Un céleste qui vous veut du bien
Hier soir, l’être qu’elle aimait lui avait ouvert son cœur, lui déclara sa flamme, lui permit enfin de vivre ses émotions. Ils passèrent une soirée douce ensemble.
Cela faisait des années qu’ils se connaissaient, mais jamais ils n’avaient osé dépasser la ligne.
Ce soir-là pourtant, Victor, le fit, ayant déjà beaucoup souffert, elle s’assura de ses sentiments, il la rassura, lui confirma dans ses actes, dans ses gestes, dans ses regards, dans ses mots, dans ses intentions.
Puis ils partagèrent une délicate nuit dans une douce étreinte, front contre front.
Il lui dit : « Restons comme ça un moment », en la resserrant contre lui.
— Merci d’exister, lui dit-elle.
— Merci d’être toi, lui répondit-il.
Puis ils s’endormirent.
Le matin, ils restèrent encore l’un avec l’autre, mais la faim se faisait sentir. Ils décidèrent de se séparer un instant pour un brin de toilette et se retrouver plus tard pour le petit-déjeuner.
Solwena, très enthousiaste, le cœur enfin allégé de cette réciprocité révélée, si longtemps inavouée, prit le temps de se préparer avec soin. Il devait revenir la chercher dans environ une heure. Il s’occuperait du repas avec le cuisinier.
Elle ne fit pas attention à l’heure à laquelle il était parti, mais en estimant le temps qu’elle avait pris pour se préparer, elle se dit qu’il devait rester un bon quart d’heure.
Les minutes passèrent. Rien.
Elle se dit qu’il avait sans doute pris plus de temps que prévu. Les aiguilles continuaient à tourner, et alors le doute commença à s’immiscer.
Elle descendit, rencontra un employé de maison, lui demanda ce qui était prévu au petit-déjeuner, pensant que peut-être il y était. Mais non.
Il lui énonça les plats prévus ; elle en sélectionna quelques-uns, puis demanda à être servie dehors.
Elle se retrouva devant le manoir, devant le vide qui se créait en elle. L’espoir envolé.
Elle comprit : il ne viendrait pas.
Son corps était froid, malgré la douce chaleur du soleil sur sa peau.
Puis quelques larmes commencèrent à couler.
Elle ne pouvait pas être vue comme ça.
Alors elle marcha, en sanglots.
La faim l’avait quittée, son cœur était brisé, glacé.
Elle si heureuse deux heures plus tôt, mais là… Alors elle pleura. Elle ne tenait plus debout, voulut s’asseoir au sol.
Mais, surprise : son corps ne trouva pas la dureté de la terre, mais le plus accueillant, doux et enveloppant nuage. Il l’enroba comme on berce un enfant, avec tendresse et douceur.
Et le nuage s’envola.
***
Il s’arrêta à une bonne hauteur. La vue était sublime. Quelqu’un était entrain de se matérialiser. Elle resta assise sur le nuage, mais celui-ci s’élargit pour faire une place à cet être céleste.
— Solwena, bienvenue. Je me nomme Aurel. Tu te demandes sûrement ce qui se passe. Quand tu auras repris tes esprits, je t’expliquerai.
Il prononça ces mots dans le plus grand calme, comme si rien que sa voix et sa résonance rendaient tout serein. Solwena, encore en larmes, mais ne pleurant plus, face au choc de ce qui venait de lui arriver, était complètement abasourdie. Elle prit un moment pour réfléchir. Le choc du cœur brisé l’avait menée à la folie ?
— Non, répondit Aurel, tout ceci est bien réel. Ta santé mentale est intacte. J’ai fait porter ce nuage à toi.
Solwena resta sans voix. Donc il pouvait lire ses pensées. Que ce soit un déni ou non redevint secondaire. Elle oublia ce phénomène étrange et se remit à pleurer. Le nuage se resserra sur elle, comme pour la consoler.
— Solwena, confia Aurel, ce que tu viens de vivre est terrible. Et sache que l’homme que tu aimais t’aimait sincèrement aussi. Mais… il n’était qu’une création d’un être aux ambitions bienveillantes, qui ne comprenait pas la profondeur de tes blessures passées.
La colère, l’incompréhension dépassèrent la tristesse. Et tout en pleurant, elle tenta de s’exprimer :
— Je ne comprends pas. Ce que tu viens de dire n’a aucun sens. Je le connaissais depuis des années. Nous nous aimions, mais nous nous respections trop pour aller au-delà. Et hier, il m’a tout offert, il me l’a dit. Nous l’avons vécu. Et tu me dis que ce n'était qu'un mirage ?
— Oui. L’être qui l’a créé voulait ton bien. Maladroitement, je l’admets. Il voulait te rendre forte. Te montrer que tu n’avais besoin de personne. Que tu étais entière, et que tu brilles d’une lumière dont tu n’as pas idée.
— C’est d’une cruauté abjecte, du sadisme !
— Je te l’accorde. Cet être a mis ce plan à exécution. Il n’a pas d’émotion. Il pense en logique, en efficacité. Il a calculé que ce serait la meilleure chose pour toi. Il s’est complètement mépris. Je pourrais te dire qu’il regrette, mais ce serait faux : il ne ressens rien.
— Donc je souffre parce qu’un imbécile sans cœur s’est dit : “Et si on lui donnait tout, qu’on la baignait d’amour et de bien-être, et que l’instant d’après on lui reprenait ?… C’est sûr, ça va l’aider ! “ Il ne serait donc jamais revenu… Il n’était qu’une création ?
— Oui.
La colère dépassa la tristesse. Elle réalisa que l’amour de Victor était sincère — ce qui calma son cœur — mais qu’un être anonyme avait fait une erreur de calcul. Et tout brisé. Pour la rendre forte. Pour la faire briller.
— Mais pour qui se prend-il ? s’exclama-t-elle. De quel droit peut-on ainsi jouer avec les sentiments des gens ?
— En réalité, il en avait le droit. C’était son rôle : te faire briller. Grosse erreur. Son manque de discernement t’a brisée. C’est pourquoi je suis intervenu.
Malgré toutes les émotions qui faisaient rage en elle, les mots d’Aurel l’apaisaient comme un sort.
— Pourquoi m’as-tu fait venir ici ? Qu’es-tu ?
— Je suis un des souverains de ce nuage. Il y en a d’autres... Je t’ai fait venir pour t’offrir la vérité, et pour t’offrir un lieu où tu pourras te sentir soutenue, écoutée sans jugement, et adoucir tes sentiments. Car oui, tu es faite pour briller. Comme tous les humains, d’ailleurs. Mais disons que ton Liorâtre, éveilleur de lumière, est je le crains deviant. Ce nuage est donc à ta disposition. Tu peux l’appeler quand tu le souhaites. Ce ne sera pas toujours moi qui te recevrai, mais tu es libre de quitter les lieux quand il te chante. Il te suffit de demander au nuage de te ramener.
“Je sais que ce n’est qu’une faible consolation face à l’amour que tu attendais. Mais c’est la seule chose que je puisse faire : un nuage velouté, une écoute, une épaule, un soutien.
Solwena écouta. Plus il parlait, plus elle sentait son corps, son cœur, se détendre. Mais c’était tout de même frustrant de ne pouvoir exprimer ce qu’elle ressentait. Alors elle dit au revoir à Aurel et demanda à descendre. Elle ne voulait pas être calme.
Elle voulait crier, pleurer, s’effondrer.
***
Retournant sur Terre, réalisant ce qui venait de se passer, elle prit le temps de pleurer Victor.
Il était innocent. Il était réel. Honnête. Elle ne s’était pas fait avoir par lui, mais par un esprit dérangé. Cela la consola.
Elle exprima à quel point elle était outrée d’un tel comportement. De l’injustice d’avoir été ainsi manipulée. De cette souffrance que le soi-disant Liorâtre ne pouvait même pas comprendre, puisqu’il était dénué d’émotion.
Elle calma sa rage. Il ne méritait pas son énergie.
Mais le souvenir de l’apaisement du nuage resta ancré en elle. Elle dormit profondément ce soir-là, épuisée par les larmes, la colère et ce soutien nouveau.
Le lendemain matin, elle prit conscience que l’existence même du nuage, à lui seul, était déjà un soutien. Elle l’appela donc, pour lui partager ses pensées. Cette fois, ce n’était pas Aurel, mais Aeris qui se présenta à elle. Solwena l’informa alors qu’elle ne viendrait peut-être pas souvent. Elle le remercia, lui et l’existence du nuage.
***
Pourtant, le lendemain, elle avait à réfléchir à quelque chose. Ne trouvant pas d’interlocuteur, elle vit le nuage se manifester devant elle.
Aurel l’accueillit à nouveau. Ils prirent le temps de réfléchir, de trouver des solutions. Puis la discussion s’enchaîna. C’était un plaisir de partager avec lui. Elle sentit comme une alchimie inattendue. Rien ne se passa, mais les regards d’Aurel semblaient d’une certaine intensité. Ils s’approchaient peu à peu, subtilement. Solwena prit congé, mais nota qu’effectivement, ce nuage et la présence d’Aurel étaient bénéfiques.
Le fait de savoir que Victor était un mirage l’aida à faire son deuil plus rapidement qu’elle ne l’imaginait. Elle visita plusieurs fois le nuage. C’était toujours Aurel qui l’accueillait. Ils devinrent proches. Tendres l’un envers l’autre. Rien de plus. Mais lorsqu’il l’étreignait, bien qu’elle soit déjà sur un nuage, il lui donnait le plus doux des réconforts.
***
Un jour, elle appela le nuage, mais ne fut pas accueillie par Aurel. Un être, à peine visible, se fondant dans le ciel, était là. Elle était montée car elle avait passé une journée chargée d’émotions fortes et voulait en parler.
— Bonjour, dit-elle. Tu es un autre souverain de ce nuage, qui es-tu ?
— On ne me nomme pas, répondit-il.
Il fit alors un genre de spectacle, se mêlant au ciel, faisant apparaître des petites étoiles passant de tous les côtés autour de Solwena. Cela la fit rire. Elle pensa à un illusionniste. Puis, il lui offrit une petite étoile. Elle se posa sur sa main.
— Que penses-tu de cette étoile ? l’interrogea-t-il.
— Que c’est une petite merveille, dit-elle, en souriant à l’étoile.
Celle-ci se mit à briller un peu plus.
— Qu’est-ce qui lui permet de briller, selon toi ?
— De la reconnaître, de l’aimer.
Elle lui fit un bisou estimaux.
— N’est-ce pas que tu sais que tu es une magnifique petite étoile ? reprit-elle attendrie.
L’étoile frémit, commença à danser avec les mains de Solwena. Puis, elle accompagna ses bras dans des mouvements ondulants et gracieux, en parfaite harmonie l’une avec l’autre.
Plus elle s’amusait avec l’étoile, plus cet être flou l’agaçait.
Il lui parlait comme s’il savait ce dont elle avait besoin. Plusieurs fois, elle lui répondit qu’il se trompait, mais il insistait. Il voulait l’aider à se découvrir en lui disant ce qu’elle était. Elle répondit qu’il ferait mieux de poser des questions plutôt que de faire l’omniscient. Et que lorsque l’on veut découvrir quelqu’un, on doit aussi se laisser découvrir. Les choses ne vont pas à sens unique.
Il ne faisait que tourner autour d’elle. Elle sentait ses mouvements invisibles. Puis, il lui reprit l’étoile. Elle perdit alors la lumière que Solwena lui avait insufflée.
— Pourquoi est-ce toi qui est apparu ce soir ?
— Parce que je suis celui qui peut te montrer le chemin vers la lumière.
— En me disant qui je suis, ce que je dois accepter d’être ?
Elle se leva, s’approcha du rebord du nuage. Elle avait toujours aimé être au bord des choses, au point où un rien pouvait tout changer.
— Cette étoile t’appartient si tu la souhaites.
Solwena sourit avec tendresse à l’étoile. Elle regarda la vue sublime qui s’offrait devant elle. Le crépuscule, orangé, doré, rosé. Le soleil se reflétant sur certains des nuages tels des éclats d’or. Aurel voulait dire or en latin.
— Où est Aurel ? demanda-t-elle.
— Aurel ne reviendra pas. Tu n’as plus besoin de lui, tu es forte. Regarde comment l’étoile a réagi à ton contact. Tu es ta propre étoile, Solwena.
Solwena respira profondément.
— Tu es mon Liorâtre, n’est-ce pas ?
— Oui, en effet, je le suis. Je ne veux que te voir briller. Je peux voir la puissance de ta lumière. Elle est divine, je ferai tout pour que tu incarnes cette étoile.
— Aurel était une création de toi comme Victor ?
— Oui, ne vois-tu pas ? Comme tu t’es développée sans Victor, tu oublieras vite Aurel.
— Et je serai une étoile ?
— Oui, tu l’es déjà. Brille, Solwena !
Elle se retourna vers lui, toujours au bord du nuage, regarda l’étoile, s’imprégnant de chaque seconde passé avec elle, puis sourit.
— Je préfère les rejoindre.
Sur ces mots, elle ouvrit les bras et s’élança en arrière.
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