Chapitre 3 (2)

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La marche reprit sous le bruit de la pluie qui gouttait à travers les feuillages. L’humidité perçait ses chaussures de toiles et Elias avait l’impression de ne même plus se souvenir ce que ça faisait de vivre sans avoir les doigts gelés. Son bâton n’était pas aussi efficace qu’il l’aurait cru. Il vibrait pour tout et n’importe quoi, bien trop sensible pour lui être vraiment utile. Il détectait n’importe quel mouvement de feuille ou même quand le souffle du vent était trop fort. Il avait surchargé l’outil de peur qui tremblait littéralement à chaque impact. Surtout, sa petite prouesse avait bien entamé ses réserves d’énergie et il peinait à suivre l’allure d’Isaac. Maël ne l’aidait pas à se focaliser sur les bruits de pas, il ne cessait de courir dans tous les sens comme un jeune chiot, trop inconscient du danger qui les guettait : le sol pouvait s’effondrer à tout moment.

Encombré par son bâton qu’il finit par caler sous son bras, mains tendues en avant, Elias peinait à garder un rythme stable. Bientôt il fut essoufflé comme s’il était en train de courir, alors qu’il se contentait de marcher. Enfin, marcher. Tomber serait plus exact au vu du nombre de chutes que son corps avait déjà dû encaisser depuis leur dernière pause.

Soudain, les pas d’Isaac stoppèrent. Elias cessa de se relever, profitant de cette pause bienvenue.

— Relève-toi. Le mioche, viens là.

— Pourquoi ? questionna aussitôt Maël en obéissant tout de même.

— Chut.

Elias se redressa en se servant de son bâton tremblotant en appui. Ce calme n’était pas normal. Où était passé les oiseaux qui chantaient à tue-tête ? Les branches craquaient. Mais pas autour d’eux, non, ça venait…

— En haut !

Pris d’une intuition subite, il poussa la silhouette de Maël vers la gauche, juste avant que quelqu’un n’écrase le tapis de feuilles de ses lourdes bottes. Ou sandales. Son bâton vibra férocement entre ses doigts. Sa peur transpirait par tous les pores. Il était incapable de savoir ce qui était en train de se dérouler. Isaac se battait au vu des râles qu’il émettait. Maël s’était accroché à lui férocement. Sa silhouette. Il distinguait sa silhouette noire, tremblotante à chacun des battements de cœur qui palpitaient dans la poitrine de l’enfant. L’assaillant n’avait pas l’air de faire le poids, son souffle s’accélérait. Non, ils…

— Ils sont deux ! Isaac !

Un autre évoluait en hauteur, sans se soucier de dissimuler ses bruits de pas dans les branches. Un bruit sourd retentit à l’atterrissage. Avait-il réussi à assommer Isaac ? Non c’était impossible.

— Maël, dis-moi ce qu’il se passe, chuchota-t-il.

Mais le garçon était trop terrorisé pour pouvoir émettre le moindre son. Il ne pouvait rester là à attendre qu’ils se battent, sans savoir s’ils devaient fuir ou venir au secours de son oncle.

— Maël ! Qui gagne ?

— I…Isaac.

Ce dernier lâchait des jurons à n’en plus finir. Une odeu de chair brûlée parvint à ses narines. Qui était en train de jouer avec le feu ?

Soudain, un autre bruit attira son attention. Bien loin des râles d’Isaac… Non c’était dans son dos ! Il y avait un troisième assaillant ! Quelqu’un s’aggripa à lui, l’écartant de Maël qui se mit à hurler de terreur.

—C'est quel gosse ? cria la femme qui le tenait.

— J'en sais rien turpink ! On avait pas parlé d'une montagne de muscle avec eux !

— Fermez là connards ! rugit Isaac.

Un gémissement fut la seule réponse de celui auquel la femme venait de parler. Elias sentait ses mains trembler. Elle avait peur d’être la prochaine. Il ne put s’empêcher de sourire. Ils étaient finis.

Soudain, une sensation froide et glaciale se positionna sur sa gorge. Un couteau.

—Ne bougez-plus, menaça la femme. Toi lève-toi et montre-moi tes yeux.

Ses yeux ? Mais il était aveugle ? Cependant, Elias obéit, se redressant et montrant son visage à la femme qui lui tenait le bras. Une odeur âcre et humide se dégageait de l’haleine qui l’observa de près.

—Bizarre…

De l’autre côté du feu, des vêtements bougèrent. Une masse lourde tomba au sol sur un tapis de feuille. Les pas lourds de Isaac contournèrent le feu de camp. Elias devait occuper la femme juste assez longtemps avant qu’elle ne se rende compte qu’il était aveugle et se tourne vers Maël. Une seule idée lui vint.

Il arqua le menton et frappa de sa tête, de toutes ses forces vers l’avant. Un craquement et un choc sourd remontèrent dans son front, tandis que le couteau laissait une entaille sur sa gorge. Heureusement Isaac eut tôt fait de venir à la rescousse et Elias suivit le reste de ses râles jusqu’à ce que le calme revienne.

—Tu les as tués ?

—Non.

Après un moment de vide, Isaac le conduisit gentiment à une bûche et lui fourra Maël dans les bras. Le gamin frissonnait toujours : de froid ou de terreur, c’était difficile à dire.

—Ne bougez pas, ordonna Isaac avant de s’éloigner.

Elias chercha de son ouïe à distinguer la scène qui s’était joué. Il percevait les respirations régulières de leurs assaillants. Il espérait qu’Isaac avait songé à les attacher. Maël bougea contre lui et s’apaisa. Il s’était endormi. L’un des assaillants avait une respiration plus irrégulière. Isaac revint et posa un bol d’eau dont le tintement parvint jusqu’à Elias.

—Celui-là est réveillé, indiqua Elias à Isaac en pointant du doigt le fautif.

Isaac grogna un remerciement et balança de l’eau sur le visage qui aspira de l’air, se trahissant par la même occasion.

—Que veux-tu ? commença Isaac.

Simple et efficace. Son oncle ne s’embarrassait même pas de lui demander son prénom.

— Que veux-tu ? répéta Isaac avec plus de force.

Silence. L’attaquant ne répondait toujours pas. Une claque jaillit. Maël gigota contre lui mais repris vite sa respiration profonde.

— Réponds, ou tu mourras.

— Si je parle, mon chef me réservera pire que la mort.

Une voix de femme. Assurée, inflexible. Elle savait déjà ce qui l’attendait.

— Parle et ces baies de gogi sont à toi.

Seuls les spizellas pouvaient s’en nourrir. Ces oiseaux blancs en raffolaient. Pour les autres espèces, c’était un profond sommeil qui vous prenait avant de vous conduire directement vers la mort. Personne ne s’en était jamais réveillé. Les plus anciens partaient ainsi quand la douleur se faisait trop forte et qu’ils estimaient que la vie n’avait plus rien à leur offrir. Un soupir fut la première réponse obtenue par Isaac.

— Nous cherchons la source.

— La source ?

— Celui qui détient la source peut contrôler la magie. La gagner, ou la perdre.

Isaac éclata de rire. Elias comprenait la réaction de son oncle. Ils avaient affaire à un groupuscule opaque. Qui voudrait contrôler l’essence même du monde ? Contrôler la magie signifier vouloir contrôler les émotions, la réaction la plus spontanée des humains. C’était insencé. Le mathiak permettait déjà d’en extraire du pouvoir, qui en voudrait encore plus ? Leur chef était dangereux.

— Contrôler l’essence même de notre monde… la bonne blague. Et ta source est un gosse ?

— Oui.

Isaac rit de plus belle.

— Quel est le fou qui croit à ce genre de mythe ?

— Pas un mythe. Une légende oubliée.

— Quel fou ?

— Quelqu’un de puissant, qui commande aux éléments.

Isaac reprit son air.

— Bien, j’en sais assez. Tiens.

Isaac fourfailla dans son sac et tendit les baies de gogi à la femme. Leur parfum entêtant monta aussitôt aux narines d’Elias. Son oncle se baladait avec un poison mortel sur lui. Elias commençait à croire qu’il ne le connaissait pas si bien que cela tout compte fait.

— Il y en a assez pour tes autres camarades.

Isaac s’approcha d’eux et extirpa Maël des bras d’Elias. Il posa sa main libre sur son épaule et le poussa doucement vers l’avant, lui indiquant d’avancer. Ils rassemblèrent leur pauvre matériel et reprirent leur marche.

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