Chapitre 41 - 1

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Plongé dans le livre de Lya sous les combles de la maison, Karel fut interrompu par des éclats de voix en bas. Il referma le livre et le plaça soigneusement de côté. Il rampa discrètement vers le rebord de la petite mezzanine, dans laquelle une seconde couche avait été réalisée pour lui.

Il fronça le regard lorsqu’il aperçut Lya face à ses parents. Eylen était dépitée, tandis que Sorel et Lya se faisaient face, visiblement contrariés.

  • Lya ! On nous rapporte que tu as encore été insolente en classe ! Et tu veux rejoindre cette Académie de magie ? Comment veux-tu que nous te fassions confiance si tu n’es même pas capable de prendre sur toi ici ?
  • Vous avez surtout peur de nous y envoyer ! riposta Lya aussi vivement.
  • Ton frère s’est fait enlever précisément à cause de ses pouvoirs ! tonna Sorel, l’inquiétude se ressentant parfaitement dans sa voix. Il est absolument hors de questions que cela recommence, d’autant plus avec nos deux enfants, tu entends !

Le couple se sentait acculé. La réalité était pourtant là : leurs enfants avaient eu le malheur – à leurs yeux – d’être nés porteurs de magie. Et cela posait beaucoup de problème : personne dans le village pouvait leur apprendre à les contrôler, et s’ils ne les laissaient pas accéder à ce savoir, leurs vies risquaient de devenir fort périlleuses. De l’autre, ils redoutaient de les laisser après ce qui était arriver à Karel. Ils avaient tant redouté que Lya leur soit aussi enlevée à la naissance. Cette angoisse les avait accompagnés chaque jour de la seconde grossesse d’Eylen. Celle-ci échangea un regard inquiet avec Sorel. Qui savait si leurs enfants seraient en sécurité à Sheyral ?

Ensuite, il y avait Karel qui ne parlait pas et qui n’était pas accoutumé au moindre code social. Son cas était exceptionnel, et ses parents redoutaient les difficultés qu’il allait rencontrer. Si la petite famille s’était mise à la langue des signes, ce n’était pas le cas du reste du monde.

Eylen et Sorel redoutaient les conséquences d’un éloignement. Ils le voyaient bien, même si cela leur coûtait de le constater : leur fils avait douze ans. Il se montrait distant avec les adultes et n’osait s’exprimer qu’avec Lya. Karel faisait des efforts avec eux, mais le lien ne semblait pas s’établir correctement. Leur fils avait été élevé par une autre personne. Ils ne connaissaient pas leur propre enfant. Karel était un étranger sans l’être. Des rumeurs commençaient à courir dans le village à son sujet, l’appelant « le Sans-Voix ». Les gens le soupçonnaient très souvent de faire exprès de ne pas parler et accusaient Karel d’avoir un sérieux problème psychologique à ce niveau. Mais ce n’était rien à côté de ceux qui se souvenaient du jour de sa naissance, et qui comméraient avec inquiétude que Karel, tout humain qu’il était, ne pouvait pas agir comme tel du fait qu’il avait été élevé par un monstre. Leur fils considérait la moindre sortie comme une véritable épreuve à endurer et les évitait le plus possible.

Le couple se demandait toujours comment Karel avait pu finir à la rue, et comment il avait été traité durant toutes ces années. Ils ne le sauraient probablement jamais. L’envoyer dans cette Académie ne leur semblait pas être une très bonne idée pour le moment, compte tenu de son handicap en particulier et de ses blessures encore trop vives.

  • Cette histoire est stupide, en plus ! s’énerva Lya. C’est injuste de m’en vouloir ! Karel a bien plus besoin de cette fichue ardoise que moi !
  • Ma chérie, intervint Eylen. Nous sommes sincèrement très fiers de ton attitude avec ton frère, mais c’est la même histoire que la dernière fois : nous ne te reprochons pas tes actes, seulement ton comportement. Et arriver en classe en justifiant à ton enseignante que tu as fait exprès de ne pas emporter tes affaires en lui ajoutant que tu n’es de toute façon pas intéressée par ses cours… tu aurais dû t’y prendre autrement. Et surtout, tu pourrais compter sur nous. Nous comptions lui acheter le nécessaire pour qu’il puisse s’exprimer avec nous.

Karel ne comprit pas la moitié de la discussion, mais parvint à comprendre quelques mots. Sans savoir pourquoi, il se sentait coupable. Particulièrement quand il entendait son prénom sortir de la conversation. L’idée de causer du tord à ces personnes lui tordait l’estomac.

N’en supportant pas davantage, Karel descendit via l’échelle de bois et comme prévu, un silence gênant s’installa, ce qui n’arrangea pas son sentiment. Trois regards se tournèrent vers lui. Karel se sentit très mal à l’aise. Il ignorait ce qu’il avait pu faire de mal, mais il s’en voulait, ayant la désagréable impression de s’imposer sans le vouloir.

En se tordant les mains nerveusement, il avança d’un pas et se força à affronter chaque regard, et en particulier celui de Lya. Il lui signa avec nervosité. Lya le fusilla du regard.

  • C’est nul, c’est injuste ! explosa-t-elle. Tu n’as même pas à t’excuser pour ça, pauvre abruti, tu n’as rien fait de mal !
  • Lya ! s’insurgea Eylen. Je t’interdis de lui parler comme ça, est-ce que c’est clair ?
  • J’en ai marre ! cracha Lya en s’éloignant. C’est toujours pareil, les adultes sont toujours parfaits même quand ils ont des torts !

La porte claqua avec violence.

Un silence lourd tomba. Karel se sentit encore plus gêné, figé de surprise. Pourquoi Lya l’avait-elle foudroyé du regard comme ça ? Que se passait-il ? Qu’avait-il fait ? À part… être là…

  • Karel ? Tu vas bien ? s’inquiéta Eylen.

Pas de réponse, pas de réaction. Karel ne savait pas ce qu’il devait faire en cet instant. L’angoisse le saisit. Il craignait à nouveau de faire le moindre pas, de crainte de blesser encore son entourage. C’était perturbant d’avoir cette impression de marcher à l’aveuglette, sans savoir si on allait tomber d’une falaise. La moindre petite erreur, et les conséquences en seraient fatales. Mais comment marcher, alors qu’il ne savait absolument pas comment avancer sans faire de mal ?

  • Occupe-toi de lui, je vais voir Lya, proposa Sorel en rejoignant la porte.
  • Oui. Je vais essayer de lui faire comprendre qu’il n’a pas à se sentir coupable.

Suite ===>

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