Chapitre 36 - 1

7 minutes de lecture

Il longea le couloir sombre, en direction du mystérieux bureau dans lequel le Mage pratiquait toutes sortes d’expériences dont personne n’en connaissait la teneur.

La porte n’était pas scellée, cette fois-ci. Karel s’en approcha et la poussa d’une main, dévoilant un grand espace aménagé avec tout ce qui avait pu être trouvé et sauvé des ravages d’autrefois.

Au fond, un minuscule balcon dont la rambarde était en mauvais état par endroits. Dessus, le dos tourné, deux personnes, très proches l’une de l’autre. D’abord une fine silhouette sombre avec des cheveux bleus, puis une autre contre elle, une femme.

Comme si tout était normal, Karel s’en approcha sans aucune crainte, comme s’il s’agissait d’une habitude. En approchant, la femme et le Mage le regardèrent. La femme ressemblait beaucoup à celle qui l’avait élevé, sauf qu’elle avait les cheveux bien plus longs. Mais ses yeux verts comme l’émeraude le regardaient avec bienveillance.

Karel se sentit sourire, appréciant la simplicité de l’instant. Mais cela ne dura pas. Un fracas le fit sursauter. Ils firent tous volte-face vers la porte.

Dans l’encadrement, une autre femme, dont l’étrange beauté n’avait d’égal que la menace qu’elle dégageait. Une femme aux longs cheveux rouges comme les flammes, des yeux ambrés de fauve, dont les bras nus étaient recouverts de tatouages écarlates.

Karel regarda le couple et recula. Il était clair qu’il ne pouvait pas grand-chose contre cette ennemie. Un doigt se pointa sur son front. Karel se figea lorsqu’il croisa le regard du Mage. Sa vision se brouilla et son environnement se déforma. Intrigué, Karel posa ses paumes devant lui et rencontra une surface dure.

Il s’inquiéta lorsqu’il constata qu’il ne pouvait pas en sortir. Un cristal. Qui s’assombrit de plus en plus. La scène s’estompa peu à peu. Karel eut beau lutter, il était prisonnier, et sombra dans les ténèbres.




Karel se réveilla en sursaut et tremblait de tout son corps. Il manqua de sombrer dans une crise de panique lorsqu’il se rendit compte qu’il ne reconnaissait absolument pas les lieux autour de lui.

Ses derniers souvenirs remontaient à sa chute des Monts de la Mort. Son crâne douloureux lui confirma au moins ce fait. Il avait dû se cogner contre la paroi rocheuse. Karel se demanda pourquoi il n’était pas mort, dans ce cas.

Il se trouvait dans une plaine qui lui sembla lumineuse en comparaison avec ce qu’il connaissait. Tout était éclatant de couleurs, chaque élément du décor semblait gorgé de vie. En temps normal, Karel se serait senti réjoui de découvrir tant de merveilles. Mais son cœur était en pièces et sa peine si grande que tout cela le laissa indifférent. Des larmes de douleur roulèrent sur ses joues lorsqu’il prit conscience qu’il ne sourirait probablement plus jamais de sa vie. Il était seul dans un monde qui lui semblait trop vaste.

Il s’effondra lorsqu’il se souvint que le Mage l’avait trahi. Cet être qu’il avait tant admiré au point de vouloir lui ressembler. Et cette femme qui s’était tant occupé de lui… l’avait-elle seulement aimé ?

Au milieu de ses sanglots, il se rappela sa condition véritable. Karel vivait dans un monde où il ne possédait pas le pouvoir de parler, qui semblait commun à chacun. Il était prisonnier de lui-même avec ses pensées, et prendre la mesure de cette réalité le terrifiait. Il avait toujours été seul, en réalité. Manipulé et coupé du monde. Mais dans quel but ?

Karel s’était toujours douté qu’il n’était pas lié au Mage par le sang. Cela ne l’avait jamais gêné outre-mesure, car il avait beaucoup de mal à comprendre le concept de liens familiaux.

Encore cette gêne au creux de ses entrailles. Karel remplit ses poumons pour hurler, mais seule une expiration en sortit. L’adolescent sentit son être se briser.

Ne sachant que faire pour évacuer sa douleur, ses poings s’abattirent sur la terre. Karel eut la surprise d’y rencontrer un peu de vide. Il jeta un œil au sol et fut surpris de constater qu’il se trouvait à côté d’une emprunte géante. Karel se releva vivement, le cœur battant. Il osait à peine croire à ce qu’il voyait. Était-ce… était-ce vraiment une empreinte de Dragon ?

Il ne put y réfléchir longtemps. Des sons désordonnés attirèrent son attention, et Karel aperçut enfin des remparts au loin, vers lesquels de nombreuses personnes se pressaient. Il se figea. Ainsi, il existait réellement d’autres peuples au-delà des Monts.

Karel dût mobiliser toute sa volonté pour avancer droit devant lui, et davantage pour ne pas retourner en arrière. Devant, ces habitations derrière les murs. Derrière, des bosquets, des plaines.

Aller vers d’autres personnes l’effrayait. Pourtant, Karel avait conscience qu’il ne pouvait pas rester ainsi au milieu de nulle part. Comment devait-il se comporter ? Où devait-il aller ? Que devait-il faire ensuite ? Etrangement, il s’était toujours senti plus à l’aise en compagnie du Mage, et ce malgré sa distance et certaines de ses attitudes pas très encourageantes.

Karel frissonna à ces souvenirs. Il lui était difficile de réaliser que la personne en qui il avait le plus cru était la même qui était à l’origine de son désespoir. Comment savoir désormais si une personne était sincère envers lui ?

Karel s’immobilisa soudain et se dissimula derrière un arbre. Les gens… et s’ils étaient comme les Sans-Pouvoir avec lesquels il avait cohabité ? Le jeune garçon déglutit lorsqu’il se souvint de son agression dans la serre et du mépris dont il avait été victime ces dernières années.

Une sensation désagréable se manifesta au niveau de son ventre. Désagréable. Elle enfla de plus en plus fort jusqu’à lui comprimer le cœur. Soudain, son poing s’écrasa vivement contre un tronc d’arbre, si fort que Karel s’en écorcha les phalanges. Tremblant de rage et de tristesse, Karel ferma les yeux et grimaça lorsqu’il râcla ses blessures contre le tronc pour s’écorcher plus encore. Frustré, il se retira. Même se faire du mal ne suffisait pas à atténuer cet étau autour de son cœur. Sa mémoire ne cessait de lui montrer de nombreux souvenirs, notamment les positifs, pour ensuite les superposer avec les récents événements. Ce qui laissait Karel encore plus confus. Que s’était-il réellement passé aux Monts de la Mort ? Pourquoi se retrouvait-il abandonné au milieu de nulle part ?

Karel demeura là pendant de longues minutes à fixer les murs de la ville plus loin. Au fond de lui, il ne voulait pas y aller. Mais avait-il d’autres options ? Karel se fit violence pour se remettre à avancer, de plus en plus tendu.

Les silhouettes se précisèrent. Des murs ocres, certains soutenus par des charpentes en bois, le tout surmonté de toits en bien meilleur état que ce à quoi il était habitué. Creusés dans certains murs, il y avait des fenêtres recouvertes d’une plaque transparente dont Karel ne connaissait pas le nom. Il nota que ces bâtiments avaient des points communs avec les ruines dans lesquelles il avait eu l’habitude de s’amuser, enfant.

Un brouhaha le tira de ses sombres pensées. Karel leva les yeux vers le bruit. Un amas de personnes entrait et sortait par ce qui semblait être une grande arche de pierre surveillée par deux personnes vêtues de métal. Ils scrutaient chaque passant comme pour vérifier quelque chose. Quoi, Karel n’en savait rien, et à vrai dire, il n’avait même plus envie d’y réfléchir.

Karel resta planté là pendant un bon moment encore, hésitant. Peu habitué à tant de présence, se rapprocher d’un tas d’inconnus le mettait très mal à l’aise. Pourtant, il n’avait qu’à marcher comme eux et faire un pas après l’autre jusqu’à les rejoindre. Jamais une action si simple lui parut aussi difficile. Une crainte sourde grandit au creux de son estomac rien qu’à l’idée d’approcher d’autres adultes. Les derniers qu’il avait pu voir, il n’avait jamais pu s’entendre avec eux, alors pourquoi ça serait différent, cette fois ?

Il fit un pas. Puis un autre. Et ainsi de suite jusqu’à rejoindre la foule.

Le brouhaha se fit plus intense et désagréable pour ses oreilles habituées au grand calme. Karel se sentit aussitôt envahi par le bruit ambiant, qui semblait résonner dans toute sa boîte crânienne, cognant sur chaque parcelle sans pitié comme pour les briser.

Karel parvint à passer en suivant le mouvement de foule. Personne ne faisait attention à lui, pas même les deux hommes couverts de métaux. En tout cas, s’ils l’avaient fait, Karel ne le remarqua pas.

Une fois à l’intérieur des murs, Karel, en temps normal, se serait émerveillé de voir ces nombreux bâtiments et toute cette vie qui animait cette petite ville. Il vit de nombreux sourires sur plusieurs visages, d’autres plus sérieuses, d’autres plus concentrées.
Son ouïe commençait lentement à s’habituer au vacarme ambiant. Karel continua d’avancer et prit une direction au hasard. Il se sentit très vite submergé. Beaucoup de mouvement et de bruit se concentraient autour de lui, parfois trop proche, cela lui était perturbant.

Karel chercha un coin qu’il espéra un peu plus isolé. Voilà, il était dans la ville, au milieu des humains. Et maintenant ? Il soupira.

Karel trouva une rue déserte, étroite et sombre. Voilà qui lui était plus familier. Il s’y engouffra, et inspira en ressentant un semblant de bien-être lorsque le bruit de foule s’atténua. Il se laissa tomber contre un mur et ramena ses genoux contre lui, les entourant de ses bras, le regard vide, droit devant lui. Il sentit ses souvenirs refaire surface, il les repoussa. S’il y pensait encore, il allait céder à la tentation de se taper la tête contre le mur dans une tentative désespérée de faire sortir ces maudites pensées.

Suite ===>

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Eylun ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0