Chapitre 38 - 1

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Karel plongea la tête sous l’eau chaude et la ressortit en soupirant d’aise. Ce bain était une véritable délivrance. Il avait l’impression que toute la saleté qu’il avait accumulée avait formé une coquille très lourde sur lui, et se sentait enfin plus léger de s’en être débarrassé. Karel se délecta de l’eau presque brûlante pour chasser le froid insinué dans ses os depuis quelques jours. Pendant qu’il achevait de se rincer, il en profita pour essayer de remettre de l’ordre dans ses pensées. Depuis qu’il avait rencontré Lya, il avait la désagréable impression de passer à côté de quelque chose d’important.

Il restait encore frappé par ce qu’il avait vécu plus tôt, et en tremblait encore. Karel ne s’était pas attendu à ce que cette fille qui semblait si joviale partage la même détresse que lui : il l’avait vue refouler ses larmes et prendre sur elle pour ne pas s’effondrer devant ses parents. Pourtant, contrairement au Mage, le couple ne semblait pas du genre à lui interdire de s’exprimer. Alors pourquoi Lya se torturait, pourquoi s’interdisait-elle de ressentir de la peine ? Cela l’avait touché, au point où il n’avait plus hésité à faire un pas vers elle pour lui signifier à quel point il la comprenait. Avait-elle aussi été éprouvée par des adultes ?

Lorsqu’il l’avait vue lui tendre la main, Karel avait d’abord été frappé de découvrir qu’il existait d’autres personnes de son âge. Il avait songé que s’il ne pouvait plus faire confiance aux adultes, il le pouvait peut-être avec une personne comme lui. Si Karel avait encore beaucoup de mal à saisir ce qui se passait à cause de ses incompréhensions, il était au moins conscient d’une chose : Lya lui avait sauvé la vie, et il lui serait éternellement reconnaissant pour ça.

Et lorsque cette femme s’était mise à trembler et à lui adresser ce regard suppliant… ce fut comme si Karel avait été frappé d’un sortilège. Il avait ressenti de plein fouet l’émotion vive d’Eylen et cela l’avait beaucoup surpris. Pourquoi avait-il eu envie de pleurer comme elle ? Pourquoi avait-il eu ce sentiment qui n’avait pas été le sien ?

Lya ne le quittait plus d’une semelle. Ce bain était le premier moment qu’il avait pour lui seul depuis qu’elle l’avait amené ici. Elle lui posait beaucoup de questions, et Karel se sentait gêné d’être incapable de lui répondre et de la comprendre. Mais la fillette ne se décourageait jamais. Karel n’était pas habitué à avoir autant d’attention.

Il était au moins bien content d’enfin dormir au chaud, de manger et d’avoir des vêtements neufs et propres.

Une dernière fois, Karel s’affaissa jusqu’à se retrouver complètement sous l’eau, puis creva la surface en lâchant un soupir de bien-être. Il sortit enfin du grand bac en bois et se sécha. Il s’habilla, appréciant cette sensation de renaissance, comme s’il laissait son passé dans cette eau. Karel ne se reconnut pas dans le miroir : son teint habituellement mat tendait sur le pâle, ses joues et son cou étaient creusés, et il avait beaucoup maigri. Ce qui le frappa le plus fut son regard, complètement changé. L’innocence l’avait quitté, il demeurait sur ses gardes alors qu’il souhaitait sincèrement faire confiance à ces gens.

Ses cheveux raides, enfin propres, commençaient à devenir un peu longs. Ils arrivaient désormais jusqu’à sa nuque et lui rappelaient ceux du Mage. Le visage de Karel se tordit d’une grimace de dégoût et il se détourna aussitôt du miroir : pendant une fraction de seconde, il avait cru voir le visage de son ancien mentor à la place du sien. Karel se retint de briser le miroir en serrant les poings.

Rapidement, il parcourut la pièce du regard, à la recherche de quelque chose, sans savoir quoi. Il tomba sur un petit lien en corde traînant sur un meuble. Karel s’empressa de le ramasser et noua ses cheveux avec des gestes nerveux en une queue-de-cheval basse. Quelques mèches lui échappèrent en dépit de ses efforts. Karel jeta un regard de défi au miroir : non, il ne ressemblerait pas à son ancien Maître.

Il l’avait trahi et abandonné. Karel aurait tout donné pour lui ressembler, sur plusieurs aspects. Mais plus aujourd’hui. Autant commencer par le plus facile, comme l’apparence physique. Ce n’était certes pas grand-chose, mais c’était déjà un petit début : son geste marquait cet instant où il décidait qu’il tracerait sa propre voie. Une voie bien différente. Il ne deviendrait pas comme lui.

Une légère démangeaison le prit sur son bras blessé, détournant son attention. Karel se retint de se gratter à cause des points de suture, désormais recouverts d’un bandage. Il sortit de la chambre pour rejoindre la petite famille dans le hall de l’auberge. Les deux adultes lui adressèrent un sourire.

  • Tu es prêt ? demanda Sorel. Nous devons rentrer, maintenant. Viens. Une longue route nous attend.

Tous se levèrent et sortirent de l’auberge. Karel les suivit jusqu’à un chariot, le même que celui qu’il avait manqué de percuter lors de son premier jour dans cette ville. Karel s’éloigna des grands animaux par mesure de prudence et imita Lya qui monta par l’arrière. Très vite, leur moyen de locomotion se mit en branle en direction de l’extérieur de la ville.

Au fond de lui, Karel se sentait partagé : il repensait encore au Mage et à cette femme aux yeux verts qui s’était beaucoup occupée de lui. Ces nouvelles personnes qui l’accompagnaient désormais semblaient gentilles, mais… allaient-elles l’abandonner aussi ? Et où allaient-ils ? Il avait tellement de questions à poser, sans pouvoir les formuler. Chaque chose en son temps : d’abord, apprendre la langue de Weylor. Après, il poserait ses questions.




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