Chapitre 45

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Le plan de Kay était simple.

Childéric voulait entrer. Très bien, il allait entrer. 

Depuis le début de la bataille Ambrune perdait clairement l'avantage. Étant piégés dans un espace clos, leurs mouvements étaient limités et leurs ressources s'amenuisaient. Il fallait renverser la situation. 

Rapidement tout fut en place. Le chef de la garde scinda son armée en deux groupes. Le premier servait de diversion. Les gardes se posteraient à leur ligne de défense habituelle pour éviter aux soldats ennemis de passer. Mais une entrée, un passage que seuls les habitués du château connaissent, sera laissé sans surveillance. 

Kay espérait que Childéric est conscience de l'existence de ce chemin et y fasse entrer son armée. Tout reposait sur ce détail. Le chemin mène de derrière les écuries à une cave à vin dans les sous-sols du château. 

C'est alors que le second groupe entre en scène. Les gardes seront postés en hauteurs, installé entre les arcades de pierres du plafond de la cave, et armés d'arcs ils tireront sur les soldats enfermés. 

En faisant croire à une défense déficiente, Childéric tombera dans la gueule du loup. 

C'était risqué. Car s'ils échouaient  le château tomberait entre les mains de l'ennemi. Mais s'ils ne faisaient rien les gardes d'Ambrune mouraient les uns après les autres. 

Et Kayden avait raison. 

Childéric connaissait bien son ancienne demeure. Ses sentinelles repérèrent une faille dans le château. Il envoya dans un premier temps un petit escadron dans le passage souterrain. 

Ils ne revinrent pas. 

Il envoya alors plus de soldats. Qui ne firent pas non plus le chemin retour. 

- À quoi tu joues Thelma ?

La question de Childéric claqua comme un coup de tonnerre. Il sentit que le vent tournait, et qu'il n'était plus en sa faveur. 

De son côté, le Renard doré était ravi de la réussite de son plan. Dans son entêtement,Childéric envoyait toujours plus de soldats à l'abattoir. Ainsi le premier groupe se retrouvait en moins grande difficulté au vu du nombre d'ennemis réquisitionnés par leur chef. 

Pourtant le bain de sang fut de courte durée. Bien que têtu l'ancien roi n'était pas idiot. Il cessa d'envoyer ses soldats. À la place, c'est lui qui entra. Mais pas seul.

- Chef, alerta Damien. Nos éclaireurs disent que Childéric a quitter son poste et qu'il pénètre par le passage. Si l'un d'entre nous lui plante une flèche dans le crâne on est sauvé !

- Attends, ne fêtons pas victoire trop vite. Cet homme est un lâche, pourquoi entrerait-il sans armée ?

- Il serait accompagné d'un homme paraît-il. Mais que pourraient faire deux hommes face à vingt archers ?

Un frisson de terreur s'empara de Kayden. Sa main se crispa machinalement sur la garde de son épée. Il avait un terrible pressentiment. 

- Damien, dis à sa Majestée qu'il y a un problème et que je vais vérifier moi-même. Que tout le monde campe sur ses positions. Personne ne doit entrer ou sortir de ce château. 

- Très bien chef, mais c'est déjà ce qu'on fait. 

Damien eut à peine le temps de finir sa phrase que le Renard doré avait disparu. 

Dans sa course effrénée Kayden passa devant la Grande salle, donc la nouvelle infirmerie. 

-Renard ? demanda Ellyana en distinguant un éclair roux zébrer le couloir. 

Il n'en fallut pas plus pour faire sortir la tête de Lyra qui attendait patiemment la fin des soins de Madeleine. 

- Kay ? Qu'est ce que tu fais là ?

- Pas le temps ! Enfermez-vous !

- T'es sérieux là ? 

Lyra se retourna vers Ellyana qui le regardait de la même façon, de la surprise mêlée à de l'inquiétude. 

La jeune femme commença à franchir le pas de la porte mais la reine la retint par l'épaule.

- C'est trop dangereux.

- Mais cet idiot… Enfin je veux dire, il est parti tout seul. Et puis c'est généralement moi qui le sauve de la mort. Il a besoin de sa chevalière en armure. Votre Majestée, faites ce qu'il a dit. Enfermez-vous avec tout le monde dans la Grande Salle. J'emprunterai le passage des cuisines pour vous indiquer quand la voie sera libre.

- Fais attention à toi. Et veille bien sûr mon garçon.  

Les yeux d'Ellyana à cet instant étaient ceux  d'une mère en détresse. C'était la même lueur d'effroi qui avait parcouru les yeux de sa mère lorsqu'elle était revenue de Silverthrown après l'attaque contre le Renard doré ou au procès de son père. 

C'était sans doute le même désespoir qu'elle ressentait en ce moment même en sachant que sa fille était enfermée dans un château assiégé.

Lyra referma les portes derrière elle puis suivit le cliquetis de l'armure de Kayden. Elle eut des doutes, se trompa plusieurs fois de chemin. Les bruits de pas du Renard doré se heurtaient aux murs, résonnant ainsi dans plusieurs couloirs, jusqu'à ce qu'ils la mènent en bas d'un escalier en colimaçon. 

Trois lourdes portes en bois rondes l'attendaient. Lyra les connaissait bien depuis l'invasion de Childéric. C'était les caves à fromages, à vins et à viandes. 

Kayden restait immobile devant la cave à vin. 

Blanc, la peau du jeune homme l'était naturellement. Non, à cet instant, il était livide. 

À ses pieds, des fragments bruns gisaient. La porte avait été explosée de l'intérieur. Parmi les morceaux de bois, une mare rouge et épaisse teintait le sol de pierre. Les yeux du chef de la garde suivaient l'origine de la flaque écarlate. Une main, puis un bras, un corps entier, et deux, trois et c'est tout le groupe de gardes qui avait rendu l'âme. Amoncelés sur les cadavres percés de flèches des soldats ennemis.

La position des corps n'était pas naturelle. Des genoux étaient brisés, des bras désarticulés, des cou rompus. C'était comme s'ils avaient chuté des arcades les uns après les autres. 

- Par le soleil et la lune… murmura Lyra les mains plaquées sur la bouche pour s'empêcher de hurler. 

- Que fais-tu là ? Je t'avais dit de rester là-bas, gronda Kayden.

Mais la jeune femme ne pouvait lui répondre tant cette vision d'horreur focalisant toute son attention. 

Elle avait envie de vomir. 

- Lyra regarde moi, articula Kay en prenant les bras de la jeune femme pour reporter son attention sur lui. 

- Leurs visages… qu'est ce qui a bien pu leur faire ça ? 

En effet, le visage des gardes avait été lacéré. De larges plaies laissaient la chaire vive à l'air libre. Les marques étaient semblable à celles laissées par un animal sauvage. 

- Je crois que c'est une de mes veilles connaissances, déclara t-il finalement l'air sombre. Lyra, il faut qu'on parte maintenant. On est en danger. Tout le monde est en danger. 

Il la secoua doucement. Elle hocha de la tête mais dut garder la main de Kayden dans la sienne pour ne pas ralentir. Chaque pas était plus difficile que le précédent. En fermant les yeux elle revoyait le carnage. L'odeur métallique et nauséabonde du sang emplissait de nouveau ses narines. Elle entendait le silence. Le silence pesant de la mort. 

Elle trébucha maintes fois sur les marches, son corps ne comprenant pas bien la situation. Mais Kayden la rattrapait toujours, tenant sa main plus fermement dans la sienne. Mais il ne ralentit pas pour autant. Au contraire, il accéléra à chacune de ses respirations saccadées. 

Une fois le rez-de-chaussé atteint, Lyra reprit peu à peu ses esprits. Tous deux étaient devant les portes closes de la Grande Salle. 

- Kayden, que c'est-il passé ? Qu'est-ce qu'on a vu ?

- Je n'ai pas le temps de t'expliquer, désolé. Va te mettre à l'abri avec les autres, ordonna Kay à l'affût.

- Ou quoi ? 

Le Renard doré se retourna vers Lyra. Mais ce n'était pas la jeune femme qui venait de parler. 

Le chef de la garde dégaina en un éclair et brandit son épée face à l'assaillant. 

- Du calme garçon, poursuivit la voix. Tu ne veux pas que cette belle jonquille soit aussi lacéré que toi, n'est-ce pas ? demanda-t-il menaçant.

Un gant sombre aux griffes d'aciers acérées glissait en une valse dangereuse sur le cou de la conteuse. Apeurée, elle osait à peine respirer, à peine déglutir. La seconde main de l'homme empoignait sauvagement les avants bras de Lyra dans son dos. Il n'avait aucun mal à la retenir d'une seule main. Sa poigne était puissante et douloureuse. 

Cet homme semblait tout droit sorti des pires cauchemars de Kayden. Il n'était pas grand en taille mais imposant par sa carrure. Des épaules carrées et droites surmontées d'une tête tout aussi carré. Une peau fripée et burinée. Des petites dents jaunâtres apparaissant derrière un sourire malsain, un nez épaté, des yeux porcins noirs et des cheveux grisonnants tombant mollement sur ses épaules. 

Le reflet sur ses longs doigts métalliques aveuglait l'œil droit de Kayden. 

- Vous étiez censé être mort ! affirma-t-il en se déplaçant avec agilité afin de retrouver une bonne vision et une position de combat. 

- Tout comme toi Perce-neige. Et pourtant nous voilà tous les deux. Ah je me souviens bien de toi. Le petit chiot enragé. Ton œil assassin et ta rébellion. Mais je vois que ton visage se souvient de moi également, dit-il en dessinant sur son propre visage les cicatrices de Kayden. 

Ses griffes se resserèrent davantage sur la peau de Lyra. 

- Je me souviens de celle-là en particulier, continua-t-il sadiquement en appuyant sur sa paupière gauche. Tu avais tenu bon jusque là mais pour celle-ci tu avais hurlé à t'en évanouir. Pour être honnête je pensais que tu perdrais ton œil. 

Il marqua une pause. Prenant le temps de défier Kayden du regard. 

- Mais non heureusement. Tu as toujours cette œillade assassine. Et je paris que tu veux me faire la peau, n'est ce pas Perce-neige ?

- Mes rêves les plus doux sont ceux où vous mourriez de ma main, Crowley. 

- Oh je t'en pris, appelle moi comme vous le faisiez à l'époque. Le Faucheur. J'aimais tellement ce sobriquet que les enfants de la tour m'avaient attribué, expliqua-t-il à Lyra. Et j'aimais par-dessus tout les cris qui s'ensuivaient. Quelle plaisante époque. Mais tu as décidé de tout foutre en l'air Perce-neige. J'ai tout perdu, mon emprise, mes privilèges et mon roi !

- Dites-moi, c'est une manière ces surnoms de fleurs ?

Cette question brûlait les lèvres de Lyra depuis qu'il l'avait qualifié de "jonquille". 

- Je suis passionné d'horticulture, répondit simplement Crowley. 

- Je vois. Et pour revenir à notre affaire. Vous voulez vous venger et il veut se venger. Très bien. Mais moi je n'ai rien à voir là dedans. Alors vous pouvez me lâcher et continuer votre bataille de regard. 

Le rire de l'homme fit trembler ses membres et les bras de Lyra. 

- Tu ne semble pas avoir peur pour ton ami. 

- Parce que je n'ai pas peur. Kayden est le plus jeune chef de la garde et le meilleur escrimeur d'Ambrune. Il va ne faire qu'une bouchée de vos griffes de chat. 

- Oh vraim…

L'épée de Kay s'abattit sur la main de Crowley. Celle qui tenait les bras de Lyra. Le chef de la garde avait profité de la distraction de la conteuse pour contourner l'ennemi et attaquer son angle mort. Le coup était puissant mais pas suffisamment pour la lui trancher. Cependant, l'entaille était assez profonde pour lui cause une douleur terrible, l'obligeant à lâcher sa proie. 

Dès que Lyra sentit la poigne se desserrer, elle jetta violemment sa tête en arrière et percuta de pleins fouet le nez de son assaillant. 

- Silkamords ! jura-t-il la tête relevé, le nez ensanglanté, la main blessée pendante. Le muscle avait l'air salement touché. 

Lyra ne connaissait pas ce mot mais elle était certaine que c'était une insulte à leur encontre. 

Kay allait asséner un nouveau coup mais Crowley esquiva avec agilité et s'enfuit aussi vite que ses blessures lui permettaient. 

Il allait peut être vite mais il laissait derrière lui une traînée de gouttes de sang. 

- C'était qui ça ? demanda Lyra en se massant la gorge, le souffle court. 

Les griffes avaient laissé cinq points rouges sur le cou de la jeune femme. 

Kayden n'avait pas envie de parler. Il devait le suivre avant que ce démon de s'en prenne à d'autres. Mais la peur dans la voix de Lyra le força à répondre. 

- Tu te souviens de l'homme qui était à la tête de la tour dont je t'ai parlé à Polaris ? 

- L'ami proche de Childéric ? C'est lui ?

Kayden hocha de la tête. 

Lyra pensait qu'en revoyant cet être abominable, celui qui lui avait fait vivre l'enfer, qui l'avait torturé, qui avait tué son frère et ses compagnons, Kayden serait furieux. Déchaîné. Enragé. Au contraire, il était calme, intraitable et froid. 

- Maintenant Lyra, c'est la seule fois que tu devras m'écouter. Retrouve Ellyana dans la Grande Salle. Enferme-toi avec tout le monde. Barricadez toutes les entrées et n'en sortez sous aucun prétexte. 

- Et toi ?

- J'ai une affaire à régler avec lui. Et puis c'est toi qui l'a dit: Une vie pour une vie. Et lui il va payer la vie de mon frère par la sienne.

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