Chapitre 1 - 2

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Dans l’une des pièces les plus éloignées du carnage, le Messager des Dragons s’affairait. Résolu, il triturait nerveusement la chevalière qui ornait son doigt. Il espérait que son assistant était parvenu à traduire la Prophétie et à mettre en place ce qu’il fallait pour l’accomplir. Les Dragons n’avaient laissé que peu d’indices sur l’identité de leur élu. Le vieil homme se raidit en constatant les échos de la bataille qui faisait rage au-delà de la double-porte ouvragée. Il se félicita de ne pas avoir sous-estimé la menace.

Un frisson glacial longea son dos. Il inspira, résigné. Il s’était attendu à ce dénouement, malgré tout ce qu’il avait entrepris pour l’éviter. Engager plus de gardes porteurs de magie qu’à l’accoutumée ne lui avait pas accordé le temps espéré pour exécuter sa manœuvre. Il disposait malgré tout d’un peu d’avance.

Le Messager rassembla tout son courage pour se retourner et faire face à son destin. L’un des protagonistes de cette Prophétie était là, dissimulé sous une ample cape noire. Le Messager des Dragons sut qu’il ne devait pas se laisser abuser par cette apparence misérable. De taille élancée, son visiteur était d’une grande maigreur et du peu qu’il put l’apercevoir, sa peau était aussi blanche que la neige. Ses vêtements usés contrastaient avec le luxe des lieux. La forte odeur de sang ne laissait aucun doute quant à l’horreur qu’avait endurée les gardes.

« Je dois le ralentir et gagner le plus de temps possible. Cher ami, puisse-tu accomplir la mission que je t’ai donnée avant qu’il ne te retrouve. » songea-t-il.

D’un mouvement sec d’une main pourvue de griffes courtes, l’intrus jeta un sort dans la pièce. Les portes claquèrent derrière lui au moment où les premiers défenseurs arrivaient. De violents coups retentirent sur les battants.

  • Ainsi, nous ne serons pas dérangés.
  • Sortez d’ici, l’exhorta le Messager. Ce temps ne vous appartient plus !

Le Messager tendit la main vers son adversaire et invoqua un puissant éclair. Le Mage dévia l’attaque d’un vif mouvement de bras et la foudre perça le plafond dans un fracas tonitruant.

  • Vous allez répondre à mes questions, ou cette histoire risque fort de mal se terminer.
  • Vous ne trouverez pas ce que vous cherchez ici.

Une masse invisible lui écrasa le torse. Il suffoqua, les poumons compressés. Une autre secousse et son corps vola vers le fond de son bureau. Le Messager fut pendant un instant aveuglé par la douleur lorsque son dos percuta un buffet sculpté, juste avant de s’écraser lourdement sur le sol.

  • Un conseil : évitez de vous payer ma tête, menaça son interlocuteur.

Le Messager toussa et voulut répliquer, toujours dans le seul but de gagner du temps. Son assaillant se jeta sur lui pour l’immobiliser. Une main maigre s’enroula autour de son cou et menaça de l’étrangler. Dans cette position, le Messager des Dragons croisa le terrifiant regard de son agresseur : deux yeux rouge sang, la sclérotique vermeille, les iris légèrement orangés et les pupilles fendues à la verticale comme celles d’une bête ou d’un démon. Un regard assassin, furieux, encadré par quelques mèches cyan aussi lisses et raides que celles d’un elfe.

  • Quelle est donc cette Prophétie qui me concerne ? exigea-t-il avec virulence.

Le Messager des Dragons tenta de se débattre.

  • Jamais, je ne vous la révèlerai !
  • Parle, si tu ne veux pas mourir !
  • Mon choix est déjà fait.

La prise se serra. Le Messager tenta d’écarter la main qui l’étranglait. En vain. Il lâcha un cri étouffé de douleur lorsqu’une emprise surnaturelle cloua ses bras sur le parquet.

  • À ta place, je reconsidérerais ma position… et ne t’avise plus de me toucher.

L’expression du Messager se durcit. Il planta son regard dans celui de son assaillant.

  • Jamais.

Le Mage soupira de manière presque imperceptible. Ses doigts se resserrèrent et son agressivité redoubla.

  • Alors tant pis pour toi ! jeta-t-il avec un soupçon de déception dans sa voix.

À peine eut-il fini sa phrase que son autre main se referma sur la tête du Messager et ferma les yeux comme pour mieux se concentrer. Sa victime hurla de douleur sous cette emprise dont il ne put se défaire. Les yeux révulsés, son cœur menaçait d’exploser. Il chercha à se défendre en renforçant ses barrières mentales, sans succès.

Le Mage plongea dans son esprit et fouilla les moindres recoins de sa mémoire. Il abattit chaque protection du Messager comme s’il ne s’agissait que d’un Apprenti, lui causant des lésions mémorielles. Plus sa résistance était forte, et plus il se savait proche de ce qu’il était venu chercher. Le Messager tenta de le tromper en se focalisant sur des pensées toute autres que la Prophétie. Sa manœuvre échoua et un autre cri de douleur s’échappa de sa gorge. De nombreuses images défilèrent sous ses yeux, tirés de force du fin fond de son esprit, comme on saccagerait une pièce en vidant le contenu de ses meubles.

Soudain, l’image de son ami s’imposa à son esprit. Le Messager sentit une larme rouler sur sa joue légèrement barbue. Son dernier souvenir avec lui. Son ami le fixait avec une expression malheureuse dans ses yeux bleus en tenant entre ses mains une sphère lumineuse. Il s’inclinait devant lui tout en retenant ses lunettes et annonçait, résigné :

« Je vous promets que votre sacrifice ne sera pas vain, Maître. Nous nous reverrons au royaume des Dragons. »

La torture cessa enfin. Haletant, le Messager risqua un œil sur son agresseur qui s’était figé. Il comprit que son adversaire venait de prendre conscience du piège dans lequel il était tombé. Le Messager servait d’appât pour lui faire perdre le plus de temps possible, le temps de mettre la Prophétie en sécurité. Il s’était complètement effacé la mémoire sur le sujet et avait confié ses souvenirs à son allié. La frustration déforma les traits du Mage qui coupa la connexion et toisa sa victime d’un air menaçant. Sa prise se desserra. Le souffle court, le Messager se permit une expression satisfaite. Il était parvenu à devancer leur cible. Il défia son agresseur.

  • Il me tarde… de voir le jour où vous disparaîtrez.
  • Ce jour, tu ne le verras pas !

Le Mage plaqua sa main sur la tête de sa victime avec colère. Il infiltra tout son système nerveux et coupa les connexions avec les organes vitaux. Il fut incapable de hurler, ce qui rendit la douleur encore plus insoutenable. Le Messager sentit comme des doigts invisibles se glisser autour de son cœur pour l’enserrer. La prise était impitoyable. Le Messager manqua rapidement d’air. Il lui fut impossible de tenter d’écarter les mains de l’étranger contre lui, son corps ne lui appartenait déjà plus. Il ne put que succomber à ses vertiges, à sa perte de conscience, jusqu’à ce que la vie le quitte.

L’assassin se releva avant que les portes ne cèdent aux assauts répétés des gardes. Il devait retrouver l’associé qu’il avait vu dans les pensées du Messager. Accordant un dernier regard à sa victime, il pensa, dépité :

« Dragons… votre orgueil ne vous a-t-il pas déjà suffisamment coûté ? »

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