Chapitre 5

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  • Votre nom, Mademoiselle ? demanda aimablement un domestique habillé d’un élégant costume sombre.
  • Lyra Merryweather, je suis là parce qu’...

Un petit bonhomme rondouillard, que Lyra n’avait pas remarqué jusqu’alors, se faufila discrètement près du domestique. Il tenait dans ses mains une liste, vraisemblablement celle des invités. Il la déplia, sembla chercher des yeux quelque chose de noté dessus puis murmura à l’oreille de son collègue bien plus grand que lui.

  • Lyra Merryweather, fille du Seigneur de l’Est de Rivermoore, Eugène Merryweather ! clama ce dernier solennellement.

Pour la discrétion, c’est raté. Elle qui voulait que personne ne sache son identité... Elle aurait dû mentir, inventer un nom de plume.

Un nom comme … Rosamond Plumsberry ? Elle le garderait en mémoire.

Sa réflexion fut de courte durée car déjà d’autres invités se bousculaient pour entrer dans la salle de réception. Lyra descendit donc les marches du grand escalier tout en contemplant le tableau onirique dans lequel elle se trouvait.

La salle de bal, aux couleurs froides de l’hiver, sortait tout droit d’un rêve. Des fontaines d’eau représentant des ondines aux longs cheveux de grès glougloutaient aux quatre coins de la pièce, entourées par des arabesques sculptées dans la glace. Un festin de mets délicats, de hors-d'œuvre, de fruits exotiques, de faisans gras et de champagne occupaient les invités affamés sur des tables nappées d’un tissu blanc étincelant. Au centre, sur la piste de danse, les couples valsaient en une osmose presque trop synchronisée. Des bouquets de fleurs décoraient la salle du sol au plafond. En hauteur, Lyra remarqua un large balcon donnant directement sur la salle de bal. Les deux sièges qui y trônaient étaient vides.

Les danseurs cessèrent de faire tournailler leurs cavalières. Tous les invités se rangèrent en deux lignes droites parfaitement parallèles, faisant la révérence. Lyra descendit la dernière marche et se trouva nez à nez avec une grande femme d’une beauté terrifiante. La surpassant d’une tête et demie, son regard d’un bleu perçant glaça immédiatement Lyra. Une longue chevelure noire comme la nuit, attachée en une haute queue de cheval, encerclait un visage noble et digne, sur lequel reposait une large couronne d’or et d’argent. Les muscles saillants des bras nus de la femme se mouvaient à chacun de ses gestes. Lyra n’avait jamais vu une telle tenue. Une robe, portant les armoiries du royaume d’Ambrume, dont la jupe fendue au centre laissait entrevoir un pantalon et des hautes bottes métalliques. Une longue traine blanche était rattachée à une épaulette de métal, elle-même rattachée à un bustier bleu et argent dont la finesse de la dentelle et des diamants incrustés était impressionnante.

Les joues de Lyra prirent feu à la vue de cette femme à la beauté dangeureuse. Et son cœur tambourina à tout rompre contre sa cage thoracique.

  • La voilà enfin ! s’exclama la femme. Ma conteuse !

Lyra comprit alors. Cette femme, c’était la reine. Sa reine. Prise au dépourvue elle fit la révérence, se baissant si bas que ses genoux touchèrent le sol froid. Humblement, elle garda les yeux rivés sur les chaussures de la reine avant que celle-ci ne la prenne par la main et ne la relève à la sidération générale.

  • Relève-toi. J’avais tellement hâte que tu arrives. J’ai promis à ma reine que tu nous raconterais l’une de tes célèbres histoires, n’est-ce pas ma chérie ? lança-t-elle avec amour à la personne derrière elle, une femme aux formes généreuses habillée d’une robe qui ferait pâlir le soleil. Si la reine Thelma avait une beauté froide et acérée, cette femme possédait une beauté lumineuse et réconfortante.

Ellyana, la reine consort, fit un signe de la tête à la reine et posa sur elle un regard d’une infinie douceur. Lyra se dit qu’un jour elle aimerait bien que quelqu'un la regarde avec ces yeux-là.

Elle n’avait pas prononcé un seul mot depuis le début, surprise par la tournure des événements. Les invités, eux, étaient abasourdis par la familiarité avec laquelle la reine Thelma engageait la conversation avec la fille d’un seigneur de campagne. Suivant simplement le mouvement, ils se mirent à encercler les deux femmes, posant mille et une questions à Lyra et la complimentant sur sa tenue que beaucoup qualifièrent de “beauté particulière”. Tous voulant entrer dans les bonnes grâces de sa Majestée, ils se montraient fort avenants avec la jeune étrangère, qui devint rapidement le principal sujet de conversation des nobles.

Lyra ne savait plus où donner de la tête. Le brouhaha ambiant, les piaillements, la musique, les questions qui fusaient de part et d’autre, les lueurs brûlantes des bougies, l’odeur entêtante de la viande grillée, du champagne et du nectar des fruits. Mais surtout la pression insoutenable de l’aura de la reine. Lyra avait besoin de s'asseoir et de reprendre ses esprits.

La fête battait son plein. Les deux souveraines avaient retrouvé la place due à leur rang. Au sens propre comme au figuré. Elles surplombaient à présent les invités depuis un large balcon de théâtre qui donnait directement sur l'orchestre. Toutes deux installées sur un trône en bois de chêne décoré de feuilles d’or, elles ne pouvaient qu’inspirer le respect.

  • Mes chers amis ! C’est une joie pour nous que de tous vous retrouver pour ces festivités. Comme vous le savez, le bal d’hiver est un symbole de force pour notre royaume. Qu’importe les vents glacés, les froids hivernaux, les tempêtes de grêle, tels les rayons acérés du soleil nous percerons toujours l’obscurité des nuages ! entonna militairement la reine Thelma les yeux vifs et le poing serré sur la poitrine.

Les nobles fixaient silencieusement leur reine, ne sachant comment réagir à ce discours.

  • Tu devrais être un peu moins protocolaire ma chérie, intima la reine Ellyana à l’oreille de son épouse. Ce bal est avant tout une pause dans le temps, reprit-elle plus fort pour que toute l'assemblée l'entende. Un petit moment de chaleur et de réconfort pendant la période la plus froide de l'année. Nous espérons que la fête vous plaira et surtout, chers convives, amusez-vous bien !

Des applaudissements enjoués s’élevèrent à la fin du discours de la reine consort.

  • Longue vie aux bijoux de la couronne ! s'exclamèrent les invités en chœur.

Lyra contempla la foule extatique. Contrairement à la reine Thelma qui restait campée sur son statut de cheffe militaire, la reine Ellyana avait l’art et la manière de s’adresser au peuple avec dignité et tendresse. Une main de fer dans un gant de velours.

  • Et pour ouvrir le bal comme il se doit, poursuivit la reine Thelma, je vous ai préparé une surprise.

Elle se tourna vers sa femme, déposa un genou à terre puis lui baisa les deux mains.

  • Je te dédie cette histoire, mon amour.

Était-ce le moment où Lyra devait prendre la parole ? La jeune femme n'en était pas certaine alors, à défaut de paraître insolente, elle préfèra paraître stupide et ne bougea pas d'un millimètre.

La reine qui était bien loin de se douter de l'embarras de Lyra la pointa du haut de son balcon.

  • Je vous présente la célèbre Conteuse de Rivermoore ! Viens, approche, encouragea la reine.

Lyra, que tous regardaient à présent avec attention, s’avança dans la direction que lui indiquait la souveraine. Elle grimpa les quelques marches de la petite estrade où, quelques minutes auparavant, jouaient les musiciens.

Elle déglutit difficilement. La jeune femme avait l’habitude que les regards soient posés sur elle lorsqu’elle contait. Mais là, c’était différent. La place du marché, c’était sa scène. Et sur scène elle n’était plus Lyra Merryweather, mais la conteuse de Rivermoore.

Elle inspira profondément, tentant de calmer sa respiration. Elle allait le faire. Elle devait le faire. Pas pour sa famille. Pas non plus pour la reine ou pour ses nobles pédants. Mais pour elle-même, pour se prouver qu’elle en était capable.

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