Février-Mars 2013

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Nous reprenons chacun le chemin des études après un réveillon du jour de l’an avec une partie de nos amis d’enfance, où les questions fusent sur notre nouvelle relation, sur Caro aussi, suite à plusieurs mois de silence et d’absence de notre part, faisant de nouveau ressurgir ce sentiment de vide en moi. Vide que malgré ces deux semaines de vacances j’avais du mal à supporter, même en ne me laissant que très peu de temps libre pour y penser. Vide qui se fait encore plus profond avec le retour à nos études et leur rythme effréné, et plusieurs semaines sans pouvoir se retrouver.

- Allo Juss?

- Coucou ma puce…

- Ça va pas?

- Tu me poses la question? Sérieusement? Je t’ai proposé de venir passer le week-end chez toi pour fêter la Saint Valentin, même en retard, sans aller au resto, pour te laisser le maximum de temps pour bosser, t’as refusé et tu me demandes si ça va?

- Je suis désolée… J’ai pris du retard… J’ai été malade la semaine dernière, et j’ai loupé deux jours de cours…

- Je sais… Mais… Putain Clems… C’est dur en ce moment pour moi et te voir, passer un peu de temps avec toi m’aurait fait du bien… Les petits sont en vacances en plus, j’ai pas de cours de soutien à donner samedi…

- Mon coeur… C'est difficile pour moi aussi, c’est notre première Saint Valentin tous les deux…

- Ça devait être…

- Ouais… Écoute, laisse-moi les deux week-ends suivants s’il te plait, jusqu’au neuf mars… Promis, je viens passer le week-end en Avignon avec toi pour ton anniversaire…

- T’as intérêt…

- Je suis désolée… Je t’aime Justin… Je veux pas que tu souffres à cause de moi, je fais pas exprès… C’est juste que… J'aime déjà ce métier… Et c’est vraiment ce que je veux faire, je peux pas me planter Justin…

- Je sais, j’ai compris… Je t’aime aussi Clémence… Mais…

- Non, Juss, y’a pas de mais!

- Pardon… A plus…

Je n’ai pas attendu sa réponse, pas voulu qu’elle m’entende fondre en larmes, je n’ai pas voulu l’accabler plus qu’elle ne s’accablait déjà elle-même.

Je sais que ce n’est pas de sa faute, qu’elle veut absolument réussir ses études et je ne lui en veux même pas un tout petit peu. Mais je me sens au bout de ce que je peux supporter, j’ai besoin de la voir, besoin de l'avoir à mes côtés, de la serrer contre moi, de l’embrasser… Besoin d’une compagnie, d'être entouré, mais la seule compagnie dont j’ai envie, c’est la sienne.

Avec le froid et le mauvais temps qui se sont installés depuis le début du mois de janvier, j’ai pris l’habitude de passer une grande partie de mes samedis à la bibliothèque universitaire, plutôt qu'à l'extérieur ou chez moi, où la lumière naturelle manque cruellement à cette saison.

J’aime l’odeur de livres qui y flotte et le calme qui y règne me permet de bosser sans être dérangé, chez moi, les voisins sont parfois bruyants, j’ai toujours quelque chose qui me distrait et nos photo, qui trônent sur la console sous la télévision me rendent triste…

Après cette discussion avec Clémence, nos échanges se sont faits moins fréquents la semaine suivante, l’entendre ou la voir me déprime un maximum et je termine systématiquement nos appels en pleurs, j’ai besoin de prendre du recul, de réfléchir sur la direction dans laquelle nous mène notre relation.

Bien sûr que je l'aime toujours, je l’aimerais toujours, c’est indéniable, on se l'est promis, “À la vie, à la mort”, mais la distance, l’éloignement, sont difficiles à supporter pour nous deux, je sais qu’elle est triste elle aussi de ne pas pouvoir me voir, nous en avons discuté souvent, mais nous ne sommes pas totalement responsables. Elle a choisi des études difficiles, qui demandent beaucoup d’investissement et de temps, et si je n’avais pas foiré mon bac, nous serions certainement ensemble à l’heure qu’il est.

J’en suis là, perdu dans mes pensées, les yeux brillants des larmes qui ne veulent plus couler, lorsqu’une voix me tire de mes rêveries.

- Salut?

- Salut…

Je réponds en marmonnant, sans lever les yeux des notes que je suis en train de corriger.

- Je te dérange pas?

- Non, pas de soucis…

- Je peux m’installer?

- Bien sûr… Vas y…

- Heu…

Je jette un œil à la table encombrée.

- Ah pardon… Je te fais un peu de place…

- Merci… Hey! Ça va?

- Ouais ouais…

- C'est pas l’impression que tu donnes…

- C’est rien de grave… Ça passera…

- Je suis pas sûre… On s’est bien rendu compte que t’allais pas fort depuis quelque temps…

- On?

- Oui, la bande avec qui je traîne… Tu sais, c’est pas parce que tu restes tout seul dans ton coin, que tu semble fuir toute compagnie humaine, que tu nous dis à peine bonjour ou au revoir, qu’on n’a rien remarqué…

- C’est sympa, mais j’ai pas besoin qu’on s’inquiète pour moi…

En fait si, j’en avais besoin, mais j’en avais pas envie, pas envie de devoir déballer mes états d'âmes, mes galères, mon histoire.

- Si jamais tu changes d’avis, tu sais que je suis là… Enfin qu’on est là…

- C’est gentil…

Même si je n’ai pas levé les yeux humides de mes notes, je sais qui ils sont, une petite troupe d’étudiants, toujours fourrés ensemble, toujours joyeux, un peu comme je l’étais à l'époque du lycée, avec Caro, Ingrid, Julien et les autres… Soudain les larmes coulent, en silence, et pour la première fois, depuis longtemps, je ne les retiens pas, me contentant de fermer mon cahier, d’écarter les feuilles de notes qui trainent et de poser mon visage sur mes bras croisés.

Une main se pose sur mon épaule.

- Justin? C’est ça?

- Oui…

- Tu vois bien que ça va pas…

- C’est si évident?

- T’as vraiment pas envie d’en parler?

- Envie? Pas vraiment… Besoin? Je crois bien… Mais pas ici…

- Au Sam’s autour d’un café?

- Ok, mais je t’invite… Heu…

- Caroline…

- Ah…

Ce prénom, prononcé d’une manière si naturelle, me fait l’effet d’un direct à l'estomac.

- Y’a un souci?

- Je t'expliquerai toute à l’heure, désolé…

Je comprends immédiatement qu’elle veut juste m’aider, entendre les raisons de cette lueur sombre qu’affichent mes yeux, quand je suis ici, loin de Clémence et j’ai, à ce moment précis, besoin d’une oreille attentive. Nous avons quitté en silence la BU, l’enceinte de l’université, pour passer la porte Sainte Marthe, traverser le Boulevard Limbert et nous asseoir à l'intérieur du café, devant deux tasses fumantes, un café long pour elle, un thé noir aux agrumes pour moi.

Ici, je lui ai déballé toute mon histoire, comme ça, en m’excusant régulièrement de lui imposer ça, Clémence, Caro, ma dépression, re-Clémence et ces mois difficiles depuis la rentrée.

- Je comprends mieux ta réaction toute à l’heure quand je t’ai dit mon prénom et ton état aussi… Tu vois que t’avais besoin de parler à quelqu'un.

- Je suis désolé de t’emmerder avec ça… C’est juste mes histoires, ça concerne que moi…

- Ben… Plus maintenant…

- Te sens pas obligée Caroline… C’est déjà gentil de ta part de supporter ça… Alors…

- Je me suis pas sentie obligée, Justin, j’ai bien compris que quelque chose clochait et j’ai eu envie de t’aider… Rien qu’en te voyant, on devine que t’es un mec bien, t’as l’air gentil, drôle, c’est dommage de pas partager ça…

- J’ai pas vraiment la tête à ça tu sais…

- Pourquoi? Tu ne peux pas voir la fille que tu aimes quand t’en as envie, alors profites-en pour traîner avec nous, passer du bon temps, te changer les idées, t’amuser, te faire de nouveaux amis. Tu profiteras d’elle la prochaine fois que vous vous verrez… C’est tout… Cet après-midi, on se fait une toile, viens avec nous…

- Je sais pas…

- On est tous célibataires, déjà ça change les idées, puis ça te coûte rien d’essayer…

- Ok… Juste pour te remercier…

- Super, on se rejoint là-bas?

- Je sais pas… Tu crèches où?

- Route de Lyon, en face du cimetière et toi?

- Rue petite Franche, pas loin de la rue Thiers…

- Oui je connais, y’a plein de salles de théâtre dans le coin… Quatre ou cinq au moins… Je passe te chercher… Vers quatorze heures?

- D’accord. Je te laisse mon numéro et tu m'appelles quand t’es devant…

- Ok… A toute à l’heure Justin…

- A toute à l’heure Caroline… Merci…

Je me demande encore comment j'ai réussi à prononcer cette phrase sans me laisser submerger par mes émotions. Je voulais bosser toute la journée à la BU, mais je crois que passer l’après-midi avec des gens me ferait vraiment du bien.

J’ai vu juste pour une fois…

Je passe une excellente après-midi en leur compagnie. Ils avaient choisi d’aller voir Hitchcock le biopic de Sacha Gervasi sur le maître du suspense, qui raconte son combat contre les réalisateurs de l’époque pour tourner Psychose.

Caroline et quelques autres me raccompagnent jusqu'à mon studio et nous nous donnons rendez-vous le lundi en cours.

Finalement je dois dire que l’idée était bonne, sortir, voir du monde, me remonte un peu le moral, n'efface pas l’absence de Clémence, mais j’arbore un certain sourire quand nous partageons un moment en visio en début de soirée. Je lui raconte cette journée, et elle en profite pour m’encourager à renouveler l'expérience le plus souvent possible.

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