Chapitre 52 - 3

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Elma manqua de laisser sa frustration s’extérioriser. Elle avait beau faire, elle n’était toujours pas parvenue à trouver quoi que ce soit sur la Prophétie. Seulement des fragments de souvenir à propos d’un jeune hybride qui avait exactement les mêmes yeux et les mêmes traits de visage que Serymar.

Au vu de sa dernière altercation avec lui, Elma s’était faite violence pour ne plus enquêter pendant un long moment : l’hypervigilance de Serymar était très contraignante. Même sans être présent, il percevait beaucoup de choses. Elma ne voulait courir aucun risque.

Dans l’un des salons du domaine, elle parcourut l’une des bibliothèques, dans la section réservée à la magie mémorielle. Peut-être pourrait-elle trouver un moyen de mener ses recherches plus efficacement.

Elle trouva un ouvrage traitant sur les souvenirs. Elma le retira en espérant trouver les réponses qu’elle recherchait. Son sang se glaça lorsqu’elle ressentit une présence familière à un mètre d’elle.

  • « Maîtrise du stockage de souvenirs ». Intéressant, comme sujet d’étude, dis-moi.

Elma se retint de soupirer d’exaspération : elle détestait, vraiment, quand Serymar faisait ça. S’il s’était agi de quelqu’un d’autre, sans doute se serait-elle permise de le gifler en l’abreuvant de reproches. La jeune femme ne le regarda pas, les doigts se crispés sur l’ouvrage.

  • Je n’outrepasse pas notre contrat, que je sache, lui jeta-t-elle froidement.

Elle regretta aussitôt ses mots. Pas par peur de l’avoir provoqué, mais dans le sens où elle se rappela que même ce type de comportement était susceptible de la trahir. Son attitude, ses mots, le titre du livre et le fait qu’il l’avait déjà réprimandée sévèrement pour avoir osé parler de son passé à l’arrivée de Karel, étaient des détails plus que suffisants pour lui. Parce qu’en plus d’avoir une capacité de déduction poussée, Serymar était doté d’une excellente mémoire.

  • Je n’ai jamais mentionné le contraire, Elma, répliqua-t-il posément.

Elma se fit méfiante. Vraiment, méfiante. Elle s’était sans doute trahie, mais il ne le disait pas encore. Il cherchait sûrement à la piéger, à la prendre sur le fait afin de ne pas subir les effets indésirables du pacte. Elle jura intérieurement : comment faire pour qu’il l’oublie un peu ? Retourner à ses tâches quotidiennes comme si de rien n’était ? Mais pendant combien de temps ? Parce qu’avec Serymar, espérer dissiper ses soupçons pouvait prendre vraiment beaucoup de temps, comme plusieurs semaines jusqu’à parfois des mois entiers. Elle n’avait pas le temps d’attendre : elle devait aider Karel et s’assurer que Serymar ne comptait pas lui faire du mal.

Si Serymar était là, c’était pour lui donner un avertissement d’une manière sous-entendue. Elle ne devait surtout pas se laisser prendre sur le fait. C’était certainement la situation qu’il attendait.

Le soulagement l’envahit lorsqu’elle le sentit s’éloigner de quelques pas.

  • Je remarque simplement que cela fait longtemps que tu ne t’es plus intéressée à ce sujet. En fait, j’ai remarqué que tu t’y intéressais depuis…

Il marqua une courte pause et fit semblant de réfléchir.

  • …depuis que tu t’es faite agresser par le Clan du Feu, acheva-t-il en la jaugeant du regard.

Elma comprit parfaitement ce qu’il sous-entendait : depuis la fugue de Karel, vu qu’il s’agissait du même jour. Elle resta de marbre, afin de ne lui donner aucune indication supplémentaire. En supposant que cela suffirait. Elma en doutait.

  • Et… alors ? questionna-t-elle prudemment. Qu’est-ce que ça peut vous faire ?
  • Ne te paie surtout pas ma tête, Elma, tu vois parfaitement où je veux en venir.

Elle se retourna pour lui faire face. Que faire ? Comment s’en sortir ? Puis elle se rendit compte que la solution était simple, en réalité, bien qu’inhabituelle : il lui suffisait d’être honnête. Alors Elma affronta son regard menaçant.

  • Il s’agit simplement de curiosité, Maître, admit-elle avec simplicité. Vous nous avez toujours encouragé à nous instruire. Et, bien que je sois une Sans-Pouvoir, cela ne doit pas m’empêcher d’essayer d’en apprendre plus sur le fonctionnement complexe de la magie, afin de mieux m’en protéger, si jamais. Est-ce un mal ?

Elma se doutait bien que Serymar n’était pas dupe, mais le fait d’avoir dit la vérité l’obligeait à accepter sa réponse.

Serymar s’appuya contre un meuble dans une attitude faussement nonchalante, les bras croisés. Elma savait que c’était seulement pour déguiser son besoin de reposer sa jambe.

  • Bien au contraire, admit-il. Il est même plus aisé de protéger une personne qui sait à minima comment lutter dans une situation dangereuse, en attendant d’être sauvée par une personne compétente, plutôt que l’inverse. Cela me fait penser que ça fait longtemps que tu ne t’es plus entraînée. Au vu de ce qui t’es arrivée récemment, je pense que ça serait une bonne chose de reprendre.

Elma n’eut pas à faire semblant de se renfrogner. Elle se souvenait de ses premiers entraînements. Horribles. Serymar l’avait poussée dans ses pires retranchements de manière impitoyable, en dépit de ses larmes et de la détresse dans laquelle il l’avait poussée, dans le but de se surpasser. Il avait beau lui dire qu’il ne souhaitait pas en faire une combattante, ce palier s’était déjà révélé difficile, tant il savait se montrer exigeant. Rien que pour cette raison, elle avait été soulagée d’avoir la responsabilité de Karel, qui avait brutalement mis fin à ces séances éprouvantes.

  • Je ne veux plus voir ces blessures sur toi. Ça m’est insupportable. Si j’en avais le pouvoir, je n’attendrais pas que le temps fasse son œuvre pour effacer cette marque à ton cou.

Elma ne répondit pas et ne put s’empêcher de repenser à chaque détail de ce moment où il l’avait soignée. Juste avant de lui annoncer l’abandon de Karel. Sa colère revint la hanter.

Serymar désigna le livre qu’elle tenait.

  • Il n’y a pas grand-chose là-dedans qui puisse t’en apprendre plus sur l’effaçage de souvenirs en particulier.

Evidemment. Il connaissait presque par cœur le contenu de tous ses livres et autres documents, à force de les étudier sans cesse.

  • Et je suis plutôt certain que tu as compris depuis longtemps que t’arracher tes souvenirs les plus sordides était parfaitement inutile. Tu cherches donc autre chose.

Elma décida de jouer le tout pour le tout pour le détourner du sujet de ses recherches. Elle réfléchit rapidement afin de ne pas laisser le temps à Serymar de confirmer ses soupçons. Si ça fonctionnait.

  • J’aimerai savoir pourquoi, dans ce cas, vous vous infligez ça depuis plusieurs années. Cela m’inquiète, vous savez.

Ce qui était aussi l’une des nombreuses questions qu’elle se posait depuis un long moment. Si cela pouvait lui apporter quelques réponses au passage…

  • Je ne suis pas d’humeur à enseigner une énième leçon sur le fonctionnement de la magie.

Il se redressa enfin, réduisit la distance qui les séparaient et la regarda dans les yeux, comme cherchant à pénétrer dans ses pensées. Elma fit de son mieux pour n’afficher aucune appréhension.

  • Que cherche-tu à savoir ? lui demanda-t-il de nouveau, une pointe de menace dans la voix.
  • Je vous l’ai dit : il s’agit juste d’une simple curiosité. Je veux seulement savoir comment ça fonctionne. Puisque vous n’avez pas de temps à accorder pour répondre à ma question, pourriez-vous au moins m’indiquer quel document pourrait me renseigner ?

Sans répondre, Serymar lui prit le livre et le rangea à sa place. Aussitôt après, Elma se retrouva avec un autre volume dans les mains sans la regarder directement.

  • « Gestion de la mémoire » ? lut Elma.
  • Section « stress post-traumatique » à partir de la page trois cent. À prendre bien sûr avec du recul. La réalité ne se conforme pas forcément à ce qui a été établi dans les recherches. Mais ça permet de comprendre quelques bases. Si ça peut t’aider à surpasser tes démons… ça te sera sûrement intéressant.

« Est-ce donc pour ça, que vous vous infligez cette torture ? », songea Elma avec tristesse. « Parce que vous n’avez pas encore surpassé certains de vos souvenirs ? »

Il se détourna d’elle à son grand soulagement. Serymar s’éloigna vers l’entrée de la pièce et s’arrêta. Sa main se posa sur l’encadrement où était censée se trouver une porte autrefois. Elma nota qu’il s’appuyait de nouveau sur son côté droit, l’air de rien. Il lui avait fallu plusieurs mois avant de découvrir qu’il dissimulait un certain problème par des gestes anodins, rendant la chose plus que discrète.

  • N’outrepasse surtout pas les limites de ma tolérance, Elma, l’avertit-il. Continuer tes investigations pourrait se révéler dangereux pour toi.

Elma ravala un commentaire provocateur. Elle ne comprenait décidément pas pourquoi il prenait la peine de l’avertir encore, alors qu’avec quelqu’un d’autre, il aurait déjà sévi depuis longtemps. Il devait avoir ses raisons. Elle eut du mal à déterminer si cet avertissement découlait d’une menace ou d’une inquiétude sincère. Ne pas savoir l’agaçait.

Au moment où il voulut s’éloigner dans le couloir, Elma eut enfin le cran de lui envoyer froideur :

  • Je vous en veux beaucoup, Maître. Je vous en veux particulièrement depuis ce fameux jour où vous m’avez manipulée. Non-seulement vous m’avez envoyée chez ce peuple Avancé qui me terrifie encore plus que les autres, mais vous avez sciemment omis de me préciser que votre but était d’enlever un enfant innocent ! Vous m’avez rendue complice de ce méfait, et voilà plusieurs années que, chaque jour, je lutte contre moi-même pour ne pas en devenir folle ! J’essaie d’apprendre, en vain, de vivre avec ça, mais cela m’est décidément impossible, tant c’est insupportable ! Vous souhaitiez la vérité, à propos de mes derniers agissements ? La voilà donc !

Peu lui importait ce qu’il lui répondrait. C’était sorti, et elle sentait le poids qu’elle endurait enfin s’alléger, même si ce fut très léger. Comme il s’agissait de la vérité, cela rendrait ses dernières actions plausibles tout en dissimulant son véritable but.

Elle l’entendit soupirer doucement. Elma ne tint plus. Elle n’en pouvait plus de devoir museler cette colère qu’elle contenait depuis la naissance de Karel.

  • Il y a longtemps, vous avez aussi commis le crime de rayer tout un peuple de la surface de Weylor. Parmi eux, il devait aussi y avoir des personnes qui ne pouvaient pas se défendre contre vous, n’est-ce pas ? Cela ne vous a pourtant pas empêché de les inclure dans votre génocide ! Qu’est-ce qui vous a empêché de faire de même avec Karel ? Je doute qu’il s’agisse d’une soudaine prise de conscience ! Que comptez-vous réellement lui faire ?

Serymar se retourna soudain, mais Elma ne perdit pas la face. Etrangement, il ne la regarda pas avec colère, ce qui la déstabilisa quelque peu. Il la sondait, pourtant, Elma ne ressentit aucune intrusion dans son esprit.

  • Je ne saurais que te conseiller de ne pas te risquer sur un sujet que tu ne connais pas. Même si je l’ai chèrement payé, je ne regrette pas ce que j’ai fait. Et, au risque de te surprendre, Elma, il y a eu en effet une vieille part de prise de conscience qui a influencé ma situation avec Karel, lui répondit-il avec un calme édifiant. Les humains ne sont pas la seule espèce capable d’évoluer au fil du temps en fonction des expériences vécues.

Sur ces mots, il partit. Elma se laissa tomber dans le fauteuil le plus proche et s’autorisa un soupir de soulagement : elle avait réussi à garder son secret à propos de ses recherches sur la Prophétie.

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