Cauchemar

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Sophie se dirigea vers le bar pour se servir un rafraîchissement après avoir travaillé une bonne heure dans le jardin. En se penchant pour saisir un verre dans le buffet, elle perçut son reflet trouble dans la vitre opaque. "J'ai une drôle de tête", se dit-elle distraitement.

Une heure après, elle se rendit dans sa salle de bains, bien décidée à se détendre dans sa baignoire remplie de bain moussant. Elle manqua de s’étouffer lorsqu’elle vit son visage dans le miroir.

Ses cheveux noirs, d’ordinaire ondulés, étaient lisses comme si elle sortait de chez le coiffeur. Son menton était plus long, volontaire, ses yeux plus grands et durs. Et surtout, sa bouche ! Sa bouche ourlée de lèvres pulpeuses, toujours douce même dans les moments les plus difficiles, n’était à cet instant qu’un pli mince et menaçant. Elle ne se reconnaissait plus. Elle s'examina sous toutes les coutures. Son corps, lui n’avait pas changé, mais son visage ! Ce n’était pas le sien !

Qu’était-il arrivé ? Était-elle sous l’effet d’une quelconque mutation ? Ou bien le jouet d’une hallucination ? Son pouls s’accéléra. Qu’avait-elle donc ingéré aujourd’hui ? Elle se remémora son déjeuner : son sempiternel sandwich au thon.

Elle était anéantie, bouleversée. Elle s’observa encore une fois dans la glace, c’était toujours cet autre visage. Elle ébouriffa ses cheveux, ils reprirent aussitôt leur forme lisse. Elle ferma les yeux et compta jusqu’à dix avant de les rouvrir. Elle fit une grimace : en vain, toujours ce reflet !

Affolée, elle prit son sac et sa veste et se rua vers la porte d’entrée de son appartement. C’était insensé, il fallait qu’elle sorte, qu’elle prenne l’air. Elle allait étouffer de peur !

Dehors, elle fut assaillie par les bruits de la circulation, encore dense en cette fin d’après-midi. Elle se mêla à la foule, n’osant lever ses yeux et déambula ainsi, la tête lourde.

Ses pas la conduisirent devant une boutique de prêt-à-porter qu’elle connaissait et qu’elle évitait car les vêtements étaient certes superbes, mais trop chers pour sa « bourse-de-femme-célibataire-ayant-un-petit-salaire ». Sans réfléchir, comme attirée par un aimant, elle entra et se dirigea vers le rayon des robes, les inspectant une à une jusqu’à en extirper une noire. Puis une autre, rouge celle-ci et encore une autre, celle-là bleue.

– Mais qu’est-ce que je fais ? Je n’ai même pas l’argent ! se dit-elle. 

T’inquiète !

Elle sursauta et regarda autour d'elle : personne !

– Je rêve ou quoi ?

Non, tu ne rêves pas ! T'inquiète, je te dis !

Une autre voix en elle lui répondait ! Elle fut prise de panique et se mit à trembler. 

Dans un état second, elle s'approcha ensuite des pantalons, en choisit deux, puis se dirigea vers la caisse.

Elle comprit soudain que c'était l'autre qui lui dictait ces gestes -son autre personnage-, et elle, elle était impuissante. Elle était semblable au robot qui obéissait à la volonté de son propriétaire, et en l'occurrence, c'était son "autre" qui lui dictait sa conduite. Elle faillit crier d'épouvante dans le magasin.

Elle remit les vêtements à la caissière et lui tendit sa carte bleue.

– Dépêchez-vous, j’ai un rendez-vous urgent !

Sophie, si réservée et si timide, hoqueta. Elle voulut parler, rectifier, mais ne put émettre un son. C'était pourtant sa voix, un peu rauque, qui parlait et qui disait tout autre chose.

– Je reviendrai sûrement demain, j’ai vu que vous aviez de magnifiques pulls !

– Avec plaisir, Mademoiselle ! minauda la caissière.

– Alors, à demain !

Sophie se retrouva dans la rue, hébétée, les bras encombrés de paquets. Elle pensa :

– Mais qu’as-tu fait ?

– Tu n’es pas contente ? Tu ne désirais pas ces vêtements ?

– Non ! Je n’ai pas les moyens, tu le sais bien ! Comment vais-je pouvoir manger ?

– Eh bien, tu te feras inviter ! Tu veux finir ta vie seule ? Il est temps de te prendre en main et de profiter un peu des opportunités de la vie ! Tu es bien trop gentille ! Qu’attends-tu donc pour écraser tout ce qui te gêne sur ton passage ?

– Mais qui es-tu toi pour décider ? Sors de ma vie ! Tu ne vois donc pas que je ne veux pas de toi ! Tu es trop…. moche !

– C’est ce que tu crois, mais tu verras, tu changeras d’avis…

La jeune femme sentit soudain une douleur fulgurante lui traverser le crâne et le souffle court, elle s'effondra sur le sol.

*******

– Mademoiselle ! Enfin ! Vous vous réveillez ! Vous nous avez fait une de ces peurs ! J’étais sur le point de composer le numéro des Urgences !

– Où suis-je donc ?

– Vous vous êtes évanouie devant le magasin en sortant, dit la vendeuse. Vous allez mieux ?

– Oui…

Sophie se redressa, porta la main à sa tête et soudain, la mémoire lui revint. Elle dit d’une voix tremblante :

– Avez-vous un miroir ?

– Mais bien sûr, ma petite ! Tenez, juste derrière vous !

La jeune femme s’y précipita en pensant : « Ce n’était qu’un rêve que j’ai fait pendant que j’étais évanouie, ce n’était qu’un rêve…. »

Elle se posta devant le miroir, anticipant déjà son soulagement : devant elle, son autre la fixait de ses grands yeux moqueurs et méchants, un sourire sardonique au coin des lèvres.

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