- Envoyez ça à la scientifique. Et dites leur que c'est urgent! Ordonna Lemoine à l'inspecteur Vallée tandis qu'il lui tendait le scellé qui contenait la missive de L'Écorcheur.

- C'est inutile, ils ne trouveront rien.

Les trois hommes se tournèrent vers Amélia.
Après la découverte de la lettre, elle avait appelé Lemoine, qui était arrivé au bout de dix minutes, accompagné du lieutenant Bourgeaus et de l'inspecteur Vallée.

- Ça vaut le coup d'essayer. Et arrêtes d'écrire sur ce mur! S'énerva le policier.

Amélia se tourna vers lui. Elle était assise en tailleur sur son lit et jouait avec un marqueur entre ses doigts.
Pendant que les trois policiers discutaient de la marche à suivre, elle avait accrochée les photos des cinq victimes sur le mur attenant à son lit et avait notée dessous les principaux aspects de la victimologie et du profil qu'elle avait dressée.
Elle avait besoin d'avoir une vue d'ensemble du dossier, de reprendre l'enquête à zéro, pour comprendre ce qu'elle avait ratée. L'Écorcheur savait qui elle était et voulait visiblement jouer à un jeu malsain avec elle, et elle devait comprendre pourquoi.

- Il n'a jamais laisser aucune trace exploitable. Pas d'ADN quelconque, pas d'empreintes, rien qui puisse nous mener à lui. Et tu penses qu'il aurait commis une erreur maintenant? Non, ce type est bien plus malin que ce qu'on pensait. Et ce n'est pas mon mur, ajouta-t-elle en haussant les épaules.

- Agent Downey, réfléchissez, quelqu'un aurait-il pu déposer cette lettre dans vos affaires? Avez-vous un suspect en particulier? L'interrogea Bourgeaus.

Amélia tourna de nouveau le dos aux policiers et contempla son œuvre.
Elle avait encore du mal à se l'avouer mais elle venait de comprendre les vraies motivations du tueur.

- Votre question est stupide, lieutenant. Bien sûr qu'une personne a pu la déposer dans mon sac, vu qu'elle y était. Et tout le monde est suspect jusqu'à preuve du contraire.

Amélia entendit Lemoine souffler de mécontentement mais ne réagissa pas.

- Je vais affecter deux officiers à ta protection, dit Lemoine en sortant son téléphone de la poche de son blouson.

- Ça ne sert à rien. L'Écorcheur ne me veut pas de mal. Il veut juste "jouer", il le dit lui-même. Au jeu du chat et de la souris. Et pour l'instant, tel qu'il nous l'indique, il a plusieurs coups d'avance.

- Et qu'est-ce que tu comptes faire? Le laisser nous mener en bateau? Le laisser te narguer pendant qu'il assassine d'autres femmes? Enragea son mentor.

- Pour l'instant, oui.

Elle lança un regard à ses interlocuteurs.
Lemoine avait l'air furieux, une veine battant rageusement sur sa tempe, tandis que Bourgeaus avait l'air épuisé de celui qui porte le poids du monde sur ses épaules. Seul Vallée semblait imperturbable, gardant un visage fermé et inexpressif.

-  C'est bien mon rôle, non? Demanda Amélia à Lemoine.

- Ton rôle, c'est de trouver qui est cet enfoiré, pas de rentrer dans son manège! Fulmina l'homme.

Amélia se leva et ouvrit la fenêtre pour fumer une cigarette.
La suite de la conversation allait lui demander le peu de courage qui lui restait. À vrai dire, elle était terrifiée par ce qu'elle venait de découvrir.

- Peux-tu me rappeler où les corps ont été retrouvés? Demanda-t-elle tout en tirant sur la tige.

- Quoi? Je ne vois pas le rapport!

- Répond à ma question s'il-te-plait, ordonna Amélia qui tentait de rester calme.

- Ok. Le premier corps a été découvert dans un terrain vague, à Mesnil-Esnard, une ville de l'agglomération rouennaise. Le deuxième a été retrouvé dans la même ville, cette fois près d'un lycée privé catholique. Le troisième, dans le quartier de la croix-de-pierre à Rouen, et le quatrième, à Sotteville-les-rouen. La dernière victime a été découverte dans le quartier Saint Sever, pas loin de...

Lemoine s'interrompit et dévisagea la jeune agent. Il n'était pas sûr de comprendre où elle voulait en venir et l'incertitude se lisait sur son visage.
Son expression indiqua à Amélia qu'il n'était pas au courant et qu'il ne l'avait donc pas conduite volontairement dans un guet-apens.

- Qu'est-ce que ça signifie? Demanda le policier, en déglutissant.

De toute évidence, il appréhendait la réponse de sa collègue.
Bourgeaus et Vallée regardaient la scène, perplexes, ne sachant pas ce que ni l'un ni l'autre attendait.
Amélia inspira une longue bouffée sur sa cigarette avant de prendre la parole.

- J'ai grandie à Mesnil-Esnard. J'y ai passé mon bac dans le seul lycée privé catholique de la ville. J'ai également vécue dans le quartier de la croix-de-pierre et à Sotteville-les-rouen, dans le cadre de la mesure de protection de mineur. Et le dernier cadavre a été retrouvé près du magasin où a eu lieue la prise d'otages de Prévert.

Amélia alluma une autre cigarette avant de poursuivre, ce qui lui demanda plusieurs secondes, le temps de contrôler le tremblement de ses mains.

- Avant mon entrée au FBI, j'étais ronde, j'avais quelques kilos en trop. Mon entraînement en tant qu'agent m'a permis de perdre du poids. Ça correspond avec le changement de morphologie des victimes. Les meurtres ont commencés il y a cinq mois, peu de temps après les attentats de Boston et ma reprise du travail. Ça a du être l'élément déclencheur pour lui. Il a atteint le summum de sa colère avec la dernière victime parce que c'est celle qui me ressemblait le plus physiquement: brunes, les yeux marrons, la peau mate, des origines maghrébines. Et les viols, c'est un message qu'il m'adresse personnellement, pour être sûr que je comprenne ses intentions.

- Et les peaux qu'il prélève? Se risqua à demander Bourgeaus.

- C'est sa signature, un trophée qu'il garde de ses victimes pour revivre ses crimes. Je suis désolée, mon profil était totalement erroné, je nous ai induit en erreur.

Un silence s'installa, chacun essayant d'assimiler les propos de la jeune femme.
Lemoine le brisa, incertain de ce qu'il allait dire.

- Mais... pourquoi il voudrait s'en prendre à toi? Et comment connaît-il ton identité et ton passé? Tu as changé de nom, je te rappelle! Tu n'es même pas censée être sur cette enquête!

- Il est en colère contre moi et j'en ignore les raisons. Mais je ne crois pas qu'il veuille s'en prendre à moi. Il utilise des méthodes différentes à chaque meurtre pour qu'ils soient uniques. Pour semer la confusion et attirer l'attention. Mon attention. Il savait que s'il s'en tenait à un schéma précis, régulier, personne n'aurait eu l'idée d'avoir recours au profilage, et à moi, par conséquent. Il nous considère comme des... alter-égo. Je pense qu'il a dû subir lui-aussi des abus durant son enfance et...

- Comment ça, "lui-aussi"? La coupa Bourgeaus.

Pour toute réponse, Amélia lui lança un regard noir. Elle détestait qu'on lui coupe la parole et elle n'avait aucune envie et encore moins la force de s'étendre sur le sujet à ce moment précis. Elle s'adressa de nouveau à Lemoine.

- J'ignore comment il a pu récolter autant d'informations à mon sujet mais le fait est qu'il les as.

Lemoine sembla réfléchir un instant puis se résigna, affichant un air dépité.

- Ok... Qu'est-ce qu'on fait maintenant?

- On le laisse jouer. Peut-être qu'il va se trahir en dévoilant ses sources sur mon histoire et on pourra remonter jusqu'à lui. En attendant, on recoupe la liste des étudiants avec ceux qui ont déjà un casier judiciaire. Il a sûrement déjà eu des condamnations pour des faits mineurs: vols, vandalisme, pyromanie... Ça nous permettra de réduire le nombre de suspects. Je pense qu'il va continuer à m'adresser des lettres, mais il n'entrera pas en contact physiquement avec moi, ça lui ferait prendre de trop gros risques. Un psychopathe se repère facilement, même dans une foule. Donc de mon côté, je vais continuer à observer les comportements étranges des étudiants à mon égard. On finira par coincer ce malade.