de réduire les inégalités entre porteurs de magie et Sans-Pouvoirs. Le Dragon consentit à lui offrir un cadeau exceptionnel.

L’homme tint parole : la précarité diminua, la vie s’améliora, et le quotidien des Mortels devint plus aisée.

Plusieurs années plus tard, l’apparition d’un porteur de magie surnommé « Pouvoir Universel » bouleversa la tranquillité des Dragons.

Si les Dragons firent en sorte de résoudre ce problème, ils le payèrent chèrement. Leurs pouvoirs se retournèrent contre eux et une terrible malédiction prit possession de leurs corps et de leurs esprits. Seuls les trois aînés, Illuyankas, Crystal et Nyrvana, en réchappèrent. Malheureusement immortels, ils furent condamnés à lutter contre leurs frères pour l’éternité afin de limiter les catastrophes naturelles que leurs pouvoirs en dérive provoquèrent.

Weylor plongea dans le chaos.

§§§§§

• Maître ?

Le vieil homme se retourna. Il arborait une expression grave et triturait nerveusement sa chevalière d’or. Son assistant, un cinquantenaire, arborait une expression inquiète.

• Que se passe-t-il ? Puis-je vous être utile ?
• Les Aînés ont enfin parlé.

L’assistant se figea. Voilà longtemps que les Dragons ne s’étaient plus adressés aux Mortels. De par son statut de « Messager des Dragons », son Maître était capable d’entendre leurs annonces et prédictions.

• Maître, pourquoi cet air si grave ? S’ils ont parlé, c’est qu’enfin, cette malédiction cessera bientôt ! C’est plutôt une merveilleuse nouvelle, non ?
• Whélos, je vais mourir.

Son interlocuteur blêmit. Le Messager avança dans sa direction, sa longue cape ouvragée glissant sur le sol. Il regarda Whélos dans les yeux.

• Ecoute-moi bien. Ton rôle, désormais, est de sauver Weylor.
• Mais… mais vous ?

Inutile d’insister. Whélos savait que si son Maître entendait se sacrifier, c’était qu’il n’avait pas d’autres choix, même si son cœur se serrait à cette idée. Leurs vies étaient sur le point de basculer.

• Nous n’avons pas beaucoup de temps, lui expliqua le Messager avec un calme édifiant. Les Dragons ont en effet annoncé la fin de la malédiction. Souviens-toi, il y a environ deux cents ans, une rumeur sur l’existence d’un « Pouvoir Universel » s’est répandue. Les Dragons l’ont faite taire et ce pouvoir a subitement disparu. Jusqu’à aujourd’hui.
• Que voulez-vous dire ?
• Tu vas comprendre.

Le Messager lui tendit un coffret. Whélos le saisit et l’ouvrit. Ses yeux s’écarquillèrent de stupeur et il dévisagea son ami avec tristesse.

• Maître ! Vous vous êtes arraché les souvenirs de la Prophétie des Dragons ! La situation est-elle si désespérée, pour que vous ayez été obligé de vous infliger cette blessure ?

Le Messager des Dragons hocha la tête gravement. Il poussa le coffret dans les mains de Whélos. Comprenant le message, il tendit son doigt vers sphère lumineuse, empli d’appréhensions.

À peine l’effleura-t-il que des mots résonnèrent dans son esprit.

Las du Traître, las de ce combat éternel,

Erudit sans magie et Pouvoir Universel

Les Maudits ont rendu leur jugement.

Après deux cents ans de tourments

Deux Sans-Pouvoirs pour lui donner corps et vie

Béni par la Terre, béni par l’Esprit

Au prix du silence éternel.

Allié aux éléments et à un esprit érudit,

Libèrera les Maudits.

Anéantira le Pouvoir Universel de l’existence

Pour marquer la fin de l’ère du Traître.

Blême, Whélos referma le coffret et lutta contre lui-même pour ne pas le faire tomber. Il comprenait mieux la situation.

• Le Pouvoir Universel existe donc bel et bien… conclut-il d’une voix blanche.

Ses doigts tremblaient malgré-lui.

• Par les Dragons, ce n’était pas qu’une rumeur, c’était la vérité ! Et le pire, c’est qu’il est encore de ce monde ! C’est pour ça que vous devez vous… vous…

Le Messager des Dragons acquiesça. Il posa une main sur l’épaule de Whélos.

• Mon ami. Tu l’as deviné comme moi : il est évident que l’ennemi cherchera à en savoir plus. Je me suis arraché le moindre souvenir de cette Prophétie pour cette raison. Emporte-les avec toi, et disparais de Kyrma. Disparais sans laisser de traces, fais en sorte que personne ne puisse te retrouver. Je te charge de mettre ces souvenirs à l’abri. Fais ce qui est nécessaire pour que cette Prophétie se réalise. Tu as suffisamment appris auprès de moi pour comprendre ce qu’elle signifie. Tu as toute ma confiance.

Les mains de Whélos devinrent moites. Leur dernier échange devait-il réellement se dérouler ainsi ? Tous les deux avaient rapidement dépassé le stade de la relation Maître et assistant. Au fil des années, ils étaient devenus de grands amis. Son cœur saignait à l’idée des risques que prenait son Maître.

Whélos ne devait pas se laisser submerger par le deuil. Il réajusta ses lunettes et s’inclina profondément.

• Je vous promets que votre sacrifice ne sera pas vain, Maître. Nous nous reverrons au royaume des Dragons.