3 - Selena
Steven Rogers détestait la guerre autant qu'il l'aimait, aussi honteuse soit cette constatation. Bien sûr, il était profondément pacifiste et jamais il n'aurait l'idée de démarrer un conflit juste pour assouvir ses pulsions malsaines. Malgré tout, lorsqu'il fallait prendre les armes, enfin prendre son bouclier, et partir protéger la veuve et l'orphelin, il se sentait profondément euphorique. Lui, le petit gars asthmatique qui avait appris à encaisser les coups dans les rues de Brooklyn, était aujourd'hui le héros.
Lorsque Bucky s'était engagé dans l'armée, ça avait été pour le blond une humiliation cuisante que d'être recalé. Lui aussi voulait servir son pays, et être utile aux autres. Pour être honnête, il en avait assez d'être un poids mort, une charge pour ses proches. Il en avait assez d'être toujours celui que l'on défend, que l'on protège. Celui dont on doit prendre soin. Alors il n'avait pas vraiment hésiter lorsque le Dr Erskine lui avait présenté la 'solution miracle' : le sérum de super-soldat.
Oh, bien sûr, il avait dû jouer les danseurs pendant quelque temps mais après, après... Il en avait connu des combats. Tellement qu'il en avait oublié certains d'ailleurs. Ah ça, pour oublier...
Il parait que la mémoire est sélective. Il paraît même que l'oubli est un moyen inconscient de se protéger. Alors Steve Rogers, le Captain America portant fièrement les couleurs de son pays, avait oublié. Il avait oublié la capture et l'emprisonnement. Il avait oublié la douleur, les coups, les tests. Il avait oublié les bruits et les odeurs du laboratoire, le cuir des sangles qui lui rongeaient les chairs. Il avait oublié qu'avant les glaces arctiques, il avait un jour séjourner dans les bases d'HYDRA. Et qu'ils avaient trouvé un moyen très simple de récupérer le sérum contenu dans son ADN : un enfant.
oOo
« Bucky ? »
Le brun tourna la tête vers lui et Steve se senti plus rassuré tout à coup. Son meilleur ami était là, alors rien de mal ne pourrait arriver, n'est-ce pas ?
Quittant son ami du regard un instant, il observa son environnement, clignant régulièrement les yeux de façon à y voir un peu moins flou. Les néons et autres lumières qui éclairaient la salle lui donnaient l'impression d'être dans un entrepôt, le genre de lieux vraiment cliché qu'il avait déjà eu l'occasion de visiter (et de détruire) un nombre incalculable de fois depuis qu'il portait le costume de Captain America. Les murs et le sol étaient gris sombre, semblant faits de béton uniquement, et dans la petite cellule où ils étaient tous les quatre entassés il n'y avait rien d'autre que de gros anneaux rouillés, probablement destinés à attacher des chaînes, qui habillaient les murs.
« HYDRA ? »
Bucky acquiesça silencieusement. Il n'y avait pas grand-chose à dire de toute façon : il n'y avait que l'HYDRA pour les piéger de cette façon et se croire suffisamment puissant pour les garder prisonniers sans problèmes. Quelle audace !
Steve en avait relativement marre de cette organisation qui semblait ne jamais vouloir mourir. Il la combattait depuis les années 1940, et même après un sommeil de 70 ans il devait retourner au charbon pour espérer faire tomber les têtes couronnées qui dirigeaient les hommes répartis à travers le monde. Ils semblaient avoir infiltré tous les gouvernements, les grandes entreprises, tous les pouvoirs possibles et imaginables. Et chasser des ombres était loin d'être facile.
« Combien de temps ?
— Au moins vingt-quatre heures. Peut-être plus. Tony a été le premier à se réveiller, ils ont dû augmenter les doses de somnifère pour nous, tu sais, à cause du sérum. »
Steve le remercia d'un geste de la tête. Bien. Ils étaient enfermés depuis au moins une journée entière, ils n'avaient pas été nourris, et ne le seraient sûrement pas avant un moment, et surtout ils n'avaient aucun moyen de contacter le reste de l'équipe. En d'autres termes : ils étaient faibles et mal barrés.
Jetant un regard à Tony qui semblait complètement catatonique, bien loin de l'attitude qu'on attendrait de lui, il soupira et reporta son attention sur Bucky, le seul qui semblait actif avec lui.
« Et lui ? (Lançant un coup de tête vers la quatrième personne gisant dans un coin)
— HYDRA n'aime pas trop que ses agents se fassent la malle. Vu son état, je crois qu'ils se sont chargé de lui faire apprendre la leçon de façon un peu... brutale.
— Je vois... »
Bon. Ils étaient enfermés dans une pièce avec des murs en béton, a priori plusieurs mètres sous terre, drogués, à jeun, avec un génie léthargique et un soldat blessé. Vraiment merveilleux. Mais on est Captain America, ou on ne l'est pas, et Steve n'allait certainement pas se laisser abattre. Ils étaient au cœur du camp ennemi, alors même s'ils devaient y rester, ils feraient en sorte d'y faire le plus de dégâts possibles.
Il allait se lever, faire le tour de la petite cellule et pourquoi pas essayer de voir un peu plus précisément à l'extérieur, lorsqu'il fut retenu par une poigne de fer, littéralement.
« Attends un peu. (Tournant la tête pour le regarder dans les yeux.) Fais-moi confiance, ils nous sortiront de là bien assez tôt. Alors reste assis et ne gaspille pas tes forces.
— Mais je- (la poigne se resserrant comme un étau autour de son poignet. Crachant les dents serrées) Mais qu'est-ce qu'il te prend ?
— Tais-toi et reste assis comme tout le monde. N'attire pas leur attention. (Puis chuchotant, très bas, presque pour lui-même) laisse-les s'en occuper. »
Alors Steve se tut, non sans lancer un regard étrange son camarade et ami. Il avait toute confiance en Bucky, mais ce n'était pas pour autant qu'il appréciait se faire remettre à sa place, ni rester assis sans bouger comme un enfant qu'on aurait puni.
L'oisiveté ne lui réussissait pas, et Steve finit par sombrer dans un demi-sommeil dont il ne s'éveilla que plusieurs heures plus tard, dans la nuit, alors qu'il ne restait pour éclairage que les veilleuses de sécurité. Une jeune femme blonde faisait dos à leur cellule, alors qu'elle semblait communiquer avec quelqu'un qui restait hors de vue.
Se souvenant des paroles de son ami, Steve ne bougea pas, et se contenta d'observer le plus discrètement possible, tachant de comprendre.
« Combien de temps encore ? »
Steve n'entendit pas la réponse mais ne s'en formalisa pas plus que ça puisqu'elle sembla satisfaire la jeune femme qui se tourna vers eux. Elle balaya la cellule du regard puis un grand sourire se dessina sur son visage.
« Bien, messieurs, c'est un honneur de vous rencontrer ! Bucky, toujours ravie de te revoir, surtout quand tu ressembles pas à un zombie. B– (s'arrêtant à cause d'un bruit sourd, jurant entre ses dents) Fais chier, Morgan est même pas là ! (Se retournant vers la cellule, un sourire crispé) Bon, je vais devoir vous quitter plus tôt que prévu, mais pas grave. Bucky, on fait comme on a dit. Il y a de l'eau et deux-trois trucs à manger derrière Brock. Juste, gardez-les cachés et jouez la comédie, vous êtes censé être super faibles, super maltraités. (Un autre bruit sourd, puis des échos dans le couloir.) Je dois y allez, faites attention et restez discrets. Faites nous confiance.
— Selena ! »
La jeune femme se détourna, hocha sèchement la tête, et disparue discrètement dans les ombres, comme si elle n'avait jamais été présente. Steve avait les yeux écarquillés, il ne comprenait rien du tout. Il se tourna vers Bucky qui se contenta de secouer la tête l'air de dire "Je t'expliquerai plus tard".
Quand des agents d'HYDRA arrivèrent dans la pièce en parlant une langue qu'il ne comprenait pas, Steve décida de faire profil bas et ferma les yeux. Dans le noir lui apparut le visage de la jeune fille. Ses cheveux blonds, ses yeux bleus, son sourire. Son sourire si familier. Et peu avant que sa conscience ne s'éteigne lui vint une dernière pensée. Étrange pensée. S'il avait eu une fille, elle lui aurait probablement ressemblé, à cette Selena.
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