Chapitre 15

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La conteuse et le Renard doré étaient côte à côte, adossés contre la rambarde en pierre, bleutée sous les rayons de la lune. Lyra lui prit le verre des mains et le but d’une traite. Elle en aurait bien pris un deuxième mais déjà elle se sentait mieux.

  • Merci, vous tombez à pic pour une fois ! Mais c’est que vous avez récupéré l’usage de la parole ?

Il hocha la tête, mal à l’aise.

  • Je suis désolé pour tout à l’heure, je ne sais pas ce qui m’a pris. Pourtant j’avais envie de vous parler.

Lyra ne ressentit même pas la brise glaciale lui chatouiller le dos, elle resta coite. Un sourire timide s’affichait sur son visage, l’avait-il vu ?

Le chef de la garde s’ouvrait à elle petit à petit. Elle le sentait, c’était encore un peu difficile, mais il faisait des efforts.

  • Merci pour votre compliment. Il me va droit au cœur. Finalement, j’ai réussi à vous faire changer d’avis ! Vous voyez que les histoires peuvent apporter beaucoup.
  • Je ne suis pas sûr que… Oh non, pas eux ! s'exclama-t-il soudain, sans même finir sa première phrase.

De l’autre côté de la vitre, dans la salle de bal, la jeune femme blonde suivit d’une dizaine de jeunes gens semblaient être en pleine recherche. Il ne fallut que quelques secondes à Lyra pour comprendre que l’objet de leur désir n’était autre que le Renard.

Avant même que la noble ne tourne la tête dans leur direction, il empoigna la main de Lyra et s’enfuit dans les escaliers de pierre, profitant des épais buissons de gui pour se cacher. Tous deux coururent jusqu’à une branche du fleuve, celle traversant les jardins du château. Ils passèrent sous des arches végétales, entremêlées de lierres et de fleurs sauvages en forme de trompette blanche. Au loin, s'ils s'étaient donnés la peine de tendre l’oreille, ils auraient pu entendre les clapotis des fontaines.

Le costume noir du Renard doré se fondait à merveille dans l'obscurité de la nuit. Seule sa chevelure rousse perçait le voile sombre dans le champ de vision de Lyra.

Cette dernière riait aux éclats, ce qui rendait sa course plus difficile encore, empêtrée dans sa lourde robe. Elle riait de la situation. Voilà que l’idôle de la nation se cachait de ses admirateurs. Le monde ne tournait plus rond.

Le Renard doré arrêta finalement sa fuite, essoufflé.

  • Et bien ! souffla Lyra, tentant de reprendre une respiration convenable entre deux rires. Je n'ai jamais vu un homme fuir une femme à ce point. D'un autre côté, je vous comprends, Lady Blonde n'est pas la plus agréable des partenaires.
  • Je ne fuyais pas ! s'indigna le Renard, sans même relever le ridicule surnom que la conteuse avait attribué à la jeune femme.

Lyra arqua un sourcil moqueur.

  • Disons que j'ai profité d'un moment d'inattention pour ne pas engager la conversation, se reprit-il.

Lyra rit de plus belle. C'est alors qu'elle se rendit compte que sa main tenait toujours celle du Renard doré. Lui aussi sembla le remarquer car il la lâcha précipitamment. Rapidement, la chaleur qui en émanait se dissipa dans l'air, faisant frissonner Lyra et lui laissant un étrange sentiment de solitude.

  • Vous pensez qu'ils nous cherchent encore ? chuchota le Renard
  • Ici personne ne nous entends, répondit Lyra plus fort. Et je pense qu'ils vous chercheront jusqu'à la fin du bal.
  • Je veux juste passer une soirée calme…
  • Oui c'est vrai que ça doit être insoutenable d'être aimé et célébré par tous, ironisa la jeune femme.

Il releva la tête précipitamment.

  • Votre ton me laisse penser que vous me voyez comme un gâté de nature.
  • Oui c'est cela, un grand enfant gâté. J'ai bien remarqué votre complicité avec leurs Majestées. Et vous êtes le plus jeune chef de la garde. Drôle de coïncidence…
  • Comment osez-vous me juger sans même me connaître ! J'ai sué sang et eau dès mon plus jeune âge, je me suis battu contre des étroits d'esprits qui ne croyaient pas en moi. J'ai travaillé ardemment pour en arriver là, moi !
  • Comment ça, "moi" ? s’emporta Lyra.
  • En effet, moi, je ne suis pas une campagnarde naïve et immature qui débarque dans la grande ville et gagne les louanges de tous juste en racontant des histoires pour les enfants et les benêts.
  • Moi moi moi, imita Lyra, incapable de trouver une réplique cinglante tant elle était énervée par les constatations du chef de la garde.

Il n'avait pas tout à fait tort. Lyra n'avait aucun moyen de se plaindre. Elle vivait dans un joli village, avec une famille aimante, et son travail était enrichissant et magique. Elle était parfaitement heureuse et le revendiquait haut et fort.

  • Je ne comprends pas, poursuivit le Renard plus calmement. Je me suis excusé. J'ai tout fait pour vous être agréable. Alors que me reprochez vous ?
  • Est-ce vrai que vous avez déjà tué ?

Ce n'est pas ce qu'elle voulait répondre. Elle ne savait même pas que c'est ce qui lui torturait l'esprit depuis quelques jours.

  • J'ai fait la guerre. Mon devoir est de protéger Ambrume et mes souveraines. Alors oui.

Elle le savait. Bien évidemment. Mais l'entendre… un relent de dégoût lui prit la gorge et la tête.

Lyra n'avait jamais connu le conflit, outre les disputes entre sœurs. Elle était bien loin de se douter de l'horreur de la guerre. La jeune femme croyait dur comme fer en la paix et l'amour des Hommes. Elle ne connaissait pas la vérité. La monstruosité de l'être humain. Ce qu'il était prêt à faire pour obtenir pouvoir et richesse. Elle ne pouvait même pas l'imaginer. Elle vivait depuis toujours dans un doux cocon bercé par des contes pour enfants.

  • On devrait rentrer, vous êtes frigorifiée, observa-t-il, ses mots étouffés par son masque d'or.

Alors qu'il repartait avec une Lyra plongée dans un profond mutisme, un éclair argenté provenant d'un grand arbre à épines en face d'eux zébra le ciel. Un bruit de gong fit trembler les frondaisons et s'envoler les oiseaux nocturnes. Puis le bruit de l'eau qui éclabousse.

En se retournant, Lyra fut spectatrice d'un funeste tableau. Le Renard doré gisait dans le fleuve. Son éternel masque doré fendu, sur l'herbe.

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