Chapitre 11 - 1

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Ere actuelle, trois ans plus tard.




Dans un salon, installé en tailleur dans un fauteuil, le garçon de huit ans jeta un coup d’œil à une fenêtre : le temps était maussade, s’amuser dehors serait pour une autre fois. Le vent soufflait, ce qui provoquait une sorte de tempête de cendres d’une telle densité qu’il devenait difficile de voir sur plusieurs mètres. Karel avait déjà eu beaucoup de mal à obtenir la permission de son Maître pour jouer dehors en toute liberté, et il ne tenait pas à perdre cette autonomie pour laquelle il avait dû lutter. Serymar lui avait imposé quelques règles qu’il se devait de respecter. Ne pas sortir par ces conditions météorologiques en faisait partie. Karel avait accepté ce prix, même s’il se demandait encore pourquoi il devait subir ces surveillances trop incessantes à son goût.

Karel décida de s’imaginer en explorateur, mais à l’intérieur. Il se souvint qu’il y avait des zones dont on lui interdisait l’accès et évitées par tout le monde, comme si le secteur était condamné. Les yeux brillant d’une détermination nouvelle, Karel décida d’en découvrir la raison.

Il descendit tout d’abord jusqu’au rez-de-chaussée. Le château comprenait cinq étages, sans compter les deux ou trois souterrains. Karel l’ignorait. Il savait le premier dédié à la serre, mais n’avait jamais su ce que renfermaient les deux autres.

À cette heure, la serre était déserte. Il fit bien attention à ne marcher sur aucune plante et à ne rien abîmer. Il traversa la longue allée jusqu’à parvenir au fond de cette pièce immense, devenue presque labyrinthique au vu de toutes les espèces qui s’y trouvaient. Une fois arrivé, Karel descendit trois petites marches grises et fit face à une double-porte à l’allure sinistre.

Celle-ci était verrouillée par des chaînes avec un cadenas imposant qui faisait la moitié de sa taille. Karel l’examina de près : il le toucha, l’étudia et jeta même un œil à l’intérieur mais il ne vit rien du tout. Il avisa l’extérieur et aperçut quelques vis et de minuscules tranchées fermées sur le pourtour de l’objet. Karel ferma les yeux et se concentra. Le cadenas se désolidarisa en plusieurs éléments, chacun se sépara sans aucune casse. Karel ouvrit les yeux et étira un sourire victorieux. Dans sa main, désormais, se trouvait tout le mécanisme à nu. Il s’arma encore de patience pour l’examiner, et pu donc enfin le déverrouiller comme si de rien n’était. Il venait de réaliser un sort sans débordement. Le Maître serait sûrement fier de lui.

Galvanisé par sa réussite, Karel dégagea ce qui restait du cadenas et délia les lourdes chaînes de la double-porte. Il laissa tomber le tout sur le sol, attrapa un heurtoir et tira de toutes ses forces pour ouvrir un des battants. Il n’eut pas la patience d’ouvrir la porte en entier et se contenta de l’ouvrir suffisamment pour lui permettre de passer.

Une fois derrière, une volée d’escaliers s’enfonçant dans la pénombre s’offrit à lui. Loin de l’effrayer, Karel descendit les marches inégales et corrodées en toute insouciance, guidé par la lumière de la serre.

Il descendit jusqu’à arriver au second sous-sol. Une odeur pestilentielle le surprit et lui saisit les poumons. Karel se couvrit aussitôt la bouche et le nez, pris d’une désagréable quinte de toux. Un mélange d’humidité, de moisi, de sang et d’autre chose saturait l’air au point de le rendre difficilement respirable. Il en eut la nausée. Cela ne fit qu’attiser sa curiosité. Karel avait l’impression de pénétrer dans un tout autre monde que le sien.

Lorsqu’il quitta la dernière marche, le sol craqua sous ses pieds. Karel fut surpris de voir autant de saleté alors que le reste du petit château était propre, en dépit de son état partiel de ruine. Le sol était recouvert de vieille paille moisie et poisseuse de substances que le petit garçon refusa de découvrir. Karel avança, le haut de sa tunique relevé jusqu’à son nez. La paille continua de s’écraser mollement à chacun de ses pas. De temps à autre, Karel ressentait sous ses chaussures des choses très dures et lisses sur lesquelles il manqua de trébucher plusieurs fois. À nouveau, Karel décida qu’il ne souhaitait pas savoir de quoi il s’agissait et se retint de baisser les yeux. De nombreuses cellules limitées par des barreaux de fer rouillés habillaient ce long couloir sordide. Karel continua d’avancer et aperçut d’étranges meubles anciens à l’allure effrayante. De grands objets bien plus hauts que sa taille, essentiellement en bois vermoulu, de métaux tranchants et d’entraves. Certaines de ces étranges tables avaient de grandes taches de sang incrustées. Karel déglutit et ne prit pas le risque de les approcher.

La curiosité l’emporta sur le malaise que lui provoquaient ces lieux. Après quelques pas, Karel sursauta face à un nouveau tableau glaçant : encore et toujours des barreaux, mais avec des os humains éparpillés ici et là. En face de lui se trouvait un squelette en plusieurs morceaux, avec de nombreux débris de membres réduits en poussière. C’était comme si quelqu’un s’était amusé à exploser chaque parcelle de son être une par une, ne laissant que le corps et la tête. Le crâne était fendu en deux et il manquait la mâchoire. Les murs de la cellule étaient presque entièrement recouverts de sang comme s’il y avait eu une grande explosion. La paille éparse autour du squelette affichait une couleur sombre et un état de décomposition avancée. Karel fut tétanisé par tant de démonstration de violence.

L’air devint insoutenable. Karel serra ses côtes en grimaçant de douleur. Incapable de tenir plus longtemps, il hoqueta, son estomac se contracta et il vomit.

Après une autre quinte de toux, Karel décida qu’il en avait assez. Finalement, ce n’était pas si amusant que ça. Il fit volte-face et s’empressa de rejoindre les escaliers.

Karel marcha vite. Il se fit surprendre par une dalle qui s’enfonça sous son pied. Un désagréable concert de rouages mécanique rouillée retentit. Un frisson glacial lui remonta la colonne vertébrale. Paniqué, Karel se mit à courir.

La terreur le saisit lorsque son pied rencontra un vide qui n’était pas là quelques instants plus tôt. Expirant un souffle de surprise, il chuta à une vitesse folle. Sa tête heurta un mur avec violence. Karel tenta de s’accrocher au mur, mais la pierre était si glissante qu’il se blessa les mains. Terrifié, Karel n’eut ni le temps ni le réflexe de penser à utiliser ses pouvoirs. Incapable de voir, il rencontra le sol avec violence, lui arrachant une intense expression de douleur. Son cœur se comprima et de lourds vertiges l’envahirent. Karel avait l’impression d’avoir ses os brisés, en charpie et éparpillés autour de lui.

Il avait mal. Si mal que sa vue se troubla. Chaque tentative de mouvement était une torture telle qu’il fut incapable de bouger. Sa conscience vacilla alors qu’il sentait quelque chose de chaud s’écouler de son bras gauche. Incapable de se relever, il eut juste le temps d’apercevoir un pieux de métal rouillé planté en plein centre de ce trou. Il était tâché d’un sang récent. À peine à un mètre du petit garçon, un autre squelette en décomposition le dévisageait.

Karel voulut bouger, mais la douleur se fit fulgurante et lui arracha une grimace d’agonie. Le cœur battant, il leva les yeux vers ce plafond qu’il ne voyait plus. Seulement les murs de ce puits sordide. Comment appeler à l’aide ? Son Maître allait certainement être mécontent et le punir… Des larmes de douleur et de peur ruisselèrent sur ses joues sales. Personne. Le silence absolu. Personne pour l’entendre. Karel faiblit, avec l’impression d’avoir le corps en morceaux, comme ces squelettes avec des membres séparés de leurs corps. Allait-il finir comme eux ?

Une ombre finit par le recouvrir tout entier. Était-ce un vêtement noir, ou était-il en train de perdre connaissance ?




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Suite ===>

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