Chapitre 55 - 1

8 minutes de lecture

Cinq jours s’étaient écoulés, et le soir du cinquième, comme promis, leurs parents arrivèrent. Karel fut envahi d’un soulagement intense, si bien qu’une larme de bonheur roula sur sa joue. Ils n’avaient donc pas menti. Sa peur de l’abandon s’atténuait enfin. Eylen et Sorel avaient tenu leur promesse. Cela signifiait que tout ce qu’ils avaient pu lui dire étaient vrais aussi. Karel ne put s’empêcher de faire un parallèle avec le Mage, et se rendit compte qu’il se sentait toujours profondément blessé par ce qu’il lui avait fait. Il avait le sentiment que cette plaie ne se refermerait jamais.

Lya se jeta dans leurs bras à leur arrivée. Karel resta plus distant et leur offrit un sincère sourire de bienvenue. Il avait encore du mal à se sentir proches de ses parents, à son grand regret. Il espérait que le temps lui permettrait de créer ce même lien qui semblait les relier avec Lya. Était-ce le même qu’il avait pu avoir avec cette femme aux yeux verts ? Un voile d’ombre passa sur l’expression de Karel. Non, comme le Mage, elle avait fait semblant. L’adolescent s’efforça de chasser sa sombre humeur afin de ne pas gâcher ses retrouvailles. De toute façon, ils étaient morts, balayés par cette déferlante de magma. À quoi bon y repenser ?

La main de Sorel se posa sur son épaule.

  • Tu vas bien ?

Karel chassa ses larmes de joie d’une main et hocha la tête avec un sourire sincère.

« Comme jamais », répondit-il en pensée en même temps qu’il signa un « merci » avec émotion. « Merci d’avoir tenu votre promesse. »

Sorel le prit dans ses bras.

  • Nous te l’avons dit. Ta vie change et nous ferons tout pour mériter ta confiance.

Pour toute réponse, Karel lui rendit son étreinte. Lui aussi redoublerait d’efforts afin de s’adapter à cette nouvelle vie, maintenant qu’il savait qu’il pouvait se fier à sa famille.

  • Comment s’est passée la semaine ? demanda Eylen.
  • Superbe ! s’écria Lya. Nous avons une nouvelle amie ! Elle s’appelle Lyrielle et elle vient de l’Archipel des Glaciers, tu te rends compte ? Ça veut dire qu’elle a dû traverser la région de la Forêt du Vent pour venir ! Heureusement qu’il y avait les Tribus pour la protéger !
  • Nous avons reçu une convocation de l’Académie, expliqua Sorel. Nous allons devoir retarder un peu notre départ.

Lya se liquéfia.

  • Mais Papa ! Je te jure que cette fois, je me suis bien comportée ! Enfin… sauf hier quand j’ai donné un coup de pied dans l’entrejambe d’Edmond, parce qu’il nous a beaucoup embêté !
  • Lya ! s’écria Eylen.
  • Oh, ne t’en fais pas, il n’a rien dit, il a eu trop honte. Mais c’était mérité, Maman !
  • Ce n’est pas une raison, raisonna Sorel.

Karel intervint cette fois sans hésiter et se plaça ostensiblement devant sa sœur dans un geste protecteur, et plongea un regard sérieux dans celui de leurs parents. Les deux adultes continrent un soupir.

  • De toute manière, ce n’est pas pour ça que l’Académie nous convoque, conclut Eylen. Apparemment, ils veulent vous séparer… nous allons essayer d’arranger ça.
  • Magnifique prétexte, oui ! grogna Sorel. Je suis ravi à l’idée de perdre mon temps !

Lya et Karel les interrogèrent du regard. Eylen soupira. Après les dégâts causés sur Lya parce qu’ils lui avaient caché l’existence de Karel, elle se refusait à leur dissimuler la vérité, désormais. Elle regarda son fils.

  • Ils veulent en savoir plus sur toi, mon chéri.

Karel se figea. L’expression de Lya s’assombrit. Elle aussi avait été bouleversée par la nouvelle lorsque son frère lui en avait parlé.

  • Ne vous inquiétez pas, rassura Eylen avec un sourire. Nous allons régler ça. De toute façon, nous ne savons rien sur ce qui t’es arrivé, Karel. Que veux-tu que l’on dise de plus ? C’est pour ça que Papa est énervé. Parce que nous savons d’avance que cette discussion ne mènera à rien. Mais elle aura au moins le mérite de mettre certaines choses au clair. Restez encore un peu avec Phaïstos. Nous revenons vite vous chercher.

Sur ces mots, ils s’éloignèrent de la forge.

  • Merci.

Karel se tourna vers sa sœur, qui lui offrait une expression reconnaissante.

  • Merci, pour m’avoir soutenue. Je t’adore, tu le sais, ça ?

Son frère remarqua la lueur inquiète dans le fond de son regard. Il commençait à bien la connaître. Même quand elle se sentait mal, Lya faisait en sorte de masquer ses tourments. Karel se fit insistant et forma le mot « confiance ». Il lui prit la main et l’emmena s’asseoir avec lui sur un banc posé contre le bâtiment de la forge.

« Parle-moi. »

Lya baissa le regard sur le banc.

  • Ce… c’est que… c’est que, tu sais, Maman et Papa sont restés bien marqués par ta naissance. Je me dis que cette discussion va leur rappeler des mauvais souvenirs. Ils risquent donc d’avoir encore mal… et je déteste quand on leur fait du mal.

Karel ne fut pas étonné. Il tenait à l’aider et insista encore pour qu’elle se confie pleinement. Pour tout ce qu’elle avait fait pour lui, il estimait avoir une dette éternelle à son encontre. Lya lui offrit une expression gênée et tordit ses mains.

  • Ben… à ce qui paraît, quand Maman était enceinte de moi, Phaïstos m’a raconté qu’ils étaient super angoissés, et que rien que pour ça, Maman a été bien malade pendant toute sa grossesse… quand elle m’a mise au monde, elle et Papa étaient terrifiés, à ce qui paraît. Aussitôt après, ils sont venus ici pendant quelques semaines, pour s’éloigner du village qui leur rappelait trop ces souvenirs, car s’occuper de moi leur était difficile, autrement. Phaïstos m’a dit qu’ils étaient devenus paranoïaques les premières semaines… ils ne sont revenus à Var que lorsqu’ils ont arrêté de vivre dans la peur de me perdre à chaque instant et qu’ils ont été capables de profiter de leur parentalité avec moi.

Karel sentit son cœur se serrer. S’il avait eu un aperçu des effets de son absence sur Lya, il se rendait compte qu’il avait sous-estimé celui de ses parents. Sa peine et sa propre culpabilité grandirent à l’idée de ne pas éprouver autant d’affection que ce qu’il devrait, et qu’il souhaitait pourtant de façon sincère. Il ignorait si ce lien coupé par le Mage était réparable.

Afin de passer le temps, tous les deux aidèrent avec ardeur Phaïstos dans ses ouvrages. La forge fut un excellent terrain d’entraînement pour Lya, qui parvint à assister le forgeron avec dextérité, ce qui permit de gagner un temps précieux dans les commandes. Phaïstos eut tant d’avance que tous les trois rangeaient déjà l’atelier en milieu d’après-midi. Après cette activité éprouvante, Phaïstos porta un plateau avec trois grands verres d’eau fraiche en invitant les enfants à se servir.

  • Ah ! J’ai beau savoir que vous allez revenir, vous allez quand même me manquer, tous les deux ! fit-il après avoir vidé son verre. Ma forge sera bien vide sans vous !

Karel signa. Phaïstos en avait appris quelques-uns avec l’aide de Lya. Il raccrocha son tablier et afficha un sourire mélancolique.

  • Oui, j’ai eu deux enfants, mais ils sont grands, maintenant. Une fille Sans-Pouvoir comme moi, et un fils Sorcier. Ils ont fait leur vie, tu sais. C’est pour ça que j’ai trois chambres ici, donc tu vois, j’avais largement la place de t’accueillir ! Et même sans ça, la question ne se posait même pas. Tu sais, je me suis senti tellement heureux quand j’ai su que tu étais le fils perdu d’Eylen et Sorel ! C’est un miracle digne des Dragons, ça, je te le dis, mon petit ! En parlant de joie, je vais sûrement devenir grand-père, aussi. J’ai hâte de le voir jouer par ici, cette ou ce petit !
  • Félicitations, Phaïstos ! s’écria Lya en se jetant à sa taille.

Phaïstos se mit à rire en lui ébouriffant les cheveux. Karel étira un sourire, attendri. Il s’était surpris à apprécier le forgeron. Il lui semblait être un bon ami pour sa famille.

En fin de journée, ils furent déjà loin de Sheyral, sur les routes. Karel ne put s’empêcher de se sentir soulagé de voir cette ville devenir de plus en plus petite à mesure que le chariot s’éloignait. Ces derniers jours avaient été éreintants.

À l’intérieur du chariot, Lya s’assit en face de lui à même le plancher.

  • Je sais que je te l’ai déjà dit, mais… merci encore pour m’avoir ramené ça, lui fit-elle en désignant son artéfact.

« Ce n’est rien », signa Karel.

  • Non, très sérieusement ! Sans ça, je n’aurai plus pu utiliser la magie, pire, elle aurait peut-être fini par me consumer ! Ces crétins n’ont vraiment aucune conscience de ça. Puis d’après ce qui s’est dit, il paraît que tu leur as flanqué une bonne leçon en plus ! Bien joué !

Regard interrogateur de son frère. Lya se corrigea en exécutant le signe adéquat.

  • « Flanquer », « donner », quoi. Faut vraiment t’initier, toi !

Karel lui fit comprendre par le regard que malgré ce manque de compréhension, il avait quand même saisi où elle avait voulu en venir.

  • Sérieusement, comment as-tu appris tout ça ? lui demanda-t-elle, curieuse.

Karel hésita. Il connaissait l’aversion de Lya sur le Mage. Tout ce qui y lui était lié lui était difficilement supportable. Karel ne se voyait donc pas encore lui dire la vérité à ce sujet, bien qu’il fût certain qu’elle finirait par s’en douter, en grandissant. Karel préféra hausser les épaules, comme pour dire qu’il n’en savait rien. Ce qui était en partie vrai : lui-même faisait cela naturellement. Il avait encore quelques difficultés, mais il s’agissait seulement de corrections à faire.

Lya parut déçue de ne pas avoir de réponse claire, mais au soulagement de son frère, elle décida de s’en contenter… pour l’instant. Karel n’était pas dupe : Lya était intelligente, elle n’en pensait jamais moins derrière ses grands airs. Un jour, elle reviendrait à la charge, et il serait alors bien obligé de lui dire les choses. Lya l’embrassa sur la joue avant de lui offrir un petit sourire malicieux bien à elle.

  • Tu es le meilleur grand frère du monde, Karel. Je t’aime.

Son frère lui répondit par un sourire bienveillant, bien qu’il ne comprenait pas ce qu’il avait bien d’exceptionnel pour mériter un tel compliment. Il se promit de continuer à faire de son mieux pour continuer à mériter ce statut. Lya avait tant supporté. Il était temps, selon Karel, de lui alléger tout ce poids qu’elle portait sur ses épaules depuis sa naissance. Lya se lova dans ses bras, et Karel l’entoura d’un geste protecteur. Cette seule proximité suffisait à le combler de bonheur. Enfin apaisé et serein, il se laissa bercer par le cahot du chariot.

Suite ===>

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Eylun ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0