Chapitre 25 - 2

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Méfiant, l’hybride se releva en s’aidant du mur. Il ne lâchait pas l’Ancien des yeux. L’elfe n’attaqua pas. Le demi-elfe ne comptait pas hésiter.

Il appela son pouvoir et invoqua soudain des lames de vent qu’il poussa vers son adversaire d’une brusque tension de bras. L’Ancien les repoussa d’un geste désinvolte de la main comme s’il chassait un insecte et les lames se retournèrent aussitôt contre leur jeune lanceur. Surpris, l’adolescent paya cette simple fraction de seconde, ce temps de retard pour réagir. Ses propres lames se retournèrent contre lui et le tailladèrent contre le mur. Déjà affaibli par ses précédentes blessures et sa tentative de noyade, à son grand effarement, l’adolescent tomba avec rudesse sur le sol. Être à terre était comme se condamner. Sa jambe ne lui permettait pas de se redresser rapidement, ce qui laissait tout le loisir à ses ennemis de l’immobiliser. L’adolescent se démena pour se relever, mais son corps criait grâce. Il serra les dents pour ne pas laisser à l’Ancien le plaisir de se délecter de sa douleur. Chacun de ses muscles lui était douloureux. Non, il ne céderait pas. Il leur donnait déjà assez de plaisir à le voir agoniser tous les jours. Il se refusait à leur donner pleinement satisfaction en laissant sa douleur s’exprimer à plein poumons. L’adolescent se raccrocha à ce désir pour survivre. S’il perdait ça, il n’aurait plus rien.

Le vieil elfe s’avança et planta sa canne dans sa main blessée. La douleur irradia jusqu’à son coude. Il fixa l’elfe avec haine.

  • Tu vois, tu ne peux pas être autre chose qu’un objet expérimental. Alors maintenant, écoute-moi attentivement, l’Offrande. Notre clan se désagrège d’années en années. Tu es notre dernier espoir pour nous sauver. Mais décidément, tu n’es pas très coopératif.

L’adolescent trouva la force de se composer une expression hautaine et plongea son regard dans celui de l’Ancien : ce clan se désagrégeait tout seul ? Tant mieux. Il ressentit une nouvelle intrusion désagréable à l’intérieur de son crâne. Cette fois, l’hybride ne lutta pas et tenta une autre approche. Il ne se referma pas sur lui-même et montra pleinement ses pensées. Il imaginait sans mal tous les elfes noirs à sa place, à subir tout ce qu’ils avaient pu lui faire. Il se délecta à se les voir brûler vifs, empoisonnés, noyés, torturés de toutes les manières possibles comme ils avaient pu lui faire. L’adolescent soutint le regard de l’Ancien et le défia : un jour, il s’en sortirait. Un jour, ça serait lui qui se tiendrait au-dessus d’eux. Un jour, les elfes l’imploreraient de les épargner. Et comme pour lui, il se ferait sourd à ces supplications et se délecterait de leurs souffrances.

L’Ancien enfonça sa canne avec violence. L’hybride eut l’impression que celle-ci allait traverser sa main de part en part. Il s’en inquiéta : il s’agissait de sa main gauche, la seule valide. L’idée de s’en retrouver privé, même temporairement, l’effrayait.

  • À être trop entêté, la réalité finira par te faire plier, gronda l’Ancien. Une petite leçon s’impose.

Il retira sa canne et serra soudain son poing. L’entrave reparut autour de la gorge du garçon et se resserra. L’hybride l’attrapa vivement de sa main gauche pour tenter d’empêcher le sortilège d’aller plus loin. L’Ancien fit de même avec l’anneau de la taille, coupant le souffle de son jeune prisonnier. Incapable de bouger son bras droit, l’adolescent serra les dents et tenta de maîtriser sa respiration saccadée, malgré les pointes qui lui perçaient la peau. Il ressentait le regard analytique de l’Ancien sur lui. Cette attitude qu’il ne supportait plus, au point de se sentir mal à l’aise face à la moindre attention qui lui était accordée. Comme le souffle lui manquait, il prit sur lui pour essayer de l’ignorer, concentré à endurer ce nouveau sévices. Les pointes pénétraient dans ses blessures chaque fois qu’il osait gonfler ses poumons pour respirer et aggravaient davantage chacune d’elles chaque fois que l’adolescent retentait d’inspirer. L’air lui manqua rapidement.

Alors qu’il agonisait et que sa vue recommençait à se brouiller, l’Ancien reprit la parole :

  • Ecoute-moi bien. Tu es né différent. Ce qui signifie que tu dois être considéré autrement. Tu aurais pu apparaître dans un autre endroit sur Weylor, où tu aurais peut-être eu une autre vie. Dans tous les cas, les gens différents ne peuvent avoir droit qu’à des traitements à part, c’est ainsi ! Si tu t’obstines à refuser encore cette fatalité, alors prouve que tu es autre chose qu’un objet expérimental ! Mais je te préviens : tu n’y arriveras jamais.

Le jeune hybride lui jeta un regard noir, empreint d’une rancœur profonde. Ecouter cet homme était une torture.

L’Ancien insista en le toisant de toute sa hauteur :

  • Tu veux partir ? Soit. Essaie donc, et fait tes preuves, si tu es trop idiot pour te contenter d’entendre la vérité. Dehors, tu la subiras. Tu n’auras jamais la paix, ta vie ne se composera que de souffrances et de déceptions. Il n’y a rien d’autre hors de cette forêt qui t’attend, la vie n’aura rien à t’offrir ! Mieux vaut pour toi que personne à part nous n’ayons connaissance de ton existence… crois-moi. En particulier les Dragons.

Un court silence lui répondit, pendant lequel l’adolescent défiait son interlocuteur avec un lueur farouche. Des vertiges le saisirent. Cela faisait déjà plusieurs minutes qu’il ne pouvait plus respirer. Il avait l’impression que son cœur battait dans ses oreilles. Il résista. Non pas par fierté, mais pour garder ce semblant de dignité qui lui restait. La loi du plus fort.

L’Ancien ajouta :

  • Ton destin est noble et grand, et changera à jamais le pays. Tu devrais porter ces espoirs avec fierté, certainement pas avec mépris. Tu devrais être fier d’avoir l’honneur de sacrifier ta vie à ce projet !

Un honneur ? Où était l’honneur de fomenter contre les Dragons ? L’hybride ignorait encore quel rôle il devait jouer dans cette traîtrise, et encore moins quelle forme cette menace prendrait. La seule chose dont il était certain, c’était qu’il ne voulait pas y participer d’une quelconque manière que ce soit.

Il considérait l’Ancien comme un traître à deux niveaux. D’une part, il lui en voulait de le forcer à un projet dont il ne connaissait rien, à part que son instinct lui hurlait qu’il s’agissait de quelque chose de dangereux. De l’autre, l’adolescent lui reprochait sa traîtrise à son égard.

Son geôlier lui avait toujours dit qu’il était spécial, sans qu’il ne connaisse la véritable signification de ce mot. Depuis, il sonnait comme une insulte annonciatrice de danger à ses oreilles.

Une dizaine d’années plus tôt, l’Ancien lui avait signifié qu’il était prêt, le jour même où l’hybride venait de découvrir qu’il avait des pouvoirs. Il n’avait évidemment pas compris en quoi il était prêt. Il avait été emmené jusqu’au centre du village jusqu’à l’intérieur de ce totem mécanique. Il avait alors compris dans quel enfer il avait vu le jour sans jamais l’avoir su. Trop jeune pour douter de celui qui l’élevait, il n’avait alors jusque-là jamais vu à quel point sa situation était précaire.

Cette réalité l’avait frappé avec une violence extrême, alors qu’il n’avait jamais mis un pied dehors avant ce maudit jour.

  • Je sais ce que tu me reproches. Laisse-moi te répéter que tes remontrances sont illégitimes, contra l’Ancien. Je t’ai toujours dit que tu n’étais pas comme les autres et que tu étais voué à un autre but car tu étais spécial. Je ne t’ai donc jamais menti, je ne t’ai jamais trahi. Maintenant, je te prierai de ne pas m’obliger à user des autres atouts de ces entraves. Il serait dommage que tu sois affaibli pour les prochaines expériences, juste parce que tu es incapable de te tenir tranquille. Maintenant que j’y pense, il serait intéressant de savoir combien de temps tu es capable de survivre sans respirer. Sois un bon cobaye, s’il te plaît. Tu es l’avenir de notre peuple, et bien trop précieux pour être partagé avec les autres.


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