Chapitre 54 (Réécrit)
— On est pris au piège dans notre propre château ! fulmina Thelma.
Deux jours. C’est ce qu’il avait fallu à Childéric et à son armée pour détruire la défense des soldats de Silverthrown. Deux jours qu’ils vivaient reclus dans l’enceinte du château. Deux jours que Kayden n’avait pas fermé l'œil.
— Le problème, c’est que Childéric connaît bien le château, fit remarquer Alphonse en s’épongeant le front.
Son visage, ruisselant de sueur, et son uniforme couvert de poussière, accentuaient encore plus la fatigue sur les traits tirés du garde. Les soldats relayaient leur poste et Alphonse et Damien revenaient tout juste des remparts. Ils prenaient la relève de deux autres gardes, protégeant la reine Thelma aux côtés de leur capitaine. Dans la salle du conseil, le silence était lourd et les visages sombres. Thelma, comme une lionne en cage, faisait le tour de la pièce dans un sens, puis dans l’autre.
— En tant qu’ancien roi, il doit savoir où sont toutes les entrées et sorties potentielles. Sur ce coup, on est pris comme des rats, cracha Damien.
— C’est « fait comme des rats », l’expression, corrigea son ami.
— Peu importe, on est dans la m…
Kayden tapa son poing sur la table. Tous sursautèrent suite à la violence du coup, à l’exception de Thelma. À la place, elle s’approcha de son capitaine de la garde, avide de savoir à quoi pensait Kayden.
Une idée folle venait de lui traverser l’esprit. Face à l’armée de Childéric, ils n’avaient aucune chance. Silverthrown était en trop mauvaise position. Non. Ce qu’il fallait, c'était sortir le rat de son trou, pour reprendre la comparaison animalière de Damien. Faire tomber le roi, c’était faire tomber toute l’armée. Et pour ça, Kayden avait un plan.
— Votre Majesté, interpella-t-il Thelma.
Il fit un pas en arrière, ne s’attendant pas à la voir si près. Elle cliquetait ses ongles contre le pommeau de son épée. Ses doigts semblaient la démanger, incapables de rester immobiles. Et une lueur hâtive brillait dans ses yeux.
— Les sorties des passages souterrains du château sont-elles toutes condamnées ? poursuivit-il.
— À ma connaissance, trois passages menant au château sont encore accessibles, répondit Thelma après un temps de réflexion. Difficilement, car ils ne sont plus utilisés, mais… Non, attends ! Le chemin de la cave à vin vers les cuisines ! Il est encore emprunté.
— Et Childéric le connaît ?
— J'imagine que oui.
— Parfait. Alors, on va tout faire pour lui faciliter l'entrée au château.
— Quoi ?! s’exclamèrent en cœur Alphonse et Damien.
— Tu es devenu complètement fou, Renard doré.
Fou, Kayden ne l’était pas. Désespéré, un peu. Effrayé, entièrement. Mais ils n’avaient pas d’autre choix. S’ils ne changeaient pas de stratégie et continuaient juste à faire front, cloîtré dans le château, Childéric raserait l’armée de Silverthrown avant la fin de la semaine. Et alors, c’est tout le royaume qui serait à sa merci.
Le plan de Kay était simple : Childéric voulait entrer. Alors, il allait entrer.
Dès le début de la bataille, Kayden et son armée n’avaient pas l’avantage. Ainsi piégés dans un espace clos, leurs mouvements étaient limités et leurs ressources s'amenuisaient. Il fallait renverser la situation.
— Laissez libre accès aux caves, c’est ouvrir le chemin vers les cuisines et donc vers le couloir des domestiques qui mène à la Grande Salle, lança Thelma. Tu te rappelles ? Là où tu as envoyé tous les gens du château. Je refuse qu’ils soient encore plus en danger. D’autant plus qu’Ellyana est là-bas. Et toi, tu veux faire entrer le mal dans l’enceinte du château ? Non, Renard, je ne te suis pas.
— C’est risqué, j’en ai parfaitement conscience. Mais nous aurons besoin de la Grande Salle. La première partie du plan est d’emmener les civils dans une autre pièce. Un endroit dans une autre aile du château où ils seront plus en sécurité. Alphonse, Damien, allez chercher Bartholomé et Claire et conduisez tous ceux de la Grande Salle dans la chapelle.
— Ça fait… beaucoup de monde, pour seulement quatre personnes, fit remarquer Damien.
— Si besoin, demandez à la demoiselle Merryweather. Elle a la voix qui porte, conseilla Thelma, un clin d'œil en direction de Kayden.
-§-
Lyra se réveilla en pleine forme. Alors, certes, dehors, la guerre faisait rage, ils étaient parqués dans la Grande Salle depuis deux jours et la peur n’avait pas quitté ses entrailles depuis qu’elle s’était séparée de Kayden. Mais, elle n’avait presque plus mal à sa jambe !
Et puis, entre être enfermée dans une pièce luxueuse, proche des cuisines et avec un médecin pour lui prodiguer des soins, en compagnie de Landry et Madeleine. Et être enfermée dans un cachot sale et humide, rouée de coups, prête à mourir de faim et d’hypothermie. Le choix était vite fait.
Pour la troisième fois de la journée, Lyra massait sa jambe avec un onguent préparé par le fameux médecin. Les autres avaient rejoint l’infirmerie pour venir en aide aux soldats blessés.
Lyra retroussa son nez. La pâte verdâtre avait beau être d’une efficacité presque miraculeuse, l’odeur n’en restait pas moins abominable. Un mélange d’orties bouillies que l’on aurait immergées dans de l’eau marécageuse puis frottées sur le dos d’un crapaud. Madeleine, qui arborait une expression encore plus dégoutée que Lyra, se pinça le nez.
— C’est une infection, maugréa la domestique, sans pour autant s’éloigner de sa demoiselle.
— C’est vrai, admit Lyra entre deux éclats de rire. Mais au moins, ça fonctionne. Je n’ai quasiment plus mal.
— Ravie de l’entendre, mademoiselle Merryweather.
La reine Ellyana, toujours accompagnée de cinq courtisans, s’installa en face de la conteuse. Depuis leur confinement, les deux femmes avaient pris l’habitude de discuter quelques minutes avant qu’Ellyana ne soit appelée pour donner ses ordres ou pour calmer des incivilités. La reine avait suivi la convalescence de Lyra et ne manquait jamais de lui demander des détails sur sa relation avec le Renard. Oui, Ellyana était une véritable commère. Et Lyra jouait de sa curiosité. Elle lui contait son périple à Polaris petit bout par petit bout.
Enfin, au départ, elle ne contait que pour la reine. Puis les courtisans s'étaient intéressés à cette affaire. Et rapidement, c’est tout un groupe qui tendait l’oreille pour suivre les aventures de la conteuse et du Renard doré. Au moins, cela leur faisait passer le temps.
Bien entendu, Lyra ne racontait que les grandes lignes. Ses moments intimes et les révélations de Kayden, tout ça elle les gardait pour elle.
La robe bouffante de la reine mangeait le sofa sur lequel elle s’était assise. Le dos droit et la tête haute, elle n’avait rien perdu de la superbe due à son rang. Et malgré ses boucles emmêlées, les cernes sous ses yeux et le sourire de façade qu’elle m'obligeait à garder, figeant une expression factice sur son visage, elle était toujours aussi belle.
— Alors, après vous être fait repérer par les gardes dans la chambre du duc, qu’avez-vous fait le Renard et toi ? demanda Ellyana, impatiente de connaître la suite de l’histoire.
N’a-t-on pas idée de laisser les spectateurs sur ce genre de suspense, franchement ?
— Il fallait ruser pour ne pas être démasqué, déclara Lyra, reprenant son rôle de conteuse. Surtout, qu’à ce moment, le Renard ne portait pas son masque ! C’est alors que j’ai…
Elle ne put finir sa phrase, Damien et Alphonse, accompagnés de deux autres gardes, venaient d'entrer dans la Grande Salle. Tandis que les gardes, dont Lyra se rappelait vaguement leurs visages, rassemblaient tout le monde au centre de la pièce, Damien et Alphonse accouraient vers la reine.
— Votre Majesté ! s’exclama Alphonse. Nous avons reçu l’ordre de conduire tout le monde à la chapelle. Et ce, immédiatement.
— Je n’aurais jamais la fin de cette histoire, marmonna Ellyana entre ses dents avant de reprendre une certaine constance. Très bien, allons-y.
Pendant qu’Ellyana rejoignait le reste du groupe au centre de la salle, Damien posa une main amicale sur l’épaule de Lyra.
— Ça va aller ta jambe ? s’inquiéta-t-il.
La conteuse tapota la main de son ami et acquiesça.
— Ne t’inquiète pas, je suis guérie. Regarde !
Et pour lui prouver ses dires, elle se leva et fit quelques pas vers la reine.
— Adieu canard boiteux, bonjour cygne gracieux, plaisanta-t-elle.
— Tant mieux, parce qu’on aura sans doute besoin de toi pour nous faire entendre de tout ce monde, expliqua Alphonse.
-§-
Pour une fois, Alphonse se trompait. Lyra n’avait été d’aucune utilité. Avec Ellyana en tête de file, toute la cour l’avait suivi comme des abeilles guidées par leur reine. Sans encombre et avec une rapidité étonnante, la Grande Salle désormais vide, tous s’étaient regroupés dans la chapelle.
Tout le monde ?
— Bon, maintenant, Lyra, si vous nous contiez la suite ? Nous sommes tous impatients de savoir ce que vous avez fait, déclara Ellyana, une fois en sécurité derrière les portes fermées. Lyra ?
Les nobles et les domestiques cherchaient la conteuse, leurs têtes pivotant en l’air comme des suricates effrayés. Encore tendu depuis ce déménagement opportun, ils n’avaient pas desserré les rangs, s’agglutinant les uns derrière les autres.
— Mademoiselle Merryweather ? appela encore une fois Ellyana.
Damien, après avoir également chercher la jeune femme dans l’assemblée, tourna un visage inquiet vers son ami. Alphonse se frappa le front du plat de la main. Pourquoi fallait-il qu’elle fasse encore des siennes ? Suivre le groupe, c’était la seule consigne !
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