Chapitre 33 - 2

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Elma lâcha un cri de frayeur quand une présence apparut subitement dans son dos. Sa réaction fut étouffée par une main blanche qui vint se plaquer contre sa bouche pour la protéger du pacte du silence. Karel pouvait être dans les parages.

  • Tais-toi, si tu tiens à la vie. Et ne te retourne pas.

Elma dût se retenir pour ne pas lui dire ce qu’elle pensait en ce moment-même.

« Par les Dragons, est-ce vraiment nécessaire d’apparaître dans le dos des gens comme ça ? »

Elle regarda avec un air curieux sa main se mouvoir sous ses yeux. Il en tomba une fine chaîne en argent, dont Serymar saisit l’autre extrémité de sa main libre avant de simplement le lui attacher derrière sa nuque. Intriguée, Elma aperçut un petit objet de belle facture pendre sur sa poitrine : un pendentif en forme d’un corps de dragon unique avec sept têtes, une par Dragon fondateur, fidèle à chacune de leur couleur.

  • J’ai fait avancer les choses, déclara le Mage en relâchant le tout. Les prochains jours risquent de s’avérer dangereux. Ce talisman ne te protégera pas, mais il m’est relié. Si un danger mortel s’abat sur toi, je le saurais aussitôt.
  • Vos ennemis vous ont retrouvé ? s’inquiéta Elma.
  • Pas encore.
  • Alors pourquoi…
  • Simple mesure de précaution.

Elma comprit qu’elle n’en saurait pas plus à ce sujet.

  • J’ai surtout du mal à croire que vous possédez un tel objet de valeur, admit Elma. Plusieurs fois, nous avons eu besoin d’argent pour subvenir à nos besoins. Vous en auriez tiré un excellent prix. Pourquoi ne pas vous en être servi ?
  • Je le possède depuis très longtemps, et c’est un objet puissant et inestimable. Je ne peux le céder comme une vulgaire babiole.

Bon. Il s’agissait d’autre chose alors. Elma réfléchit très rapidement : si les origines du Mage demeuraient mystérieuses, il y avait des signes qui ne trompaient pas.

  • Vous n’êtes pourtant pas issu d’une noble lignée… comment cet objet s’est-il retrouvé entre vos mains ? Avez-vous tué quelqu’un pour cela ?
  • Non. Ce talisman symbolise le Pouvoir Universel. Il est unique. Bien manipulé, on peut l’enchanter comme on le souhaite et rendra le sortilège attribué particulièrement efficace, de par le matériau rare qui le compose.
  • Cela ne répond pas à ma question.

Serymar observa un long silence, certainement ennuyé de voir qu’il ne parvenait plus à avoir Elma en esquivant ses questions. Il finit par céder :

  • Les Dragons.

Abasourdie, Elma fit volte-face, n’en croyant pas ses oreilles.

  • Comment cela… ?
  • Je n’ai pas toujours été en froid avec eux. J’ai tenté leurs épreuves, à l’époque. J’avais quelques années de plus que Karel, mais j’étais encore aussi immature que lui.
  • On dit que ceux qui parviennent jusqu’à eux obtiennent des pouvoirs fabuleux, énonça Elma. Cela signifierait que vous avez donc bénéficié de leurs dons ? Est-ce là, l’origine de vos pouvoirs ?

Court silence. Le Mage soupira doucement.

  • Non. J’ai refusé à chaque fois. Je suis né directement avec mes pouvoirs, et j’avais estimé que j’en avais déjà bien plus que nécessaire. Quelle utilité d’en vouloir davantage dans mon cas, Elma ?

La jeune femme le dévisagea. Il devait se demander pourquoi cette évidence ne venait pas dans l’esprit des autres.

  • J’avais oublié que vous ne raisonniez pas comme la majorité… lui répondit-elle. Veuillez m’excuser. Mais dans ce cas…puis-je me permettre de savoir ce qu’ils vous ont donné à part ce talisman ? J’ai du mal à les imaginer donner seulement une telle chose…
  • Elma, d’où penses-tu que je tienne la majorité de mon savoir ? s’impatienta Serymar.

Son interlocutrice lui offrit un regard abasourdi.

  • Parce qu’en plus, vous les avez côtoyés pendant un certain temps ?

Peu de personnes pouvaient s’en vanter. Pour les rares individus qui parvenaient à rencontrer un Dragon, cela ne durait pas plus de quelques heures. Enfin, de ce qui se racontait de l’époque avant la malédiction. Depuis, plus aucune rencontre avec un Dragon n’avait été effectué. Mais pourquoi son Maître en particulier avait-il bénéficié de cette faveur ?

  • Le savoir dans cette partie de Weylor reste limité, reprit-il. Certaines personnes encore aujourd’hui n’en ont pas l’accès. J’étais de ces personnes pendant longtemps. Lorsque j’ai pu y accéder, j’ai été fort déçu de voir à quel point c’était… limité. Alors je suis simplement allé voir ailleurs.

Silence. Elma ne laissa pas grand-chose paraître, mais elle demeura tout de même impressionnée, même si quelque part au fond d’elle, connaissant le tempérament de son Maître, ce n’était peut-être pas si étonnant que ça.

  • En effet, lui fit-elle. Il fallait vraiment être immature pour se dire qu’il était normal d’affronter les dangers des Tours pour aller les voir.
  • Tout le monde passe par l’âge idiot où on croit tout savoir.

Elma préféra se garder la réflexion pour elle, mais en y réfléchissant, elle conclut que Serymar avait dû entamer ce long voyage pour une autre raison que des connaissances poussées. Elle n’était pas certaine qu’il soit disposé à répondre à cette question. Elle préféra dévier le sujet.

  • Qu’avez-vous donc fait pour attiser leur colère à ce point ?

Autant tenter le coup. Après tout, il avait bien dû se passer quelque chose pour que soudain, cette entente disparaisse au point où Serymar cherchait à se faire discret. Elma repensa à ce terrifiant souvenir où il avait accusé les Dragons d’être à l’origine de son malheur, juste après avoir saccagé une salle entière.

  • J’ai décimé un peuple entier, et ils n’ont que très peu apprécié.

« Pourquoi je ne suis pas étonnée ? »

  • Vous en parlez comme d’une banalité… ce n’est pourtant pas rien, répondit-elle. Pas que je doute de votre puissance, mais…
  • J’étais jeune, Elma. Et idiot, comme tous. J’ai cédé à l’appel de la vengeance comme un Apprenti. Les Dragons sont des créatures plutôt orgueilleuses et rancunières. Mais qu’importe mes crimes. Si j’ai bien appris une chose, c’est que je ne peux être partout à la fois. Les lieux risquent de devenir dangereux dans les prochains jours. Au moins, avec ça, je serais certain de pouvoir garantir ta vie. Si j’agis aussi secrètement avec toi, ce n’est pas pour que tu montres ce talisman bêtement à tout le monde. Alors dissimule-le. Il s’agit d’un prêt. Garde-le tant que je ne le réclame pas.
  • Vous ne pouvez pas me céder quelque chose d’aussi précieux comme ça. Surtout pas après avoir déployé tant d’efforts pour l’obtenir, contra doucement Elma.
  • Je fais ce que je veux. Je ne referais pas la même erreur qu’autrefois. Si quelqu’un doit te tuer un jour, ça sera moi, et personne d’autre. Rien ne pourra briser ce serment. Jamais.

Elma n’osa pas en rajouter et dissimula le bijou à l’intérieur de son corsage. Elle ne manqua pas de noter la manière de parler de son Maître : en réalité, il venait plus de se parler à lui-même que de lui répondre. Un ton déterminé, comme si, dans une autre vie, il aurait échoué dans une situation plus ou moins similaire. Elle ne répondit rien, sachant que cela le mettrait mal à l’aise. Elma se contenta d’afficher un léger sourire. Elle en était désormais plus que certaine : sa vie était assurée. Si elle devait s’éteindre un jour, elle ne souffrirait pas. Le jour où elle mourrait, le dernier visage qu’elle verrait serait le sien. Tel un gardien. Le seul capable de la préserver du Mal à l’extérieur.

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