Chapitre 20

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Karel marchait dans la plaine calcinée. Marqué par la mort violente de Radôn, il peinait à retrouver ses esprits. Le jeune garçon de huit ans redoutait un peu moins de remettre les pieds hors de sa chambre, bien qu’il regardait encore sa porte fermée avec anxiété. Ce maudit souvenir revenait sans cesse le hanter.

Yeux révulsés. Doigts cherchant à lui attraper sa cheville. Des spasmes terrifiants, des sons de strangulation, l’homme se débattant à ses pieds sur les marches usées. Ses yeux, encore une fois, vidés de leur âme. Karel plaqua vivement les mains sur ses tempes et secoua la tête. Il grimaça et ferma les yeux, comme si cela pouvait lui effacer cette scène de la mémoire.

Karel reprit sa marche au milieu des décombres à la recherche de quelque chose, n’importe quoi qui pourrait détourner son attention. Il soupira, déçu de ne rien trouver. Ces ruines, il les connaissait par cœur. Malgré ça, il était toujours parvenu à y trouver de l’intérêt. Ce terrain de jeu était son favori. Ce jour-là… rien. Ses pensées restaient tournées vers son traumatisme. Si Karel ne s’était jamais vraiment entendu avec les adultes du château, il était à des lieues de leur souhaiter du malheur. Comment pouvait-on mourir comme ça, de manière aussi soudaine et violente ?

Karel marcha encore quelques mètres. Il s’éloigna de plus en plus des ruines et dépassa son périmètre autorisé. Mettre le plus de distance possible avec la demeure lui permit d’apprécier le silence des lieux. Karel avait toujours trouvé fascinant le contraste entre cette terre figée par le temps et le ciel parfois animé par le vol des oiseaux et la course des nuages. Plus il s’éloignait de l’agitation, et plus il avait l’impression de parvenir à se calmer. Un peu.

Karel aperçut un arbre isolé et brûlé au tronc épais. Le petit garçon s’en rapprocha et se laissa choir contre le tronc noir en lâchant un nouveau soupir. Ses doigts s’enfoncèrent dans la terre noire, la tête appuyée contre le bois. Il ferma les yeux pour essayer de s’apaiser.

Pourquoi ce souvenir insistant l’empêchait de s’amuser ? C’était comme si la joie ou même l’intérêt aux choses lui avait été arrachée. Même la légère humidité de la terre ne parvenait pas à lui être agréable.

Cette sensation bizarre qu’il avait eu cette fameuse nuit, qui cherchait à sortir de lui, qu’est-ce que c’était ? Une sensation qu’il ne savait décrire, mais pourtant bien là. Quelque chose que sa mémoire avait cherché à exprimer avec violence, mais qui n’avait pas pu se faire pour une raison qui lui était obscure. Karel n’avait rien compris à ce qui s’était passé. Puis Elma était arrivée et était devenue son seul point d’ancrage. Ce n’était pas Serymar qui l’avait sauvé, cette fois.

Karel se sentait anxieux à l’idée de découvrir son Maître faillible. Cela ne faisait qu’illustrer une dure vérité que Serymar lui avait inculqué : à tout moment, il pouvait se retrouver seul.

Karel prit enfin conscience de sa propre vulnérabilité, et cette idée le dérangeait. Il se promit de ne plus se complaire dans la protection que le Mage lui accordait. Il devait devenir plus fort et plus indépendant.

Karel rouvrit les yeux, remonta ses jambes contre lui puis les entoura de ses bras pour y poser ta tête, le regard perdu dans le vague.

Devenir plus fort… Il doutait d’y parvenir un jour. Quand il voyait Serymar réussir avec une facilité déconcertante le moindre sortilège, même les plus complexes, alors que Karel mettait parfois plusieurs jours pour maîtriser ses propres capacités magiques…

Frustré, Karel redressa le dos et regarda ses paumes. Il devait absolument développer ses pouvoirs. C’était le seul moyen qui lui permettrait de moins dépendre des autres.

Ses réflexions furent interrompues par un bruissement qu’il avait plutôt l’habitude d’entendre dans la serre souterraine du château. Intrigué, il releva la tête et regarda au-dessus de lui. Il ouvrit la bouche de stupéfaction : à quelques mètres au-dessus de sa tête, des branches poussaient. De ces nombreuses ramures apparurent des feuilles et des bourgeons aux couleurs éclatantes. Des fleurs roses et blanches naquirent des bourgeons à un rythme gracieux et onirique. L’arbre donnait l’impression d’avoir quadruplé sa taille. La masse végétale était si dense que certains pétales et feuilles ne purent tenir. Ils se décrochèrent avec grâce et élégance. Ils flottèrent lentement jusqu’au jeune garçon sous ses yeux ébahis. L’herbe se remit à pousser autour des racines, aussi éclatante que le reste.

Fasciné, Karel s’émerveilla devant ce spectacle fantastique, jusqu’à ce qu’un pétale rose se pose sur ses paumes et l’examina de plus près. Il était vrai. Karel se releva vite pour faire face à l’arbre. Sur le tronc, à l’endroit même où il s’était appuyé, une grande tâche claire grignotait petit à petit toute la surface calcinée pour lui redonner vie.

Le petit garçon eut l’impression de vivre un rêve éveillé. Lorsqu’il regardait au-delà du périmètre, tout était aussi noir et gris que ce qu’il avait toujours connu, rien ne bougeait. Malgré le ciel bleu sans nuages et dégagé, Karel avait le sentiment de n’avoir jamais vu tant de lumière dehors. Le contraste était saisissant. Karel passa plusieurs secondes à regarder ses mains et l’arbre.

C’était si incroyable et inattendu que son cœur se gonfla de joie. Une joie qui lui fit enfin oublier cette nuit traumatisante. Karel se rendit compte que plusieurs pétales et feuilles s’étaient emmêlés dans ses cheveux. Un sourire euphorique étira ses lèvres. Soudain, Karel bondit et tourna sur lui-même en écartant les bras. Il dansa sous cette douce pluie végétale et donna des coups de pieds ici et là pour faire voler les pétales du sol.

Il avait réussi. Il ignorait comment, mais il avait réussi. Karel s’immobilisa et resta encore sur place quelques instants, désireux de graver cette image magnifique dans son esprit afin de la reproduire sur papier. Il n’avait jamais rien vu d’aussi merveilleux.

Le cœur en liesse, Karel courut vers le château. Il devait absolument raconter ça à Serymar !

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