Chapitre 37

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Dans la prison du palais de Polaris, il y avait deux personnes assises l’une en face de l’autre, séparées par des barreaux de fer. Elle lui tenait la main pour lui donner du courage. Il ne pouvait quitter son regard de braise.

  • Je suis natif d’un tout petit pays du sud, aujourd'hui rayé des cartes. Malgas. Il ne vous dit sans doute rien, c’est normal, c’était une ancienne colonie d’Ambrune, commença Kayden.

Il se racla la gorge, visiblement il lui était difficile de parler de son passé.

  • Mes parents étaient pauvres, comme tous les habitants de cette terre. Nous ne vivions qu’au dépens des grandes puissances du nord, Ambrune principalement. Ils nous donnaient des ressources telles que des céréales, de la viande ou des légumes. De notre côté nous leur échangions une main d'œuvre solide et peu onéreuse. Mais la population était vieillissante et la majorité des personnes en âge de travailler avait déjà été envoyée dans les grandes capitales. Alors après les hommes et les femmes majeurs, ce fut au tour des adolescents de partir. Chaque année l’âge de départ baissait. J’avais huit ans. Bien trop petit pour quitter le pays. C’est ce que me répétaient les grandes personnes pour ne pas inquiéter l’enfant que j’étais. J’étais trop jeune, je ne comprenais pas. Je pensais rester auprès de mes parents toute ma vie, aller à l’école, jouer avec mes amis.

Année 17XX, dans un petit village de Malgas.

On toqua à la porte d’une petite maison en chaume. Le tambourinement contre le bois était violent comme un coup de tonnerre. Trois hommes, ou plutôt trois colosses pénétrèrent dans la pièce de jour qui servait également de cuisine et de chambre des enfants. La famille attablée devant son maigre repas regarda incrédule ces intrus arborant l’uniforme de la garde royale d’Ambrune. Les deux parents et le plus jeune fils avait tous une chevelure brune, seule une tête rousse contrastait dans ce tableau familial. Pourtant on ne pouvait contester le lien de parenté tant les yeux verts des deux frères et de leur mère étaient identiques.

  • Madame, Monsieur, le royaume d’Ambrune demande à ce que tous les enfants de 6 à 10 ans rejoignent Silverthrown, la capitale.
  • Vous ne pouvez pas obliger de si jeunes enfants à travailler dans les champs, s’indigna le père tout en passant une main protectrice devant son fils le plus proche.
  • Travailler oui, mais pas dans les champs, Monsieur. Les plus jeunes enfants seront conduits dans une école construite spécialement pour les enfants des colonies. Ils recevront une bonne éducation pour ensuite faire partie intégrante de la puissance d’Ambrune.
  • Je ne sais pas, réfléchit la mère. Ils sont si jeunes. Ils ont besoin de leurs parents.
  • Mais leurs parents ont besoin d’argent, ajouta un des soldats en jetant une bourse sur la table.

Le cliquetis des pièces retentit dans toute la petite maison. La mère, d’abord méfiante, s’empara de la bourse et tout en l’ouvrant jaugea le montant. Elle n’en revenait pas. Avec ça ils pourraient vivre aisément pendant une année et demi, et plus encore si les deux enfants n’étaient plus à leur charge.

  • Si vous nous donnez les enfants maintenant, vous aurez une deuxième bourse immédiatement.
  • Vous nous promettez que c’est pour le bien de nos fils. Qu’ils iront dans une bonne école et deviendront des citoyens d’Ambrune.

Les trois gardes affirmèrent d’un hochement de tête. Alors la mère, les épaules tombantes, lança un regard à son mari. Il récupéra la bourse. Tous deux étaient d’accord.

Les deux garçons suivaient l’échange entre les adultes. Bien que le plus jeune ne comprenait rien à la discussion, le plus âgé avait parfaitement saisi. Leurs parents venaient de les vendre.

  • Mes chéris, vous allez partir en voyage. Dans une nouvelle école, avec de nouveaux amis. Vous allez voir ce sera amusant, essaya de rassurer le père. Mais maman et papa ne peuvent pas venir avec vous. Vous allez suivre ces gentils messieurs.
  • Non, pleurnicha le plus petit. Je veux rester avec papa et maman.

Mais ils n’eurent même pas le temps de s’enlacer une dernière fois. La seconde bourse claqua contre la table, déversant ses pièces d’or sur le bois et les soldats empoignèrent le bras des enfants.

Kayden et son petit frère ne revirent plus jamais leurs parents.

L’école pour les enfants des colonies. Une supercherie montée de toute pièce par Childéric III, roi consort d’Ambrune. Il s’était réveillé un jour, persuadé que le soleil en personne l’avait chargé d’une mission divine: Détruire la lune.

Pour cela, Childéric se mit en tête de construire un bâtiment plus grand que n’importe lequel et au bout de cet édifice y mettre une arme capable de condenser une lumière assez puissante pour créer un rayon qui ferait exploser la lune. Le projet devait rester secret jusqu'au Grand Jour, c’est pourquoi il avait choisi une petite île au Sud-Est d’Ambrune pour mener à bien sa mission. Un point vert apparaissant sur les cartes maritimes, mais trop peu intéressant pour que les navires s'y arrêtent.

Alors il fit appel à un cercle restreint d'architectes, de savants, d'armuriers et d'ingénieurs. Mais pour construire une telle tour, il avait besoin de bras, d’ouvriers. Les ambruniens ne pouvaient pas y participer. C’était trop dangereux et puis au vu de l’ampleur des travaux, il faudrait un trop grand nombre de personnes, une telle absence attirerait l’attention. Il restait encore les habitants des colonies mais les plus âgés avaient également rejoint les travailleurs ambruniens. Sauf les enfants les plus jeunes, ceux qui sont les plus dociles, qui ne pourront pas se rebeller car plus manipulables.

C’est ici que nous retrouvons Kayden et son frère. Bien évidemment ils se disaient que la capitale ne ressemblait pas du tout à ce qu’on leur avait raconté. Il n’y avait ni rue, ni maisons, ni château. Pas de chevaux, encore moins de passants. Juste du sable, des arbres, de l’eau salée et un début de bâtiment en construction. Pourtant tout autour d’eux il y avait des enfants, donc c’est que ça devait être une école. Mais à l’école on apprend à lire, à compter, à écrire. Là, les enfants portaient des blocs de pierre, des barres de fer, des sacs. Leur peau était brûlée par le soleil, leurs pieds séchés par le sable. Leur maigreur et la sueur ruisselant sur leurs fronts effraya le plus jeune des frères, qui se cacha derrière son aîné.

L’école n’était pas une école. Et eux n’étaient plus des enfants mais des esclaves.

-¤-

  • Nous avons travaillé dans cette satanée tour pendant plus de trois ans. Mon frère, moi et tous les enfants des colonies. Nous étions tellement nombreux que j’avais chaque jour l’impression de voir de nouveaux visages. La construction prenait trop de temps, nous étions frêles, fatigués et malades pour la plupart. C’est là-bas que j’ai rencontré le Père Windslow. C’était un médecin malgas chargé de nous soigner. Il était le seul à faire attention à nous. Alors que les gardes nous battaient pour que le travail avance plus vite, lui désinfectait nos blessures et nous racontait des histoires pendant le repas. Il connaissait chacun de nous, nos noms et nos visages. C’était un père pour tous les enfants de l’île.

Lyra jetta un regard à l’homme qui écoutait silencieusement l'histoire de son ancien protégé. Il était si mince, si vieux, si voûté. Comment avait-il pu survivre à cette épreuve sans se faire briser les os ?

  • Cependant, les remèdes ne fonctionnaient plus. Les coups étaient de plus en plus fréquents, de plus en plus fort. Et les enfants tombaient les uns après les autres. Mon petit frère est tombé.

Ses yeux étaient humides. Mais aucune larme ne coula, il avait dû en verser tellement qu’elles refusaient à présent de le quitter.

  • Lorsque j’ai compris qu’il ne se relèverait plus, la rage m’a aveuglé. J’ai attrapé le fouet du soldat et lui ai rendu ce qu’il avait fait à mon frère et à tous les autres enfants. Lui non plus ne s’est pas relevé. Ensuite, tout fut très rapide. Un mouvement de rébellion s’est enchaîné. Les autres ont suivi mon exemple. Ils étaient enragés, ils reprenaient leur liberté, leur humanité. C’était à la fois terrifiant et magnifique. Beaucoup sont morts ce jour-là mais ils avaient réussi à emporter sur leur passage bon nombre de leurs tortionnaires. Les plus âgés d’entre nous avaient volé des canaux pour rejoindre le continent et prévenir le monde de ce que nous vivions. À l'époque, nous ne connaissions pas le plan de Childéric. Tout ce qu’on voulait, c’était survivre.

Il lança un sourir emplit de tristesse vers le Père Windslow. Après un silence, il reprit.

  • Mais la résistance ne dura pas longtemps. Les gardes étaient des soldats, des machines entraînés pour la guerre. Ils ont rapidement capturer les plus virulents d’entre nous. Moi le premier. Ce geste de rébellion m’a valu d’être enfermé plusieurs jours. C’était une cellule, je crois. Pas plus grande qu’un coffre. Enfin c’est ce qu’il me paraissait, dit-il en levant la tête, jugeant la taille de sa présente cellule.
  • Kay, je suis désolée. Je ne sais pas quoi te dire. Si seulement j’avais su.

Lyra l'avait naturellement tutoyée. Sans s’en rendre compte. Après ce que lui révélait Kayden, ils n’étaient plus de simples connaissances mais bien des amis. Des amis assez proches pour se confier sur leur passé. Aussi difficile soit-il.

  • Tu n’aurais rien pu faire, tu devais avoir 6 ou peut-être 7 ans à ce moment-là. Et personne ne savait. Enfin c’est ce que je pensais. Les plus grands avaient, j’imagine, réussi après plusieurs mois à rejoindre le continent. Je ne les ai jamais revus. Mais voilà qu’un jour une femme, soutenue par ses compagnons d’armes, est apparue sur l’île. C’était Thelma. Elle avait déjà commencé son coup d'État et avait entendu parler de cette histoire de tour construite par des enfants. Je ne sais pas comment elle nous a trouvés mais dès leur arrivée, ils ont terrassé les gardes de l’île. Enfin presque tous les gardes. Crowley, le soldat en chef de ce projet et ami intime de Childéric avait truffé l’île d’explosif dans l'hypothèse qu’un jour la tour soit découverte. L’hypothèse était devenue une réalité alors il a enclenché le mécanisme de destruction. Je ne me souviens que du bruit des explosions, des hurlements et de la panique d’être enfermé dans cette boîte, dans l’incapacité de bouger, attendant une mort imminente. Tout ce que je sais ensuite c’est ce que Thelma m’a raconté. Elle m’a retrouvé, inconscient et m’a ramené avec elle. L’île à été entièrement détruite. Je pensais que le Père Windslow n’avait pas pu se sauver mais il m’a expliqué que lui et quelques enfants avaient réussi à prendre un des derniers canaux. Il est retourné à Malgas et à construit un orphelinat. De mon côté je n’avais plus de famille et nulle part où aller alors j’ai suivi Thelma et sa femme Ellyana. Elles m’ont ouvert les portes de leur maison puis celle du palais une fois devenues reines. J’ai rencontré des gens admirables, Landry, Alphonse, Damien et puis toi.

Lyra cessa de respirer un instant. Ses joues la brûlaient. Elle passa une main dans ses cheveux emmêlés pour rompre le contact visuel.

  • Tu es donc comme un fils adoptif pour elles ?
  • J'imagine. Je ne sais pas trop. Pour moi elles ne sont pas mes mères, mais mes reines. C’est ainsi que je me suis obligé à les voir quand j’ai débuté ma formation de soldat. Je ne voulais pas être un poids pour elles. J’ai travaillé dur. Mes compétences ont vite été remarquées. Les années ont passé et je suis devenu chef de la garde. Je pouvais ainsi protéger la femme qui m’avait sauvé la vie et me battre pour le pays qui m’avait acceuilli.
  • Et tu n’es jamais retourné dans ton village à Malgas ?
  • Jamais.
  • Et ton masque ? C’est pour cacher tes cicatrices ?

Il porta la main à son visage. C’était inhabituel pour lui de ne pas ressentir le poids de sa façade dorée.

  • Entre autres. J’en avais assez que les gens me rappellent sans cesse que j’ai des cicatrices. C’est ma tête, je me vois tous les matins dans le miroir. Je sais que j’ai des cicatrices. Et puis je ne voulais pas qu’ils me posent des questions alors plutôt que d’esquiver à chaque fois, j’ai préféré me cacher. C’est Ellyana qui m’a offert mon premier masque. Il était entièrement doré, clinquant, trop voyant pour une personne comme moi. Mais elle était tellement heureuse de me l’offrir que je n’ai pas refusé. Ensuite j’ai grandi et j’ai aimé me sentir à l’abri du regard des autres. J’ai pris l’habitude de porter ce masque. Le personnage du Renard doré est né. Et la suite de l’histoire tu l’as connait.

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