Chapitre 35

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Lysandre n’était pas revenu. Pas de papier, pas de plume et encore moins de nourriture digne de ce nom. Lyra espérait que cet oubli n’était pas dû à un événement plus important que nourrir sa personne et trahir son pays. Un événement comme un combat à mort entre le duc de Lomond et le Renard doré.

La jeune femme émiettait un autre pain dur en le frappant contre le sol. Il lui était impossible de le manger mais les rats, eux, s’en donnaient déjà à cœur joie. Au moins elle n’était pas toute seule, et ce n’était pas ses doigts de pieds qu'ils rongeaient…

N’importe quoi ! Alphonse je croyais que tu gardais un œil sur moi. Tu es où quand j’en ai besoin ?

Le plan que Lyra avait eu après ses retrouvailles avec Alphonse, grimé en domestique, était parfaitement bancal. Elle le savait. Un peu. Et c’est pourquoi elle n’avait pas voulu le divulguer au Renard. La jeune femme savait qu’il l'en empêcherait.

L’objectif était simple: elle devait se faire emprisonner.

Alphonse lui avait dit une phrase qui l’avait marqué. On ne fait pas attention aux domestiques. Ou plus précisément, on ne fait pas attention à ceux qui sont socialement plus bas que nous. Qui a-t-il de plus misérable qu’une prisonnière ? Un rat ?

Et elle n’avait pas tout à fait tort. Rien qu’en ayant participé à la réunion secrète elle avait appris certaines informations mais depuis qu’elle était enfermée ici, elle tendait l’oreille. Chaque bruit, chaque murmure, chaque conversation de garde, rien ne lui échappait. C’est alors que ses soupçons se confirmèrent. Toutes les petites gens du château étaient de mèche avec les partisans de Childéric: les domestiques, les gardes, les cuisiniers, les palefreniers,... Sans que Jude ne soit au courant de ce qu’il se tramait dans son propre royaume. Ils allaient et venaient en dehors du palais pour transmettre des informations et surtout semer une graine puissante dans la population: celle de la révolte.

Les gardes avaient la langue bien pendue dans les tréfonds du cachot. De toute manière, à qui les prisonniers allaient-ils le répéter.

Visiblement, l’île d’exil de Childéric avait été attaquée il y a de cela plusieurs mois. Ses gardiens avaient été anéantis par une force phénoménale, une sorte d’arme inconnue. Tout avait été gardé secret. L’ancien roi, rejoint par ses plus fidèles vassaux et avec l’appui de sa sœur, préparait depuis tout ce temps son retour sur le trône de Silverthrown, tout en ayant des vues sur celui de Polaris.

Pour comprendre tout cela, il fallut plus d’une semaine à Lyra. Les gardes étaient plus avares en révélation qu’elle ne le pensait. Au début, ils se méfiaient d’elle et ne parlaient pas en sa présence. Puis les heures se faisaient longues et alors les collègues commençaient à chuchoter. Les heures devenaient des jours, Lyra ne parlait plus et son apparence négligée se fondait de plus en plus avec la crasse de la cellule. Elle était devenue presque invisible. Invisible au point que les gardes oublient la présence de cette forme délaissée et alors attablés autour de leur déjeuner, un verre à la main, plus rien ne pouvait les empêcher de parler.

Sauf que voilà, Lyra aurait bien aimé que son soi-disant ange gardien qui veillait sur elle, viennent la rejoindre dans les sous-sol afin de lui transmettre ce qu’elle savait. L’ascension du lion était proche. Il fallait qu’Ambrume se prépare à riposter.

Alphonse où es-tu ? Tout mon plan repose sur toi !

Deux jours passèrent. Et toujours la même routine. Être réveillé par le changement de garde, toujours par deux, ainsi quand l’un s’endormait l’autre restait conscient. Recevoir son morceau de pain du matin. Essayer de ne pas se faire croquer par Lottie, son rat de compagnie. Et conter. Conter pour elle-même. Conter dans sa tête. Conter des histoires de liberté et de voyage.

Pour son bien-être, elle ne devait surtout pas se taire mentalement. C’est ce qui lui permettait de rester lucide. De ne pas tomber dans le désespoir. Alors elle inventait des histoires de rat voyageant dans le temps, de lion mauvais se faisant battre par des poussins, de renard capable de passer à travers les murs…

Quatre chaussures résonnèrent dans le couloir. Quatre pieds. Deux personnes. C’était le changement de garde. Lyra avait compris que les geôliers se relayaient au moment de donner les repas des prisonniers: le matin avec le morceau de pain, et le soir avec le souper, une espèce de purée de grumeaux infecte. Mais au moins ça tenait au corps.

Lyra avait compté trois autres détenus en plus d’elle. Son voisin d’en face, un homme d’église qui passait son temps agenouillé, le regard au plafond, à prier dans une langue que Lyra ne comprenait pas. À la droite du prêtre, une femme extrêmement maigre énumérait les pierres autour d’elle. Une fois terminée elle recommençait. 789 grosses pierres, 954 moyennes et 517 petites. Pour finir, il y avait le petit nouveau. Il avait été amené ici il y a de cela six changements de garde. Au début il s’était débattu, il avait hurler son innocence à en vomir, puis ses cordes vocales avaient fini par lâcher et comme la conteuse il ne parlait plus.

L’un des garde était chargé du côté droit et l’autre du côté gauche. Généralement, ils se contentaient de faire passer les écuelles sous la grille puis enchaînaient avec la cellule suivante. Pourtant ce soir-là, le garde s'accroupit lentement pour faire glisser la purée, il fit mine de cogner ses doigts contre la grille afin que le tintement attire l’attention de Lyra. Machinalement, elle releva la tête. Ses yeux s'étaient habitués au manque de lumière et elle le voyait clairement. Il était petit, les épaules et la mâchoire carrée, des cheveux rasés courts, un début de barbe et des yeux vifs.

Une larme creusa un sillon humide sur sa joue sale. Elle avait immédiatement reconnu Damien. Tout comme Alphonse, il s’était infiltré. Déguisé en garde.

Un visage familier. Enfin. Merci.

Damien fixait la femme en face de lui. Elle n’avait rien à voir avec la belle, la volontaire, la passionnée Lyra Merryweather. C’était une ombre, un morceau de la prison comme pourrait l’être la pierre ou la paille au sol. Son cœur se serra. Il avait mis bien trop de temps. Si seulement il avait pu venir plus tôt. Si seulement il pouvait la libérer immédiatement.

Tout en se relevant, il fit un geste étrange. Il passa une main devant son visage, comme pour le cacher, puis lança un regard vers l’écuelle avant de s’installer à son poste.

Trop hébété de l’apparition de son ami, Lyra ne prêta pas tout de suite attention à sa nourriture. Ce n’est que plus tard qu’elle découvrit le mot caché dans l’immonde purée.

Renard sait.

Bientôt.

Liberté.

On allait la libérer. On ne l’avait pas oublié. Bientôt le cauchemar prendrait fin. Et alors si Kayden savait, s' il venait, c’est qu’il était encore sain et sauf. Elle devait le prévenir.

Elle sécha le bout de papier avec la paille. Du bout des doigts elle écrasa une crotte de rat, et sur l’autre face du message elle traça les mots :

Retour

Roi

Été

Le matin, alors que la relève allait procéder, les gardes de nuit récupérèrent les écuelles vides. Ou presque vide. Lyra avait pris soin de laisser un fond de purée de manière à dissimuler le message.

Au moment de récupérer l’assiette, Lyra fit le même geste que Damien la veille. Il avait compris. Elle avait remis le papier. Il le récupéra discrètement et le cacha à l’intérieur de son gant.

Plus qu’à le donner à son chef.

La libération de Lyra était proche.

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