Chapitre 23 - 1

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Karel ne cacha pas sa joie quand Elma lui indiqua qu’enfin, il pouvait voir le Mage sans risques. Il n’attendit plus et partit à sa rencontre.

Le petit garçon s’engouffra dans les escaliers en courant. Il les connaissait tellement par cœur que les sauter quatre à quatre ne fut pas un problème. Il avait en mémoire la moindre marche, même celles qui étaient à moitié cassées. Il avait si hâte !

Il atteignit enfin le dernier étage. Essoufflé, Karel fit une petite pause à la sortie des escaliers et posa ses mains sur ses genoux pour reprendre son souffle. Cela fait, il se redressa et avisa le couloir. Sombre, comme tout le reste du domaine. La seule source de lumière se trouvait plusieurs mètres plus loin.

Karel s’engagea dans le couloir plus calmement. Il marcha quelques mètres jusqu’à la porte de Serymar. De minces rayons de lumière traversaient les fissures jusqu’au sol. Karel plissa les yeux pour essayer de voir au travers de celles-ci. Son Maître était bien là, concentré sur un rouleau, un linge posé sur ses cervicales.

Karel semblait avoir oublié les sens affûtés de Serymar, qui détecta sa présence. Il effectua un simple geste de la main qui ouvrit la porte, ce qui ne laissa pas à Karel le temps de se donner un air innocent ou même d’esquisser le moindre geste.

La gêne l’envahit. Karel savait pourtant que le Mage détestait quand il regardait à travers les portes. Il entra dans la pièce sans se précipiter. Le Mage prit le temps de rouler et de ranger son document dans un tiroir à côté de lui, le temps que Karel parvienne jusqu’à lui.

Arrivé à sa hauteur, Karel grimpa à même le lit, s’agenouilla et le regarda dans les yeux. Son interlocuteur se contenta de le fixer, comme toujours quand il cherchait à sonder quelqu’un. Karel comprit qu’il allait devoir s’exprimer le premier.

Il lui offrit un sourire sincère puis signa qu’il était content de le voir aller mieux. Il le remercia aussi de l’avoir guéri. Karel fit une pause et guetta une réaction, mais il n’y en eut toujours pas.

Karel ne se démonta pas. Il prit sur lui comme à chaque fois, puis raconta ses dernières découvertes, en particulier l’histoire de l’arbre qu’il avait ressuscité sans le vouloir. Enfin, il eut droit à un semblant de réaction.

  • « Réussis-tu à maîtriser ce pouvoir, maintenant ? »

Ni félicitations ni encouragements. Seulement cette question laconique. Frustré, Karel baissa les yeux. Oui, il s’était entraîné, mais non, il ne maîtrisait pas parfaitement ce sort. Il s’estimait jusque-là satisfait de ne plus créer de monstres végétaux ou de faire pourrir les plantes.

Karel répondit à la question en expliquant qu’il ne parvenait pas encore à réaliser cet exploit de manière consciente. Il releva les yeux vers le Mage, mal à l’aise. Son regard flamboyant n’était plus impassible, mais plutôt dur. Serymar leva sa main et lui fit comprendre de revenir le voir lorsque Karel serait parvenu au résultat attendu.

Karel se refroidit à cette réaction. Il baissa la tête et fixa un point imaginaire quelque part sur le drap sombre. Les poings serrés, il ressentit quelque chose gronder au creux de son ventre. Quelque chose qui voulait sortir, mais qui ne pouvait pas le faire. Une sensation désagréable lui enserrait le cœur jusqu’à former une boule dans sa gorge. Il serra les dents.

Une main se glissa sous son visage pour le lui relever. Karel lui darda un regard noir, et l’expression de Serymar se mua en une expression étonnée.

Karel se dégagea et partit dans une frénésie de gestes nerveux. Cette fois, Il se moquait que cela ne plaise pas à son Maître. Peu lui importait en cet instant de se faire réprimander une énième fois de perdre son calme. Il exprima tout ce qu’il avait intériorisé : tout ce qu’il avait accumulé, pris sur lui, pendant autant de temps passé avec Serymar. Il lui indiqua qu’il faisait tout pour le satisfaire et d’avoir plus d’attention. Il lui exprima son impression de ne jamais en faire assez, quoi qu’il fasse, même en y mettant tout son cœur.




Serymar le laissa s’exprimer et analysait Karel du regard. En réalité, il se sentait plutôt perdu face à ce comportement. Il se demandait ce qu’il avait dit de mal.

Karel finit par ne plus rien avoir à ajouter. Il s’arrêta brusquement et baissa encore la tête. Les poings fermés devant lui, il semblait s’attendre à se faire punir pour son attitude.

Des débordements émotionnels parce que Karel n’avait pas les moyens d’exprimer pleinement ses ressentis, Serymar y était habitué. En revanche, cette fois, son Apprenti était parvenu, bien que de manière immature, à s’expliquer plus clairement qu’à l’accoutumée. C’était bien la première fois que Karel lui exprimait ce qu’il ressentait à ce point.

Il le considéra pendant de longues secondes et retira le linge devenu froid de ses épaules pour le déposer sur la table de chevet. Il chercha l’attention de Karel. Son expression montrait désormais de la crainte. Serymar l’ignora.

  • « Je n’ai pas de temps à te consacrer pour le moment. Nous reprendrons ta formation à partir de la semaine prochaine si tu le souhaites. » lui signa-t-il.

Serymar estimait qu’il serait enfin complètement rétabli à ce moment-là. Il serait surtout parvenu à faire le tri entre ses subordonnés et à rappeler à tout le monde qui détenait l’autorité. Il promit aussi à Karel qu’il irait constater de lui-même ses résultats sur l’arbre ressuscité par ses pouvoirs dans le but d’adapter ses prochaines leçons de magie.

Surpris, Karel en resta interdit pendant quelques secondes. Le soulagement l’envahit et même plus que ça encore. L’émotion le prit

« …qu’est-ce que j’ai dit, encore ? » songea Serymar, désarçonné.

Une larme s’échappa des yeux Karel, qui lui exprima à quel point il était heureux de le retrouver, tant le quotidien lui était devenu malaisant depuis que le Mage était absent. Enfin, Karel se jeta à la taille de Serymar qui sursauta violemment, pris par surprise.

Son corps se raidit avec tant de force qu’il crut se briser en deux, collé contre la tête de lit comme s’il souhaitait s’y fondre. Son mal de tête explosa, son cœur s’accéléra vite alors que ces bras l’emprisonnaient dans une étreinte.

Sa main gauche se crispa non loin derrière la tête du petit garçon, prêt à le saisir et à l’arracher de lui. Il s’arrêta net, à temps.

Figé, Serymar se força à inspirer. Il maudissait ces stupides réflexes alors même qu’il était parfaitement conscient qu’il ne s’agissait en aucun cas d’une agression quelconque. Si Karel avait été un adulte, Serymar n’aurait pas hésité à le saisir et à le repousser avec violence, quitte à le blesser. Mais il s’agissait d’un enfant, qu’il élevait dans l’espoir de survivre. Il ne pouvait pas s’en prendre à lui. Son histoire le lui interdisait. Il jura dans ses pensées lorsqu’il prit enfin conscience d’une réalité qu’il n’avait eu de cesse de nier pendant des années : Karel était parvenu à l’atteindre derrière sa forteresse. Serymar n’avait pas prévu ce genre d’attache. Depuis quand était-il redevenu si faible ? Le Mage se le reprocha avec force, déçu de lui-même.

Vaincu, il se relâcha et son cœur retrouva un rythme normal. Il se réinstalla confortablement et sa main se posa sur le dos de Karel, le cœur serré. Ses yeux fixèrent un point dans le vide, quelque part en face de lui.

« Ta présence torture mon âme, Karel. Ce n’est pas toi qui devrais être là. »

Un détail attira soudain son attention sur la nuque du petit garçon, entre ses mèches cuivrées. Une marque qu’il ne connaissait que trop bien. Lentement, Serymar écarta les cheveux de Karel sur le côté pour découvrir des traces de strangulation. Cela ne pouvait pas être Radôn, il n’en aurait pas jamais eu le temps. C’était donc forcément quelqu’un d’autre, mais qui ? Le Mage fut tenté d’interroger Karel, mais il ne s’en sentit pas la force. Voir cette marque renforçait sa décision de faire un tri radical et définitif avec ses subordonnés. Cette fois, c’était trop. Ces Sans-Pouvoirs lui confirmaient que le respect ne se gagnait qu’avec la force et la terreur, contrairement à ce qu’il aurait voulu croire. Las et déçu, Serymar suivit du doigt les marques sur la gorge de Karel et les marques s’effacèrent au fur et à mesure.

Quelques heures passèrent et Serymar rouvrit légèrement les yeux pour fixer Karel désormais endormi contre lui le plus sereinement du monde. Comment ce gamin pouvait-il sourire comme ça envers celui qui serait plus tard son ennemi ?

La mélancolie le saisit.

« Si seulement… si seulement ça pouvait être « elle », à sa place… ma rose blanche… ma Aëlys… »

Il appuya sa tête contre le dossier et ferma les yeux sans dégager ses doigts des cheveux de Karel. Sa présence lui était difficile à supporter tous les jours. Chaque fois qu’il croisait son regard, la haine le prenait envers cet homme à l’œil rouge et envers les Dragons. Chaque fois qu’il le regardait, il se posait des questions douloureuses bien malgré-lui, constituées de « et si… ? », ne cessant de se demander s’il aurait vécu les choses de la même manière avec cette petite.

Il se demandait pourquoi il ne parvenait pas à éloigner sa main de Karel. Un seul geste suffirait, pourtant. Il n’en fit rien. C’était aussi douloureux qu’agréable. Epuisé, il céda à cette torpeur sur des sentiments opposés.

Suite ===>

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