La lutte

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Rose regardait le corps inerte de son compagnon. Ce dernier avait repris une forme presque humaine, mais baignait dans une mare de sang et son pouls était lent. Elle se releva et s’approcha de lui, ne pouvant oublier cette image, effrayante, de bête féroce. Angoissée, la jeune femme l’appela doucement, espérant observer un mouvement, mais il ne bougeait plus. Sa tête était enfouie dans la boue et ses longs cheveux étaient collés sur son dos meurtri. Il fallait agir, sinon elle allait le perdre. Rose retourna au campement récupérer sa gourde d’eau. À son retour, elle s’agenouilla prés de lui et la lui tendit.

- Aaron ? C’est de l’eau ! Dit-elle tremblante de peur.

Il ne bougeait pas. N’obtenant aucune réponse, elle versa la gourde sur les plaies. Mais hélas, n’observa aucune réaction. Pourtant, c‘était bien de l’eau qu’Aaron avait versée pour guérir ses blessures. Rose remua sa main, espérant le réveiller, mais il restait inanimé. Alors, le prenant dans ses bras, elle le secoua énergiquement, le suppliant de se redresser, mais Aaron restait immobile. Le plonger dans l’étang était certes une bonne solution, mais il lui manquait la force pour le traîner jusque-là.

- Aaron, je suis impuissante sans votre aide.

Les pupilles d’Aaron étaient figées, vitreuses et ternes. Était-il en train de partir ?

Rose ne pouvait s’y résoudre. Elle le secoua de nouveau, criant de ne pas la laisser là. Des larmes coulaient le long de ses joues, il semblait s’en aller, doucement, devant elle. Dans un dernier espoir, elle défit sa cape et la posa au sol pour y faire glisser le corps et le tirer. Ses pieds s’enfonçaient dans la boue et l’attelage de fortune commença à bouger. Rose reprit sa respiration et continua à tirer de toutes ses forces, mais l’étang était à plus de cinquante mètres. Le tissu lui écorchait la peau et son sang ne tarda pas à couler. Elle supplia le ciel de lui venir en aide, Aaron ne devait pas périr là.

Assise dans la boue, Rose tirait son ami entre ses jambes. Mais ses forces l’abandonnaient. Elle s’arrêta et se pencha sur son corps, en pleurant à chaudes larmes. Aaron ouvrit, enfin, les yeux et se redressa avec beaucoup de difficultés.

- Rose, l’étang, vite !

- Je n’y arrive pas, Aaron… Vous êtes trop lourd ! Répondit-elle en larmes.

Aaron prit une grande inspiration puis se mit à genou, avant de se relever lentement. Rose le soutint de son mieux. Dans un dernier espoir, ils avancèrent, clopin-clopant. Aaron souffrait, mais tenait bon, il devait s’immerger au plus vite. Dix mètres, Aaron tomba à genoux. Rose le souleva, lui ordonnant de ne pas abandonner et ils se remirent en marche. Le corps d’Aaron se détériorait. Ses joues se creusaient et ses muscles s’atrophiaient. Rose le secoua, il ne devait pas faiblir, ils arrivaient devant les roches qui surplombaient l’étang, mais Aaron s’effondra. Rose partit en courant rechercher sa cape et revint aussi vite que possible pour l’enrouler dedans. Elle essaya de le hisser, cette fois-ci, sur les pierres. Après plusieurs échecs, le corps fini par basculer dans l’eau et disparu dans les profondeurs de l’étang.

Rose resta un long moment à examiner la surface, sans observer aucun remous, aucune bulle. Paniquée, elle plongea à son tour et du bout des doigts, tâtonna le fond, espérant retrouver le corps de son ami. Mais le manque d’air l’obligea à refaire surface. C’est alors qu’au loin, une tête émergea, puis tout un torse. Merveilleux, Aaron avait encore une fois survécu à ses profondes blessures. Elle se releva et courut de l’autre côté de la berge. Aaron respirait rapidement et ses mains tremblaient, mais il sortit de l’eau, essora ses cheveux et repartit au campement sans lui adresser la moindre parole. Il prit quelques branches mortes, les mit dans le foyer puis alluma le feu. Rose prit place en face de lui tout en se frottant ses mains endolories. Ils n’échangèrent aucun mot. Aaron pensait que Rose devait être terrifiée d’avoir vu sa forme réelle.

- Je comprends maintenant, pourquoi le diable porte des cornes ! Dit Rose sans le quitter des yeux.

- Je ne suis pas le diable, Rose.

- Je sais ! Mais pourquoi s’est-il enfui ?

- Je suis bien plus fort que lui. Nos pouvoirs se décuplent lorsque nous reprenons notre réelle apparence.

Rose soupira fortement, cette révélation lui fit froid dans le dos. Elle n’avait pas encore tout vu. Voyant son ami amaigri, elle récupéra les lacets de sa robe, prit une de ses sacoches et partit dans le bois. Aaron s’approcha un peu plus près du feu afin de se sécher en la regardant s’éloigner.

Un long moment plus tard, Rose revint avec deux lièvres accrochés à chaque bout de ses lacets. Elle sortit son couteau et les dépeça.

- Pourquoi tous les poissons sont morts ? Demanda-t-elle en embrochant son gibier.

- Esios a ouvert la porte des calamités, ce n’est qu’un petit aperçu de ce qu’il va se passer.

- Pourquoi fait-il cela ?

- Je vous l’ai déjà dis, Rose, je n’en sais rien.

Tous deux étaient mal à l’aise. Aaron fatigué de son combat avec Esios et Rose après avoir vu sa véritable apparence. Heureusement, l’odeur agréable du lapin à la broche commençait à embaumer l’atmosphère, leur ouvrant, un peu plus l’appétit.

Aaron avait les yeux rivés sur les flammes, pensif, réfléchissant au projet d’Esios.

- À quoi pensez-vous Aaron ?

- J’essaye de saisir le changement d’attitude d’Esios. Voilà bien longtemps, dans la Grèce antique, les peuples adoraient les dieux de l’Olympe. Jusqu’au jour où, trop fiers et orgueilleux, ils décidèrent de s’en affranchir. Zeus, roi de l’Olympe, pris la décision de les sanctionner. C’est là qu’Esios descendit sur terre pour préserver ceux qui étaient restés fidèles aux Dieux. Il les regroupa et ils entreprirent un long et laborieux voyage vers des terres lointaines. Esios jeta son dévolu sur une île où fut crée la cité de la paix, vouée à la science, aux arts et à l’adoration des dieux de l’Olympe. Cette citée fut appelée, par la suite, Esios en souvenir de son bienfaiteur. Afin de s’assurer de leur dévotion, une autre élite fut envoyée à Esios, et ce dernier ne l’a pas supporté. Sa réaction vindicative, lui a valut une déportation aux confins de l’univers.

- Alors il s’agirait d’une vengeance ?

- Probablement !

- Mais comment a–t-il fait pour revenir ?

- C’est moi qui ai ouvert la porte de cette dimension pour y expédier les âmes en perditions. Esios en a profité pour se faufiler et revenir sur la ceinture d’Orion.

- Je ne comprends pas, Aaron.

- La ceinture d’Orion est notre fief, en quelque sorte, c’est là que nous résidons. Je suis le portier, Rose. C’est moi qui envoie les âmes sur les différentes terres. Je ne décide pas de leur destination, cette décision appartient à notre seigneur.

- Comment vous déplacez-vous ?

- Ce sont les apôtres qui bénéficient de ce don. Ce sont des espèces de couloirs, ou des tunnels pour faire simple.

Rose fronça les sourcils, essayant de saisir leur mode de fonctionnement. Elle découpa les lièvres et attribua une part appréciable à Aaron.

- Je crois que je ne comprends pas tout. Si les apôtres sont les seuls à pouvoir vous déplacer, comment Esios a pu le faire sans leur accord ?

- Ce n’est pas si simple. Le tunnel que j’ouvre, lorsque je dois envoyer des âmes vers une autre terre, est suffisamment large pour qu’une élite puisse passer. Je suis le seul à le faire, comme mes dons sont bien plus puissants que les autres, les apôtres m’ont nommé à ce poste. Mais j’ai l’obligation de détourner mon regard, pour ne pas voir qui s’en va.

Rose restait silencieuse, s’efforçant d’assimiler toutes ces informations. Elle n’arrivait pas à décrocher son regard d’Aaron. Tant de questions, sans réponses, se bousculaient dans sa tête.

- Pourquoi ne vous êtes-vous pas transformé plus tôt ?

- Je craignais votre réaction.

- Vous avez une mission, Judas vous impose de la mener à terme, et vous laisser Esios perpétrer ces atrocités, uniquement par crainte de ma réaction ? Lança-t-elle furieuse.

- Vous avez eu peur, n’est-ce pas ?

- Bien entendu que j’ai eu peur, j’étais terrifiée, et je le suis toujours ! Mais l’arrêter doit-être votre seule priorité. Vous n’avez pas à tenir compte de ce que je ressens.

- Vous avez raison Rose. À présent, nous devons repartir.

Il enfila sa chemise et envoya sa cape sur ses épaules. Rose éteignit le feu et constata la disparition des chevaux. Aaron leva les yeux au ciel, à pied, il lui sera plus difficile d’accomplir sa mission. Mais ils devaient retrouver Esios avant qu’il commette d’autres méfaits.

Ils marchèrent le reste de la journée vers le sud. Aaron s’arrêtait régulièrement afin de repérer, en vain, des traces du passage d’Esios. Arrivés devant une grande cité, ils décidèrent de s’y arrêter pour dîner et s’approvisionner en vivre. Avec ses galets dans la main, Aaron se présenta devant l’aubergiste. Il en déposa trois sur le comptoir et le fixa bien dans les yeux. Il fit quelques gestes de la main et l’aubergiste s’empressa de leur indiquer une table près d’une fenêtre.

- Je n’aime toujours pas ce tour de passe-passe ! Dit Rose en prenant place sur une chaise.

- Nous n’avons pas le choix, et ce ne sont pas deux écuelles qui vont le ruiner.

Le serveur déposa deux assiettes de ragoût ainsi qu’une grosse panière de pain et leur proposa du vin. Mais Aaron préféra une cruche d’eau bien fraîche.

Rose regardait les passants à l’extérieur. La rue était bondée, des tas de marchants ambulants se bousculaient pour avoir la meilleure place.

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