Un être sincère

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À dix heures nous avions franchi le seuil de l'église, pour lui dire un dernier mot, adieu. Pour certains, c'était simplement une artiste. Et, pour elle, cela signifiait beaucoup d'être considérée comme une artiste. pour d'autres comme moi, elle représentait d'abord une amie sincère, un soutien sans faille. J'avais traversé la nef à contre-coeur, je voulais m'enfuir. Parce que je savais déjà comment se déroulerait la cérémonie. Elle me les avait raconté, un soir lorsque nous avions trop bu, ses funérailles idéales. Comme je m'en doutais, nous fûmes accueillis par "un homme heureux" de William Sheller. Elle aimait l'émotion qui se dégageait de sa voix, le désespoir que le chanteur refusait de masquer, son authenticité.

Je m'étais assis au deuxième rang, à côté de l'une de ses étudiantes en peinture qui pleurait déjà à chaudes larmes. Tout le monde l'aimait. Elle n'avait aucun ennemi, parce qu'elle ne portait aucun jugement sur les autres. elle n'éprouvait que de l'amour et de la compassion pour ceux qui l'entouraient et même pour ceux qui la méprisaient. Elle chérissait tellement la vie, qu'elle ne pouvait s'empêcher de sourire, chaque jour, chaque instant. Mais, ce bus avait décidé d'effacer sa rayonnante présence. Il était passé au feu rouge. C'était un accident, une inattention, rien de plus. Elle ne l'avait pas vu venir, elle avait été distraite un instant, car elle était pressée. Car ce n'était pas bien de faire attendre les gens ... Pendant une semaine, on avait pu lui rendre visite, voir son corps suspendu par des câbles, au-dessus du précipice avant de chuter dans les ténèbres. Puis, parce qu'elle avait pris soin de le prévoir, on avait coupé l'assistance électronique. On avait découpé tout son cadavre pour faire don de ce qui fonctionnait encore à ceux qui en avaient besoin. Comme si elle n'avait été qu'une vulgaire automobile.

Pourquoi nous avait-elle abandonnée, quel dieu injuste avait permis à une si belle étoile de mourir si jeune ? Personnellement, je refusais de l'accepter. Je sais qu'elle, elle avait compris. Elle m'avait dit un jour :

- Si les bonnes personnes meurent, c'est qu'elles ont le droit d'être en paix. Les autres doivent encore apprendre de la vie.

- Parce que tu veux mourir ? lui avais-je demandé inquiet.

- Non, bien sûr que non, mais mourir, c'est naturel. Il ne faut pas s'effrayer de quelque chose de naturel.

Une chanson de Michel Berger résonnait maintenant dans le lieu saint. Là-haut, elle parlait sûrement aux poissons d'argent.

Avec des amis, nous avions passé la veille au soir jusqu'au matin dans son atelier à admirer ses oeuvres. C'est ce qu'elle voulait qu'il reste d'elle, des idées transformées par un processus artistique. En observant les toiles, je la revoyais m'expliquer ce qu'elle avait subtilement caché dans son coup de pinceau : "Tu vois, ici, j'ai utilisé le rouge pour symboliser la violence de l'émotion qui traverse le personnage", m'avait-elle dit un jour. J'avais pleuré devant chacun de ses dessins, car je l'imaginais me parler, m'éclairer avec sa passion. Je voulais la prendre dans mes bras. Mais, on enlace pas un tableau.

Le soir où l'on discutait de sa mort, à moitié saouls, elle m'avait dit souhaiter que chacun écrive un texte d'au moins cinq minutes sur elle. Elle l'avait dit en riant. Et, j'aurais voulu qu'on respecte cette boutade, mais personne ne l'avait fait sauf moi. De mon côté, j'aurais pu écrire un roman sur elle, juste sur son rire d'ailleurs.

Puis, le moment le plus difficile était arrivé, en rang, chacun d'entre-nous était passé devant le cercueil. Comme elle avait prévu qu'il serait vide, elle avait souhaité qu'on y dépose un tableau inédit. Si elle avait été écrivain, cela aurait sûrement été un texte. Elle avait souhaité que la toile ne soit vue que lors de sa mort et qu'elle soit enterrée avec son âme. Elle disait : "il faut bien que les gens perdent une partie de moi, sinon ce ne sera pas un enterrement". Son humour me manquait tellement. J'aurais voulu voler le tableau, c'était difficilement supportable de savoir que cette aquarelle disparaîtrait dans la terre. La plupart des recueillis passaient et jetaient un vague coup d'oeil. Moi je mettais arrêté pendant plusieurs minutes. Je me fichais qu'on attende derrière moi, je voulais voir chaque coup de pinceau. C'est pour cela que je suis resté figé devant sa dernière oeuvre, jusqu'au cinquième "psst" de la dame âgée qui me succédait. Elle aurait sûrement trouvé ça drôle. Elle aurait ris de me voir si gauche.

La vie continuait, elle continue toujours pour chacun d'entre nous jusqu'à ce qu'elle décide de s'eteindre. Je réalisai en abandonnant l'église qu'elle nous avait quitté depuis longtemps, elle avait toujours brillé loin au-dessus de nous et qu'elle avait simplement trouvé sa place.

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