Chapitre 9

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Le soleil laissait lentement sa place à sa compagne la lune, ronde et blanche comme une assiette de porcelaine. Le ciel, lui, enfilait sa robe bleue nuit et de petits points blancs lumineux perçaient ici et là son voile brumeux.

Lyra frissonnait derrière le dos du chef de la garde. Le vent s’était levé, glaçant ses membres endoloris par les heures de cheval. Une goutte pendait à son nez depuis un petit moment déjà. Et une idée machiavélique trottait dans sa tête. La cape devant elle ferait un très bon mouchoir. Il ne méritait que ça. Il était désagréable, grossier, manipulateur et fichtrement silencieux. Après sa tentative de conversation, elle n’avait plus ouvert la bouche du trajet.

Alors qu’elle jaugeait réellement sa vengeance, le chef de la garde émit un son pour la première fois depuis qu’ils avaient quitté Rivermoore.

  • Nous allons nous arrêter dans une auberge pour cette nuit.

Clair, net, concis. Qu’attendre de plus de cet homme ?

Lyra était ravie de cette information, qui lui fit tomber la goutte du nez ! Enfin elle allait pouvoir se dégourdir les jambes, manger un bon plat chaud et dormir sur un matelas douillet. Et si elle avait un peu de chance, elle pourrait même discuter avec des personnes aimables et civilisées. Le rêve.

La petite troupe arriva devant une modeste auberge en pierres grises et au toit de chaume, alors que la lune était à présent haute dans le ciel. Les deux gardes mirent un pied à terre, aisément. Mais Lyra, ne sentant plus ses jambes ni son postérieur depuis un moment maintenant, glissa maladroitement du dos de sa monture et se retrouva le derrière dans la poussière.

Elle se massa le bas du dos, douloureux, tout en se relevant difficilement. Elle entendit les deux soldats pouffer de rire. Au moins ces deux-là avaient-ils des émotions.

  • Je vais conduire les chevaux dans la grange. Vous, allez demander des chambres et un repas à l’aubergiste.

Et il s’en alla, rênes en main en direction de l'abri qui se dessinait dans l’obscurité de la nuit.

Lyra suivit de près les deux gardes après avoir adressé un salut militaire à leur chef. Dès qu’ils passèrent la porte en bois grinçante, une vague de chaleur les enveloppa, saisissante et réconfortante. Plusieurs personnes étaient assises autour de petites tables rondes. Certains conversaient gaiement, une chope de bière à la main, d’autres encore attendaient leur commande, les yeux fatigués mais le rire communicatif.

Un grand homme, à la musculature imposante, s’avança vers eux. Il tenait dans ses mains un large plateau en étain, sur lequel reposait une bouteille de vin d’un vert opaque ainsi que deux plats fumants de viande de sanglier sur son lit de pomme de terre à la sauce forestière.

Malgré le niveau sonore élevé, Lyra se surprit à entendre le grondement de son propre estomac.

  • J’imagine que vous êtes là pour manger un bout, annonça le géant, un sourire jovial sur les lèvres en direction de Lyra. Nous avons une table libre là-bas, poursuivit-il en leur pointant du doigt une table au fond de la taverne, derrière un groupe de voyageurs qui visiblement n’était pas fâchés avec l’alcool de l’établissement.

Le trio remercia le grand homme puis partit à leurs places.

L’ambiance autour de la table était massacrante. Heureusement, le serveur qui les avait accueillis vint rapidement à leur rencontre pour prendre leur commande. Il se présenta à eux sous le nom de Maximilien. Un prénom étrangement enfantin pour un gaillard de son envergure. Pourtant Lyra ne put s'empêcher de penser qu’il lui allait à merveille, avec ses courts cheveux bruns, ses yeux noisettes, son inépuisable sourire et ses fossettes au creux de ses joues rondes.

Lyra demanda une bière à la fleur de sureau ainsi que le plat qu’elle avait senti avec délectation à leur arrivée. Les deux gardes à ses côtés la suivirent et commandèrent un plat de plus pour leur chef, toujours dans la grange. Maximilien s’en alla après un fringant clin d'œil, pour revenir quelques minutes plus tard, quatre chopes remplies de bière dans les mains.

Les deux soldats osaient à peine regarder Lyra, se contentant seulement de lui jeter de petits regards discrets tout en sirotant leur boisson. Cette dernière en eut assez. Elle claqua son verre contre la table afin d'attirer leur attention.

  • Écoutez tous les deux, je ne sais pas ce que je vous ai fait, mais vous pourriez au moins avoir la politesse de me regarder dans les yeux si vous avez quelque chose à me dire. Je ne mords pas.

Le plus petit prit la parole.

  • Nous sommes navrés Mademoiselle Merryweather. Mais nous avons pour ordre de ne vous adressez la parole qu’en cas d’urgence. Je désobéis déjà en vous disant cela.
  • Qui est l’idiot qui vous a ordonné ça ?
  • Moi.

Lyra se retourna lentement. Elle releva la tête, un sourire embêté, vers le chef de la garde. Les lueurs tamisées des bougies se reflétaient sur le masque d’or enveloppant cet étrange personnage d’une aura surnaturelle. Sans plus de cérémonie, il s'installa à la gauche de Lyra.

  • Pourquoi leur dire ça ? Et si moi j’ai envie de discuter avec eux ?

Il ne lui répondit pas. Les deux soldats par contre se faisaient à présent tout petits sur leur banquette, passant leur regard de l’homme masqué à Lyra, de Lyra à l’homme masqué.

  • C’est parce que je vous ai insulté ce soir là au bal, n’est ce pas ? Vous m’en voulez encore ?

Sous l’étonnement, le plus grand des deux gardes cracha ce qu’il avait dans la bouche. Personne n’était au courant de cette altercation. Quelqu’un avait osé tenir tête, et même manquer de respect, au plus jeune et prometteur chef de la garde depuis un siècle. Son compagnon, lui, riait à gorge déployée en frappant le dos de son ami pour éviter qu’il ne s’étouffe.

  • Je savais que vous étiez spéciale Mademoiselle, mais pas à ce point là ! Vous l’avez vraiment insulté ? Quand ? Comment ? Je veux tout savoir !
  • Il n’y a rien à raconter, gronda le chef de la garde.
  • Oh si, Monsieur, il y a bien quelque chose à dire. Et vous avez de la chance, s’exclama Lyra à l'intention des deux soldats, je suis la meilleure conteuse de tout Rivermoore, que dis-je du royaume tout entier.

Elle se racla la gorge, enorgueillie par le soudain intérêt que lui portaient les deux hommes.

  • Tout a commencé il y a plusieurs mois de cela. Le bal d’hiver battait son plein. Ses Majestées m’avaient fait l’honneur de m’inviter à ce banquet afin que je puisse émerveiller les convives avec mes contes plus vrais que nature.

Elle but une gorgée de bière théâtralement, un pied sur sa chaise. La conteuse en action remarqua que beaucoup de têtes étaient maintenant tournées vers elle. Elle s’en délectait. Alors, et comme toujours lorsqu’elle contait, elle parla plus fort. Personne ne pouvait l’ignorer.

  • C’était une histoire narrant la romance tragique de deux amants fantomatiques. L’histoire d’un Laird prétentieux et d’un jeune écuyer naïf ! Bien évidemment c’était passionnant. Tous ont applaudi et ses Majestées m’ont remerciée en personne, comment vous dire que je n’en menais pas large, plaisanta-t-elle.

De nouveaux rires accompagnèrent la fin de sa phrase.

  • Mais cet homme que vous voyez là n’a pas apprécié le spectacle, s’offusqua-t-elle en montrant le chef de la garde.

Il reçut une huée mécontente de la foule qui s’était rassemblée autour de la table de Lyra.

  • Non non, c’est normal, tout le monde ne peut pas apprécier. Mais il a osé me dire… Quels étaient vos mots déjà… ? que j’étais “une campagnarde qui racontait seulement une histoire pour faire peur aux enfants. Que ce n’était rien de plus que du vent.” Etait-ce bien vos mots ? siffla-t-elle entre ses dents, encore amère malgré les mois passés.

La jeune femme eut soudain l’impression d’y être allée un peu trop fort. L’homme masqué avait la tête baissée et les épaules légèrement en avant. Elle avait eu sa revanche, pourtant elle ne se sentait pas mieux, bien au contraire.

  • Et comment ça s’est terminé ? demanda le garde aux traits acérés.
  • Et bien je lui ai simplement dit d’aller au diable.

L’auberge complète tremblait à cause de l’hilarité des clients. Maximilien se faufila difficilement jusqu’à Lyra. Elle se sentit bien petite à côté du géant qui la dépassait de deux têtes en haut et bien de trois torses en large. Il posa une main amicale sur son épaule.

  • Et bien toi ma grande, t’as pas froid au yeux. Te moquer ainsi du célèbre Renard doré et devant lui qui plus est ! En tout cas, tu l'as pas volée ta réputation.

À ces mots une atmosphère pesante s'abattit sur la foule. Tous redoutaient le nom du Renard doré. Il était connu comme étant le meilleur chef de la garde royale depuis plusieurs générations. Droit, brave et fin stratège. Hommes comme femmes l'enviaient ou le désiraient. Personne n’osait rire ainsi de lui, jusqu’à aujourd’hui.

Tout le monde finit par rejoindre sa table et vaquer à ses occupations. Bientôt c’était comme si rien ne s'était passé. Lyra oublia bien vite la naissance de ces remords pour entamer une conversation avec les deux soldats. Enfin désinhibés, ils se présentèrent. Celui qui était carré des pieds à la tête se nommait Damien, tandis que l’autre s’appelait Alphonse. Tous trois engloutirent leur repas avec avidité. La route les avait affamés et fatigués.

  • Vot’e sœur avait raison par contre. On a jamais vu quelqu’un descendre aussi peu élégamment de cheval, ricana Damien tout en mastiquant bruyamment son sanglier, ce qui eut pour effet immédiat de dégoûter Alphonse.
  • J’avais prévenu ! Je suis une catastrophe lorsqu’il s'agit de monter à cheval, en plus je sentais plus du tout mes jambes, poursuivit Lyra sur le même ton et que le manque évident de bonne manière du garde ne dérangeait pas le moins du monde.

Le repas se poursuivit dans la bonne humeur. Pourtant le Renard doré monta se coucher tôt, sans avoir touché à son assiette et sans avoir dit le moindre mot.

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