Chapitre 2 (5)

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Peu à peu, le bruit de la ville laissa place à celui du chant des oiseaux de nuit, pas perturbés pour un sou des trous qui se créaient dans le continent. Ils chantaient toujours aussi fort, et même avec plus d’acuité. Elias frissonna : il avait failli y passer. Mais où l’emmenait Isaac ?

— Mes parents seront au port.

— Je sais.

Elias gigota, le sang commençait à lui monter à la tête. Isaac le redressa et le cala sur ses épaules, une jambe de part et d’autre de son cou. Il y avait peu de cheveux auquel se tenir, mais au moins se trouvait-il à l’endroit dans un monde qui perdait la tête.

— Ou sinon, à l’ouest.

— Je sais. D’abord la forêt pour se mettre à l’abri.

— On va bien vers l’ouest ?

— J’préférais quand tu te pissais de trouille, au moins tu m’faisais confiance.

Soufflé. Elias se renfrogna. Certes, il avait crié à s’en casser les mâchoires mais il était aveugle après tout. N’importe qui à sa place aurait fait de même.

—Si j’voyais, ça serait différent, lâcha-t-il d’un air morne.

Plus que jamais, sa visibilité lui manquait. Il aurait aimé pouvoir se retourner et voir ce qu’il restait de Kyrna, sa ville natale. Il aurait aimé pouvoir observer la lune jouer dans les branchages. Ou même juste marcher par lui-même au lieu d’être trimballé comme un vulgaire sac de provisions.

—Voir ou pas, ça ne change rien à la peur, gamin.

—J’ai treize ans.

—Et autant d’expérience qu’à dix.

Il se sentit soudain soulevé dans les airs et ses pieds retrouvèrent la terre ferme.

—S’rait temps de régler ça. Marche tout seul, j’suis pas un fersang.

Entre aimer le faire et s’y voir obligé… Elias ne s’y attendait pas. Ses genoux ployèrent sous le choc et il dût commencer par s’essuyer les mains des feuilles humides sur son pantalon. Les pas de Isaac reprirent aussitôt, indifférent à son sort.

—Hé !

Son oncle impitoyable ne répondit pas. Elias tendit les mains devant lui, tout plutôt que de se trouver à nouveau seul dans un lieu inconnu, aux prises de n’importe quel brigand.

—Si j’étais ton père, je t’aurais d’jà balancé au milieu de cette forêt d’puis longtemps.

Qu’il continue de parler, au moins il savait vers où marcher. Les pas avaient tendance à se confondre avec le bruit de la vie autour de lui. Ses mains le stoppèrent de justesse devant un tronc. Il souffla de soulagement et le contourna. Pour mieux s’emmêler dans une racine et s’étaler au sol.

—Turkin !

—Surveille ton langage, morveux.

La voix d’Isaac continuait de s’éloigner. Vite. Tout plutôt que de mourir dans ses bois. Il ne prit même pas le temps de relever qu’il disait certainement plus de gros mots que lui. Il accéléra le mouvement, pour mieux tomber encore.

—Mais je n’vois rien ! s’agaça-t-il.

—Ouais, et ça va être comme ça toute ta vie, gamin.

Merci de lui rappeler qu’il allait être un handicap pour toujours. La frustration le faisait enrager. Il en avait assez.

—C’est pas l’moment de faire des expériences ! Il faut retrouver mes parents !

Eux, au-moins, ne le forceraient pas à marcher à l’aveuglette dans une forêt remplie de pièges.

—Au contraire, ça n’a jamais été meilleur moment.

Elias n’osait plus avancer. Il allait encore se faire mal. Ses genoux criaient déjà grâce et ses mains picotaient. Il n’en était pas sûr, mais il avait l’impression de saigner. Un liquide chaud recouvrait sa peau.

—Fais-toi confiance au lieu de râler. Si tu veux manger c’soir, va bien falloir m’suivre.

Elias le maudit de tous les noms en pensée. C’était facile à dire, quand on voyait ! Il ne se rendait pas compte de ce qu’était devenu sa vie. Il avait dû abandonner ses études dans l’Assistanat, perdu tous ses amis qui n’avaient pas la patience de l’attendre et… un frisson glaça son échine. Il avait failli mourir rien qu’en traversant la rue, parce qu’il ne voyait pas les charrettes arriver. Alors, oui, il avait abandonné. Mais il commençait à le regretter amèrement. Même si bon, qui aurait-pu deviner que sa maison allait disparaître du jour au lendemain ?

Elias ne sentait plus ses jambes, ni ses paumes, ni ses genoux. Assis sur un rocher trop pointu à son goût, un animal rôtissait sur le feu. Le craquètement des braises claquaient de temps à autre. La chaleur était bienvenue. Ses doigts transis par l’humidité ambiante n’en pouvaient plus. Mais garder les bras tendus pour les réchauffer était au-dessus de ses forces. Heureusement, Isaac avait l’air de savoir se débrouiller en pleine nature.

—Comment tu sais tout ça ?

—Tout ça quoi ?

—Vivre dans la forêt.

—J’étais chevalier sur Terre.

La Terre. L’Autre-Monde comme on l’appelait aussi. Les portails pullulaient sur Nelor, il était facile de traverser pour s’y rendre. Plus facile de venir sur Nelor que d’arriver sur Terre. Ce terme de chevalier lui était inconnu.

—Soldat ?

—Guerrier.

—Comme les guerriers wa’s ?

Même si Elias avait du mal à l’imaginer égaler les statures de ces guerriers qui gardaient les portails de Nelor pour éviter tout danger. Isaac grommela son assentiment et tourna la broche dans un cliquètement métallique. Elias n’avait aucune idée de ce qui était en train de griller, mais l’odeur d’animal empestait. Il ne mangerait pas ça, pour rien au monde.

Le silence s’éternisa entre eux, Isaac était loin d’être un homme bavard et Elias était trop occupé à écouter les bois. Chaque glissement de feuille était analysé, chaque déplacement dans les broussailles, chaque craquement de branches. Il guettait son environnement avec acuité de peur qu’un animal féroce en surgisse, ou pire un homme.

—Détends-toi.

Elias manqua sursauter en entendant sa grosse voix. L’odeur d’animal se déplaça en hauteur et le fumet vint chatouiller ses narines. Son ventre gargouilla. Tant pis pour la nature, il avait faim. Isaac farfouillait dans du matériel. C’était d’un agaçant de ne pas pouvoir suivre ses gestes. Il devait s’en remettre à ses autres sens, aussi empotés soient-ils. Soudain, un bol granuleux effleura le bout de son nez et il s’en saisit. Il attendit un long moment des couverts mais au vu des bruits de déglutition d’Isaac, il pouvait toujours courir. Du bout des doigts, il arracha un morceau de chair et dut bien reconnaître sa tendresse. Comment avait-il fait pour le cuire aussi bien avec une installation aussi rudimentaire ? En équilibre sur son caillou pointu, il avala son repas plus vite qu’il ne l’aurait cru.

Tout à coup, quelque chose hurla.

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