Chapitre 18

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Madeleine retirait sans motivation les vêtements de l’armoire avant de les plier et de les ranger dans le sac de voyage de Lyra. La jeune domestique redoutait le moment où la demoiselle devrait rentrer chez elle. Toutes les deux étaient devenus proches. Après le service de Madeleine, elles avaient pris l’habitude de parler jusqu'à très tard, dans la chambre de Lyra. Madeleine aimait lorsque la conteuse lui racontait des histoires sur ses sœurs. Surtout la rencontre entre Enora et son fiancé Marco. Elle ne cessait de la redemander encore et encore, admirative de la fougue de la grande sœur de son amie.

De son côté, Lyra essayait tant bien que mal de rejoindre sa chambre. Depuis le soir du bal, tous ne manquaient pas de la remercier pour son acte héroïque que ce soit les domestiques ou bien les nobles. Elle qui était autrefois vue comme l’attraction de soirée, la petite campagnarde, la voilà devenue la sauveuse du Renard doré. Aujourd’hui encore, elle se faisait interpeller de toute part, une poignée de main par ci, un sourire par là, mais surtout des murmures dans son dos et des commérages.

Au loin, après la foule qui s’était agglutinée autour d’elle, Lyra distingua la couronne de boucle d’or de la reine Ellyana approcher d’un pas déterminé. Bien qu’elle vouât une réelle admiration et loyauté aux deux reines, depuis une semaine, elle faisait tout ce qui était en son pouvoir pour les éviter. Les deux femmes passaient leur temps à la chercher dans tout le château pour l’acclamer et la couvrir de cadeau. Chocolats importés des pays froids, bijoux d’or et de rubis, dagues ornées de joyaux, vêtements de soie, peluches rembourrées de nuages, ... Cela n'en finissait plus. Elle ne pourrait jamais tout emporter avec elle. Quand elle le fit remarquer à leurs Majestées, Thelma ordonna qu'une seconde calèche avec tous les présents les suivent jusqu’à Rivermoore.

Lyra fit demi-tour et marcha le plus rapidement et le plus naturellement possible. Plus que quelques pas et elle pourrait se cacher dans la cuisine, et prendre au passage quelques sablés au caramel. Mais déjà, elle entendait Ellyana l’interpeller. Trop tard, elle ne pouvait plus faire comme si elle ne l’avait pas entendue.

Un sourire de convenance sur le visage, elle fit face à la reine. Qu’est ce qu’elle allait vouloir lui offrir cette fois-ci ? La dernière fois, Lyra avait tout simplement refusé d’emporter le plus gros saphir des coffres royaux. Elle avait bien assez de trésor pour enrichir ses parents, ses sœurs et leurs dix prochaines générations. Néanmoins, Lyra leur en était plus que reconnaissante. Elle avait commencé à conter sur la place du marché pour aider financièrement les Merryweather et la voilà plus riche que certains des nobles qui la méprisaient il y a peu. Sa famille était sauvée de la ruine et du déshonneur par la même occasion. La jeune femme ne pouvait rêver mieux. Raison de plus pour rentrer au plus vite et les rassurer. Mais, à l’allure où Thelma et Ellyana la surchargeaient de cadeaux et la retenaient un peu plus chaque jour, Lyra poserait un pied dans sa chère campagne quand les beaux jours pointeraient le bout de leur nez.

Lyra salua la reine d’une révérence, priant pour ne pas voir derrière son dos un nouveau saphir encore plus imposant.

  • Ma chère Lyra, je ne pensais pas te trouver ici. Mais au moins je n’aurais pas à demander à quelqu’un de venir te chercher. Thelma et moi aimerions te parler, si tu veux bien me suivre, déclara-t-elle en lui indiquant le chemin d’un mouvement de la main.

Lyra acquiesça et marcha à la suite d’Ellyana. Les couloirs, d'ordinaire bruyants de par les discussions animées des nobles et le travail des domestiques, se transformaient en cloître digne des plus silencieux monastères. Et, comme lorsque les vagues roulent docilement sur la grève, le peuple s’inclinait humblement au passage de la souveraine.

  • Oh, attention !

Lyra venait de se faire bousculer par un tas de linge. Le panier tomba, déversant les draps par terre.

  • Mais regardez où vous allez, non ? Y’en a qui travaillent ici. C’est pas vrai, je vais devoir tout relaver, c’est malin !

Le visage rouge de colère de la domestique ressortait encore plus entouré de tout ce blanc. Un visage assez banal, mais cette chevelure brune et cette queue de cheval… Lyra la reconnut. C’était cette femme qui lui avait indiqué d’attendre dans le salon d’émeraude, cette horreur verdâtre, cauchemar de tout décorateur d’intérieur. C’était elle qui l’avait fait poireauter pendant des heures et donc, c’était également à cause d’elle que Madeleine l’avait cherchée à travers tout le château, au risque de se faire disputer par ses supérieurs.

Ellyana de toute sa hauteur toisait la domestique. Son regard était aussi noir que le charbon et d’une puissance telle que Lyra détourna aussi les yeux. La jeune femme se prosterna instanténnement et déposa son front sur le sol. Elle demandait le pardon devant tous les passants, qui ne rataient pas une miette de ce pitoyable spectacle.

  • J’ai souvenir, commença Lyra, que tu éprouves quelques difficultés à t’orienter dans ce grand château, non ? Sans doute la raison pour laquelle tu avances sans regarder devant toi. Peut-être désire tu te reposer un temps. Il y a un confortable sofa vert qui n’attend que toi.

À ces mots, la domestique releva la tête vers son interlocutrice. Un sofa vert ? Il n’y avait aucun meuble de cette couleur… sauf dans le salon d’émeraude.

Perplexe devant les paroles de Lyra, Ellyana allait rebondir sur l’incompétence et surtout la grossièreté de la domestique mais Lyra fut plus rapide.

  • Alors, si tu ne veux pas avoir un repos forcé, tu devrais faire preuve d’un peu plus de politesse envers ceux à qui tu laves le linge sale. D'ailleurs, ma suivante attend que tu lui livres mes draps, mon lit ne va pas se faire sans toi.

Les spectateurs ricanèrent. S’ils avaient pu, ils s’en seraient frotté les mains et léché les babines d’excitation. Jamais encore il n’y avait eu autant de péripéties au château depuis que l’ancien roi avait été déchu. Et l’humiliation publique d’une servante était la plus raffinée de toutes les gourmandises.

Lyra passa devant la jeune femme toujours à terre, essayant de faire bonne figure en ramassant les draps. Mais ses joues rouges et ses yeux humides trahissaient sa honte.

La reine contempla la conteuse d’un tout nouvel œil. Visiblement la rose avait des épines acérées.

-§-

C’était la deuxième fois que Lyra mettait un pied dans le salon privé des deux reines. La première fois, elle suivait le Renard doré.

Et, en parlant du Renard, on en voyait la queue. L’homme masqué se tenait debout à la droite de la reine Thelma, rejointe par sa femme. Cette disposition ressemblait plus à un jugement du tribunal qu’à une invitation à prendre le thé. Lyra resta sur ses gardes.

  • Tu pourrais chercher une chaise pour notre invitée, soupira Thelma, visiblement déconcertée par le manque de manière de son chef de la garde.

Ce dernier s'exécuta en présentant à Lyra une chaise dont le siège, les accoudoirs et le dossier étaient rembourrés d’un élégant tissu ocre. Elle le remercia d’un hochement de la tête. Depuis qu’elle avait vu son visage, elle ne savait plus où regarder. Néanmoins, il avait l’air d’aller mieux. Il avait repris ses kilos perdus pendant sa convalescence ainsi que sa posture et sa prestance de chef de la garde.

  • Nous savons que tu rentres aujourd’hui et nous en sommes attristées, avoua Thelma. Et puis nous ne sommes pas rassurées que tu partes maintenant. L’assassin rôde toujours et il pourrait s’en prendre à toi. Imagine s’il pense que tu as vu son visage, il te traquera jusqu’à Rivermoore pour te faire taire à tout jamais…
  • C’est bon, chérie, je crois qu’elle a compris, interrompit Ellyana en voyant l’air inquiet de la conteuse.
  • Ce que je veux dire par là c’est que nous avons décidé d’un commun accord que tu ne seras pas seule à faire le voyage. Le Renard doré t’accompagnera. Ainsi, il pourra nous affirmer de vive voix que tu es rentrée chez toi saine et sauve.
  • Et rassure-toi cette fois ce ne sera pas à toi de le sauver. Il sera très vigilant, n’est-ce pas ? insista Ellyana à l’intention du Renard. Ce dernier baissa la tête, gêné.

-§-

Madeleine pleurait dans les bras de Lyra. L’heure des au revoir. Toujours un très mauvais moment à passer. Tous les amis de Lyra étaient là, Madeleine, Alphonse, Damien, Landry, quelques cuisiniers et soldats. Après avoir promis d’écrire à chacun d’entre eux et de revenir bientôt, elle monta dans la première voiture, où le Renard doré l’attendait, assis sur la banquette en face. La seconde voiture étant pleine à craquer des présents des souveraines. Le cocher fit claquer son fouet et, déjà, les roues en bois bringuebalaient sur les pavés.

Le cortège venait de quitter les portes de la capitale. Les maisons laissaient peu à peu place à des fermes qui laissaient elles-même place aux prés et aux arbres.

  • Vous allez bien ?

Fidèle à lui-même, le Renard doré n’avait pas prononcé un mot depuis leur départ, jusqu’à maintenant.

  • Je me sens à la fois triste de partir et soulagée de rentrer chez moi. Je ne suis pas une fille de la ville, confia-t-elle un sourire mélancolique sur les lèvres. Mais c’est douloureux de quitter ses amis, ils me manquent déjà.

Il lui tendit un morceau de tissu en lin blanc. Etait-ce une façon de la soutenir ? Machinalement, Lyra le prit. Elle ne s’était pas rendu compte qu’une larme avait coulé sur sa joue. Tout en l’essuyant, elle remarqua une bordure verte dans un coin.

Un joli “K” soigneusement brodé et entremêlé de fines courbes en fils vert sapin ornait le mouchoir.

  • Vous l’avez volé à qui ? demanda Lyra. Il n’y a pas de K dans Monsieur le Renard doré.

Le chef de la garde pouffa de rire. De toutes les hypothèses possibles et inimaginables, elle pensait au vol. Une chose est sûre, la conteuse avait de l’imagination à revendre.

  • Je ne m'appelle pas le Renard doré, c’est un surnom que les gens du château m’ont donné. Et encore moins Monsieur le Renard doré, il n’y a que vous qui m’appeliez de cette façon.
  • Ah ouf, et moi qui pensais que vos parents vous avaient réellement baptisé ainsi, plaisanta Lyra.

Le silence se fit soudain pesant. La voiture poursuivait sa route, chahutant le garde et la demoiselle. Dehors, la forêt s’assombrissait de plus en plus, la nuit ne tarderait pas à pointer le bout de son nez.

  • K, c’est l'initiale de mon prénom.
  • Non vous n’êtes pas obligé de …
  • Je vous avais dit que je vous raconterai. Laissez-moi commencer par me présenter. Je m’appelle Kayden, déclara-t-il solennellement.
  • Ravie de faire votre connaissance Kayden, affirma-t-elle en lui prenant la main pour lui rendre le mouchoir. Si vous permettez que je vous appelle Kay, vous pourrez m’appeler Lyra.

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