Chapitre 26 - 1

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Enfin debout, Serymar ne perdit pas de temps. Le peu qu’il avait ressenti sur les pactes n’avait fait que confirmer ses soupçons. Visiblement, ses pièges n’avaient pas suffi à protéger Karel en son absence.

À peine sortit-il de sa chambre que le jeune concerné surgit pour lui annoncer qu’il était soulagé de le voir debout. Cette sollicitude lui était toujours aussi perturbante, mais Serymar ne s’en étonnait plus, au vu du caractère de Karel. Le Mage ne manqua pas de percevoir l’angoisse du petit garçon. Il semblait hésiter à s’éloigner de lui, bien qu’il tentait de se composer une façade. Karel annonça qu’il avait hâte de reprendre leurs leçons.

  • « Accorde-moi encore deux jours supplémentaires. J’ai… »

Serymar suspendit un instant ses gestes, le temps de trouver les bons mots pour éviter d’avoir à expliquer ses objectifs réels.

  • « J’ai quelques problèmes à régler. »

Karel l’interrogea du regard.

  • « Du ménage. »

Contre toute attente, Karel lui proposa son aide.

  • « Certainement pas. » répondit aussitôt Serymar.

Karel afficha une moue déçue. Son tuteur décida de jouer sur les désirs de son Apprenti pour s’en sortir.

  • « Je t’autorise à élargir ton périmètre d’exploration dehors. Vas-y et entraîne-toi bien. Profite de ces deux jours pour parfaire ton pouvoir, après quoi, je te testerai. »

Karel ouvrit grand les yeux de surprise. Serymar venait-il bien de lui sous-entendre qu’il lui faisait assez confiance pour lui accorder plus d’autonomie, comme il lui avait tant demandé ? Serymar le lui confirma d’un léger hochement de tête.

  • « Rendez-vous à ton arbre ressuscité. »

Karel assenti et se téléporta dehors. Serymar effectua une rotation du poignet pour sceller toutes les sorties du château. Ce qu’il s’apprêtait à faire risquait d’être bruyant.

Il se téléporta directement à la serre souterraine. Le Mage ne put qu’en constater les dégâts. La majorité des parcelles était détruite. Certaines avait été brûlées, d’autres transformées par magie. Karel avait donc bel et bien été menacé plusieurs fois. Radôn avait tenté de briser le pacte du silence et quelqu’un d’autre l’avait piégé puis agressé. Voilà qui expliquait la réticence de son Apprenti à s’éloigner de lui, et pourquoi il s’était jeté dans ses bras en le voyant commencer à aller mieux.

Si Serymar était capable de se passer de nourriture pendant plusieurs jours, ce n’était pas le cas de ceux qu’il avait décidé de protéger. S’il ne leur fournissait plus de quoi survivre, les pactes qu’il avait créés se retourneraient contre lui lorsque la faim prendrait ses subordonnés. Il allait devoir y remédier le plus tôt possible.

Le Mage analysa la masse de lianes et de racines entremêlées que le pouvoir de Karel avait créé. Son Apprenti avait encore du mal à maîtriser ses émotions en cas de situation grave. Il allait devoir travailler ce sujet avec lui. Surtout, Serymar comprit où voulaient en venir certains de ses serviteurs. Le peu qu’il voyait dans la serre lui fit comprendre les grandes lignes de leurs plans, ainsi que ses sensations au niveau des pactes qui le liait à ces humains. Elma et Raël avaient eux aussi été menacés.

Que Karel ait été attaqué plusieurs fois ne lui était pas surprenant. Son Apprenti était le plus vulnérable en apparence. Serymar était satisfait de constater que Karel leur avait prouvé le contraire. En revanche, cela signifiait que les traîtres allaient probablement s’attaquer à des victimes plus accessibles après Karel. Serymar se doutait déjà de leurs identités.

Il se téléporta encore et se retrouva en plein milieu de la salle que s’était octroyé ses subordonnés. Des cris de surprise et de consternation fusèrent. En temps normal, Serymar ne venait jamais dans cette pièce, mais aujourd’hui, il avait des comptes à régler.

  • Maître ! s’exprima Reynald. Nous ne savions pas que vous étiez debout. Nous sommes sou…
  • Epargne-moi tes paroles hypocrites, lui jeta Serymar d’une voix glaciale. Je ne suis pas d’humeur.

Il allait devoir la jouer fine. Le Mage ignorait s’il allait y parvenir, mais son personnel venait de lui prouver qu’il ne pouvait pas se permettre d’être lui-même. Il fixa Enorën.

  • Combien de temps pouvons-nous tenir avec l’état actuel des réserves ?

Si lui ne pouvait pas jouer la comédie, ce n’était pas le cas d’Enorën et de tous les autres. Celui-ci se composa une expression désespérée et baissa la tête.

  • Catastrophiques. Je dois encore voir en détail, mais comme ça, je dirai… à peine deux semaines, tout au plus. Je suis navré de ne pas avoir été à la hauteur de la mission que vous m’avez donnée.

« Tu dépasses mes espérances, Enorën. »

Aucun autre de ses subordonnés ne s’était montré capable de comprendre son jeu sans que Serymar ait à l’expliciter. Sa manipulation fonctionna à merveille lorsqu’il vit Elkor se relever brusquement :

  • Maître ! Comme vous le voyez, vous ne pouvez pas vous permettre de garder Enorën. Il n’a plus sa tête, à cause de lui, nous risquons la faim ! Et vous, d’être puni par le pacte… il ne mérite plus sa place ici.

Serymar décida de l’ignorer pour l’instant. Lui accorder son attention maintenant empêcherait les autres coupables de se dénoncer malgré-eux. Sa longue expérience lui avait appris que le silence était parfois plus perturbant que des injonctions directes. En maintenant sa posture actuelle et son silence, il avait remarqué que cela poussait souvent les gens à en révéler plus que ce qu’ils devaient à cause de la peur que cette attitude inspirait. Sa théorie fut à nouveau la bonne, car Reynald prit la parole à son tour :

  • J’ai déjà commencé à faire l’inventaire de ce qui nous reste. Même en nous rationnant, nous ne pourrons plus nourrir tout le monde. Enfin, je parle pour ceux qui en veulent bien.

Il jeta un regard lourd de reproches à Raël, qui le lui rendit bien.

  • Tu crois que je ne vois pas votre jeu ? gronda-t-il. Tu ne m’as pas amené de rations, tu as essayé de m’empoisonner !

Reynald afficha une expression contrariée :

  • Tu es un ingrat ! Tu étais affaibli depuis notre dernière réunion, je t’apportais seulement un remède pour te remettre sur pieds !
  • Je le rejoins ! ajouta Syvën, glacial. Tu sais que nous sommes en pénurie depuis cet incendie, et toi, tu as osé jeter ce que nous t’avions servi, alors que tu es nourri à l’œil ! Tu mériterais de mourir pour gâcher d’aussi précieuses ressources, surtout maintenant !
  • Vous n’êtes que des ordures ! s’emporta le jeune homme.

Serymar perçut un mouvement du côté d’Elma.

  • Surtout, pas un mot et aucun geste, lui ordonna-t-il par télépathie sans bouger de sa position.

Elma fut incapable de rester neutre. L’indignation la prenait, mais au moins resta-t-elle silencieuse. Serymar se coupa aussitôt de ses pensées. Il ne tenait pas à entendre ses supplications d’épargner ses homologues.

  • Maître… suggéra Syvën. La situation est désespérée. Nous ne pouvons pas nourrir tout le monde à la fois. Dans notre situation, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre ceux qui sont en meilleur capacité pour survivre. Les autres… les autres ne feraient que précipiter la mort de tout le monde, à commencer par Karel.
  • Oui… confirma Erik. Il vaut mieux faire le moins de sacrifice possible, pour assurer la survie du plus grand nombre.

Serymar estima qu’il en avait assez entendu. Il se tourna vers Elkor :

  • J’ai à discuter avec toi. Vous autres, j’exige votre présence à la serre dans l’heure, devant la porte des cachots. Exécution.



§§§§§




Serymar faisait face à Elkor, les bras croisés et appuyé contre la table centrale.

  • Nous sommes partis sur de mauvaise bases, Elkor, commença-t-il posément.

Son interlocuteur fut surpris par ses paroles.

  • Maître ! Vous voulez dire que…

Si Serymar ne pouvait pas mentir ouvertement, il pouvait jouer sur les apparences. Il ne répondit rien et conserva sa posture. Le Mage avait pu observer que les gens avaient tendance à croire ce qu’ils désiraient au fond d’eux. Elkor ne faisait pas exception et le conforta dans ses certitudes :

  • Oui, c’est vrai. Il serait bon de passer à autre chose.
  • Eh bien. Je désespérais de vivre ce jour où nous serions enfin d’accord.
  • Vraiment ?
  • Oui. Vraiment. Je vais même te faire une faveur…

Il marqua une courte pause alors qu’il se redressait et s’approcha d’Elkor.

  • L’inconvénient des pactes, c’est qu’ils te font agoniser. Je préfère les morts rapides. Je vais te laisser une chance en t’offrant de te tuer sans me servir de la magie.

Elkor blêmit soudain, pris par surprise et recula.

  • Maître ! Vous vous trompez sur mon compte !

Serymar le fusilla du regard.

  • Tu as osé toucher Elma et la déshonorer devant tout le monde, tu as manqué de tuer Raël et par deux fois, tu as essayé d’éliminer Karel par le biais des autres. Tu oses encore prétendre ne rien avoir fait ?
  • Ces accusations sont illégitimes ! se défendit Elkor. Comme vous l’avez souligné, je n’ai rien fait !
  • Ne me reproche pas de ne pas t’avoir donné l’occasion de défendre ta misérable vie.



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Suite ===>

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