Chapitre 14

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À la capitale, les nobles étaient férus de festivités en tout genre : théâtre, concert et, par-dessus tout, bal. C’était leur péché mignon. Dès qu’un événement avait un tant soit peu d’importance, un bal lui était consacré. Enfin ça, c’était depuis que la reine Thelma régnait. Il y a quelques années encore, le roi gardait l'argent des taxes pour lui et pour un cercle très restreint de nobles. Ils le dilapidaient en jeu, festin et désirs charnels. Mais tout avait changé. Voilà sans doute la raison de l’engouement autour des fêtes des habitants de Silverthrown. Car, même si les roturiers ne pouvaient participer aux festivités au château, les reines leur avaient laissé deux jours de repos dans la semaine pour festoyer autant qu'ils le désiraient.

Ce soir, un nouveau bal se profilait au château. Mais celui-ci était d’une importance majeure. Il fêtait la jeune alliance entre les reines Thelma, Ellyana et le souverain d’Aldonya, le royaume du nord. Les deux royaumes, bien que collés l’un à l’autre, n'avaient jamais réussi à s’entendre et étaient en guerre depuis des siècles. L'arrivée de l'ex-souverain au pouvoir n'avait fait qu'empirer leur haine.

Thelma, après avoir longtemps bataillé, avait réussi à rédiger un accord qui convenait à tous. Le traité de paix avait été signé dans la journée. Et Lyra aimait à penser que sa participation lors du dîner avait, ne serait-ce qu'un tout petit peu, joué dans la signature de ce traité.

Alors, c’est fièrement que la jeune femme entra dans la salle de bal, habillée d’une longue robe jaune jonquille dont la fine dentelle remontait jusqu’au cou. Ses cheveux lâchés et tressés sur le haut de sa tête, tels une couronne, laissaient cascader de lourdes boucles chocolat dans le bas de son dos dénudé. Madeleine avait pris soin de maquiller ses paupières et ses joues de paillettes dorées. Le jaune était une couleur que Lyra n’avait pas l’habitude de porter, pourtant cela lui allait à merveille, faisant ressortir sa peau brune et ses cheveux foncés.

Bon nombre d'invités étaient déjà présents dans la salle. Lyra commençait à avoir l’habitude. Il y a avait les gourmands, ceux qui ne quittait jamais la table du buffet. Les vantards, qui discutaient beaucoup au centre de la salle mais ne dansaient jamais. Les danseurs, qui eux, ne quittaient jamais la piste mais changeaient souvent de partenaires. Et pour finir les charmeurs. Cette catégorie allait où bon lui semblait à condition d’être accompagnée d’un(e) ou plusieurs nobles à leur bras. Généralement iel préférait les coins sombres à l’écart où iel pouvait, s'iel était assez talentueux, voler un baiser ou bien plus à leur cavalier ou cavalière.

Visiblement le Renard doré était de cette catégorie là. Lyra le surprit flanqué d’une dizaine de jeunes gens richement vêtus. Il faut dire qu’il sortait du lot. Il portait un élégant costume noir comme la nuit, brodé de fil d’or, qui enserrait sa fine taille musclée. Il était assorti avec son masque, toujours le même. À croire qu’il ne le changeait jamais.

Lyra crut reconnaître certains nobles qu’elle avait rencontrés lors de son premier bal. Ceux qui avaient rapidement retourné leur veste en critiquant son village et ses histoires. Parmis eux, il y avait une femme au teint de porcelaine et aux cheveux blonds comme les blés. C’était de loin la plus familière avec le Renard. Elle gloussait tout en laissant retomber sa main sur le bras de l’homme masqué. Ce dernier tentait tant bien que mal de s'éloigner de la demoiselle, mais comme un chat aux griffes acérées, elle ripostait, toujours plus tactile. C’était cette mégère qui avait osé traiter La Dame à la lanterne de "barbare". Lyra jura qu’elle s’en mordrait les doigts, elle était prête ce soir à tous les faire changer d’avis.

Soudain la conversation avec Madeleine, d’il y a quelques jours, lui revient à l’esprit.

“Personne n’a jamais vu son visage. Jamais. Mais une rumeur raconte qu’il ne montre son visage qu’à ceux qui s'apprêtent à périr sous sa lame.”

Le Renard doré sembla remarquer le regard de Lyra sur lui car il tourna la tête dans sa direction. À la surprise générale, il s’avança dans sa vers elle, suivi de près par son banc d’admirateurs. Mais une fois devant elle, il ne dit pas un mot. Au contraire, il fit un mouvement de recul avant de se ressaisir. La petite assemblée, qu’il avait amenée avec lui, les fixait attentivement. Sauf la jeune femme blonde, qui assassinait Lyra à maintes reprises du regard.

  • Bonsoir, commença la conteuse.

Il hocha la tête, muet. Les yeux des jeunes nobles passaient de Lyra au Renard doré, du Renard doré à Lyra.

À sa droite, Lyra reconnut le duc de Lomont qui lui faisait signe d’une main, l’autre tenant une flûte de champagne rosé.

  • Si vous voulez bien m'excuser, déclara Lyra après une brève révérence de politesse. Je crois apercevoir une connaissance que je dois saluer.

Et, in extremis, elle fendit la foule pour rejoindre le beau brun.

Le Renard doré la regarda s’éloigner. Un mot. Il ne devait dire qu’un mot. Bon sang, il avait à peine réussi à ouvrir la bouche ! Cela faisait des jours qu’elle ne sortait plus de sa tête et le soir où il la voyait enfin, il se dégonflait. Même les plus jeunes de ses soldats auraient eu davantage de cran à cet instant.

De l’autre côté, Lyra offrit un grand sourire à Lysandre de Lomond, qui venait de la sortir d’un profond embarras. Comme à son habitude, le duc était d’une courtoisie plus qu’attrayante. Les yeux levés vers Lyra, il lui baisa la main puis lui tendit son verre, promettant qu’il n’avait pas encore trempé les lèvres. Cela n’aurait pas tant déplu à la jeune femme, qui sentait bien une certaine alchimie avec son nouvel ami.

Ils plaisantèrent plusieurs minutes tout en faisant plus amples connaissances. Lyra lui demanda la raison de sa présence ici, en tant que dignitaire étranger. Elle s’était plusieurs fois posé la question depuis leur rencontre. Lysandre lui expliqua qu’étant le neveu et seul héritier de l’ambassadrice du royaume voisin, et que cette dernière n’ayant pas pu se libérer, il était de son devoir d’assister à la signature du traité. Mais il lui avoua également ne rien comprendre à la politique et préférer de loin les festivités, aussi enivrantes soient-elles.

  • Et vous alors, Mademoiselle la conteuse, allez vous encore nous faire voyager en cette belle soirée ?

Lyra ne répondit pas. Mais le doigt qu’elle posa sur sa bouche et son clin d'œil laissait penser qu’elle préparait une surprise à son assemblée.

Et justement, elle s’éclipsa après avoir intimé au duc de se placer au centre de la salle de bal. Il la regarda passer derrière l’estrade des musiciens, tout en buvant d’une traite le fond du verre que la conteuse lui avait rendu. Lyra Merryweather était d’une compagnie tout à fait rafraîchissante. Écoutant le conseil de la jeune femme, il partit en direction du centre de la pièce.

Le Renard doré peinait à trouver Lyra dans cette foule dense et emperruquée. Il voulait s'excuser pour son comportement, que lui-même ne comprenait pas. C’est alors que toutes les lumières de la salle s'éteignirent dans un whoosh sonore. Les invités étouffèrent un cri de surprise, se prenant les mains pour essayer de se retrouver, de s’identifier.

Rapidement, une traînée de lumière blanche et or apparut, s’élevant jusqu’au balcon, où il y avait peu les reines Thelma et Ellyana siégeaient. Mais maintenant, c'était une jeune fille vêtue d’une robe jaune qui se tenait debout sur l’épais balcon de marbre.

  • Bienvenue à vous tous ici présents. Certains d’entre vous ne me connaissent probablement pas. Laissez-moi me présenter : je serais ce soir votre conteuse, déclara-t-elle, en exagérant une révérence adroite.

Le silence laissa place à des applaudissements enjoués. Les nobles, impressionnés par cette drôle d’apparition, ne détournaient pas leur regard de cette acrobate qui n’avait pas peur de se tordre le cou, du haut de ses trois mètres.

  • La paix étant revenue au sein de nos deux royaumes, poursuivit-elle en tendant la main vers la représentante d’Aldonya, nous avons souhaité vous remercier !

La reine Thelma lança un regard d’imcompréhension à sa femme. Ellyana était parfaitement au courant, c’est elle qui avait autorisé la représentation de Lyra, mais elle fit comme si de rien n’était.

  • L’histoire que je m’en vais vous conter là ne plaira pas à tout le monde. C’est une histoire que certains pourrait qualifier de barbare, pourtant elle n’est faite que d’amour et d’aventures périlleuses, récita-t-elle, tournée vers la jeune femme aux cheveux blonds.

La pique adressée à cette dernière lui passa au-dessus de la tête, trop occupée qu’elle était à se pâmer devant l’homme au masque doré.

Lyra leur présenta l’histoire qu’elle avait inventée au marché, le jour où le Renard doré et ses soldats étaient venus la chercher chez elle. L’histoire de la petite paysanne qui tombait un jour éperdument amoureuse du prince du royaume. Au moment où la conteuse imita la voix enjôleuse et dangereuse de la reine, celle qui ne voulait pas que son fils épouse une fille de basse condition, le public la hua, complètement absorbé par le récit. C’était pour ce genre de réactions, vives et spontanées, que Lyra aimait son métier. La foule, emportée par une même émotion, un sentiment pur et enfantin, lui donnait des frissons de plaisir.

La paysanne avait à présent accompli les cinq premiers miracles. Il ne lui en manquait plus qu’un. Le plus ardu, le plus dangereux. Terrasser l’ogre d’or, dont la peau est si dure que rien ne la transperce. C’était la partie préférée de Lyra. Elle aimait jouer le rôle de l’ogre benêt et vaniteux. Un double jeu se mit en place : d’un côté, le monstre ne parvenait pas à suivre les assauts répétés et de l’autre, l'héroïne le piquait de ses remarques mordantes.

  • Monsieur l’ogre, commença la petite paysanne, on dit que ta peau est faite d’or, est-ce vrai ? Moi, je n’y crois pas !
  • Pourtant, c’est la stricte vérité. Et c’est ce qui fait que je suis le plus fort de tous les ogres, le plus beau et le plus riche !
  • Prouve-le-moi, alors !

À ce moment, Lyra détailla les nombreux stratagèmes de la petite paysanne pour que l’ogre soit la cause de sa propre perte. Elle lui fit faire des roulades. Elle le fit grimper à la cime des grands arbres de la forêt sombre. Elle le fit courir jusqu’au bout du monde puis revenir, sans prendre aucune pause. Et enfin, elle lui dit de grimper tout en haut de la plus haute montagne. Celle où vivait le grand dragon blanc, le gardien des lieux. Trop orgueilleux pour s’avouer vaincu, l’ogre escalada le flanc de la montagne mais ne redescendit plus jamais. Est-il mort de fatigue ou alors a-t-il été dévoré par le dragon ? Nul ne le saura jamais.

Néanmoins ce que nous savons c’est que la petite paysanne épousa l’amour de sa vie, le prince, dont le cœur battait également pour la pourfendeuse d’ogre. La reine fut bien obligée d’accepter leur union et de laisser la paysanne prendre sa place sur le trône.

  • Et alors que les cloches sonnaient les noces des deux jeunes époux, une pluie de pétales de rose accueillit l’heureux couple.

Ses mots transpercèrent le tissus de l’imagination et une pluie de pétales rouges et jaunes glissaient à présent sur les perruques, chapeaux et autres fantasies des invités émerveillés. Le duc de Lomond, bien au centre de la salle comme le lui avait conseillé Lyra, la salua d’un mouvement de la tête, comme pour la féliciter de sa prestation. Un fin mais élégant sourire sur les lèvres.

Les applaudissements invitèrent Lyra à descendre du balcon et à se joindre à la foule. Tous la félicitaient sur son chemin. Elle était fière d’elle, mais tout de suite, elle rêvait surtout d’un grand verre d’eau et de prendre l’air.

La jeune femme traversa la foule de mondains jusqu’à une grande double fenêtre qui donnait sur la terrasse extérieure. L’air du soir l’agrippa des pieds à la tête. Ce n'était peut-être pas le plus judicieux, sortir les épaules découvertes en plein hiver, mais cela lui fit un bien fou. Le froid mordant la ragaillardit dans l’instant. Mais sa gorge sèche se rappela à son bon souvenir.

  • Vous désirez peut-être boire quelque chose ? proposa le chef de la garde, un verre d'eau dans la main. Et bravo pour votre représentation.

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