Chapitre 28

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Le réveil fut difficile. Cette nuit n’avait été qu’une suite de cauchemars interminables. Lyra se retrouvait de nouveau au tribunal. C’était elle qui était jugée coupable cette fois. Sans doute avait-elle échoué dans sa mission. Les corps de ses parents et de ses sœurs gisaient sur le sol en damiers glacé. Mais la personne qui prononçait la sentence n’était pas une des reines mais le Renard doré. Elle ne distinguait que son masque, froid, imperturbable, indifférent. Terrifiant. Il ne disait pas un mot mais il tendit son épée vers elle et l'abattit.

C’est donc une Lyra à moitié endormie que les domestiques ont habillé, maquillé et coiffé. Avant ça, l’une d’elle, celle qui préparait une poudre nacrée à appliquer sur les joues pour faire délicatement rougir, retira le voile cachant la coiffeuse. Qu’elle ne fut pas sa surprise face à un cadre de miroir sans miroir. Elle lança un regard d'incompréhension à ses camarades mais aucunes d’elles n’avaient d’explication.

  • Je suis désolée, c’est ma faute, avoua Lyra. Hier soir fut une très bonne soirée et je pense avoir bu plus que de raison. En rentrant dans ma chambre j’ai trébuché et brisé le miroir.

Les domestiques ne prononcèrent pas un mot. Il n’était pas rare que les nobles boivent à outrance, ils n’avaient que ça à faire de leur temps libre. Pourtant cette explication ne sembla pas les satisfaire. En effet, ils savaient tous que la veille, la demoiselle Merryweather et le duc de Lomond s'étaient retrouvés dans la chambre de ce dernier. Les ragots allaient bon train dans les couloirs du château. Il ne leur a pas fallu longtemps pour deviner la suite des événements. Tous avaient bien remarqué l’attirance qui liait les deux jeunes gens et le duc de Lomond était connu à Polaris pour être un bourreau des cœurs. Pas étonnant avec un tel physique et un tel charme. Plus tard dans la nuit, Herbert a entendu un grand fracas dans la chambre de la demoiselle. Lorsqu’elle ouvrit la porte, des morceaux de porcelaine et de miroir jonchaient le sol et la jeune femme était en pleurs. Il ne fallait pas être devin pour imaginer que la soirée s'était mal passée. Le duc avait dû refuser les avances de l’étrangère, ce qui l’a mis en colère. Colère qu’elle avait visiblement retourné contre le mobilier.

Si seulement ils savaient pourquoi Lyra avait agit de la sorte, peut-être se montreraient-ils plus compatissants.

Mais ils ne savaient pas. C’est donc silencieusement qu’elles se mirent au travail. Plus brutes que ce à quoi elle était habituée, Lyra ne pouvait s’empêcher de pousser des jappements d'inconfort. L’une lui tirait les cheveux avec la brosse, l’autre la pinçait en fermant son corsage, la dernière appuyait le pinceau trop fort sur ses paupières.

Après une bonne heure de torture, Lyra était enfin habillé et présentable. Elle avait choisi pour le fameux repas avec l’invité spécial un élégant chemisier en satin blanc descendant jusqu’à ses genoux pour le devant et jusqu’à ses chevilles pour l’arrière, une veste de costume caramel, un pantalon et des bottes en cuire hautes. Avec ses cheveux relevés en queue de cheval, elle ressemblait un peu à Thelma. Un choix parfaitement inconscient mais cela lui donnait étrangement du courage.

En parlant du repas, il fallait qu’elle y aille maintenant sinon elle serait en retard.

  • Auriez-vous l’heure ? demanda-t-elle à la domestique la plus proche d’elle.
  • Midi et demi, répliqua-t-elle sèchement.
  • Mais j’étais attendu à onze moins le quart !
  • Nous avons eu du mal à vous réveiller et comme vous étiez peu coopérative pendant vos habillages nous avons pris du retard.

Lyra n’avait pas le temps de se quereller davantage. Elle laissa les trois domestiques seules dans sa chambre et se précipita vers la salle à manger. Ses semelles claquant sur le sol étincelant. D’autres domestiques, qui s’occupaient de nettoyer les chambres pendant que les nobles étaient absents, l’a regardaient d'un œil mauvais. Il n’y avait rien de plus impoli que de courir dans un château.

Déjà dans le couloir Lyra entendait les discussions, les rires et les couverts qui s’entrechoquent. Elle ne réfléchit pas à son entrée, passa devant les deux gardes encadrant la porte et s’engagea dans la salle de banquet.

  • Voilà enfin notre ambassadrice d’Ambrume. Je pensais ne jamais vous voir aujourd'hui ma chère, annonça l’Altesse royal d’Aldonya. Nous commençions à nous inquiéter, surtout le duc de Lomond.
  • Mes plus sincères excuses votre Altesse, mon retard est impardonnable, déclara Lyra après une révérence, cramoisie.

Le domestique de la veille, Herbert, invita la retardataire à s’installer sur le dernier siège libre, évidemment à côté de Lysandre. Le plat était déjà servi. Une volaille que Lyra ne parvenait pas à identifier trônait au centre d’une purée couleur vert pomme, décorée de capucines violettes, jaunes et oranges. La jeune femme en avait l’eau à la bouche connaissant les talents du chef cuisinier, d’autant plus qu’elle n’avait rien avaler au petit déjeuner.

  • Peu importe, puisque vous êtes là, vous nous feriez bien l’honneur de conter une de vos, dit-on, merveilleuses histoires.
  • Humm et bien …
  • Vous devriez faire ce qu’iel vous dit, son Altesse est déjà très embêté.e de votre retard, chuchota le duc à l’oreille de la conteuse pour l’avertir.
  • Bien entendu, j'ai préparé un conte qui, je suis sûre, saura vous ravir le cœur, dit-elle finalement en se relevant.

C’était faux, elle n’avait rien préparé. Elle n’en avait pas eu le temps.

Tant pis, elle pourrait toujours leur raconter une histoire de son répertoire, elle en avait pleins. Allez, une belle histoire pour réparer sa bourde. Une belle histoire pour maintenir l’illusion de son titre d’ambassadrice. Une belle …

Rien ne lui venait en tête.

  • Il était …

Ses mains tremblaient, tout comme ses jambes. Elle avait du mal à respirer. Les invités la regardaient. Tous ces regards posés sur elle. Elle n’arrivaient pas à les maintenir. Rien ne pouvait la protéger. Elle ne bougeait pas. Ne parlait pas.

Et pour la première fois depuis ce jour-là au marché, la conteuse de Rivermoore se rendit compte qu’elle avait honte. Honte d’être debout ainsi, raide comme un piquet. Honte de raconter des histoires pour les enfants à des gens si nobles et si guindés. Honte d’être qui elle était. De rouge pivoine, elle vira au blanc.

Lysandre vint à son secours.

  • J’ai bien peur que Lyra, je veux dire Mademoiselle Merryweather, ne se sente pas très bien. Sans doute son long voyage qui l’a épuisé.
  • Alors laissons là se reposer, souffla Jude mécontent.

Iel détestait que l’on ne réalise pas tous ses désirs immédiatement. Et cette demoiselle en plus d'arriver en retard à un banquet préparé spécialement pour un invité d’honneur, était incapable de prononcer le moindre mot face à un public. Piètre conteuse ! Les Ambrumiens ne devaient rien connaître à l’art, le véritable art. C’était la seule raison possible. Pourtant sa représentante n’avait eu de cesse de louer les talents oratoires de la jeune femme. Y avait-il une autre explication ?

  • Vous m’en voyez navré très cher ami, se lamenta-t-iel à la personne assise à ses côtés. On m’avait pourtant dit qu’elle était de loin la plus épatante. Je voulais vous faire honneur. Et comme on m’avait rapporté que la reine Thelma avait offert une de ses prestations à sa femme et que celle-ci avait été toute chamboulée, je voulais faire de même pour vous. Vous vous seriez jeté immédiatement dans mes bras, s’esclaffa Jude. Mon rêve serait enfin devenu réalité ! Mais voilà que mon plan tombe à l’eau.

Son voisin de table ne dit pas un mot, il secoua simplement la tête.

Lyra fut ébloui par un rayon de lumière qui venait de se répercuter contre une surface lisse et dorée. Un visage inexpressif taillé dans l’or.

Même jusqu’ici il venait la hanter.

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