Chapitre 2 - Suhua

6 minutes de lecture

1er septembre – 11 heures 32

Kyoto

Évidemment, qui dit « mariage » dit « tenue appropriée ».

Ce sont les mots de Felix, pas les miens.

Il a donc insisté pour qu’on sorte cet après-midi pour aller se chercher des vêtements. Je me retiens de lui rappeler qu’il a deux pièces entières consacrées à ses vêtements, si on ne compte pas la commode en bois dans notre chambre.

- J’aimerais bien un hanfu, annoncé-je tandis que nous entrons dans une boutique de luxe (bien évidemment).

Felix tourne la tête vers moi, les yeux pétillants.

- Bonne idée, dit-il.

Étant taïwanaise, et que cette île a un passé commun avec la Chine, je suis assez attachée à mes origines et aime beaucoup la culture chinoise. Les hanfus sont un peu l’équivalent des kimonos au Japon et des hanboks en Corée, mais je suppose que je n’ai pas à l’expliquer à mon petit ami.

Felix me détaille du regard, la mine concentrée. Il plisse un peu les paupières, secoue la tête légèrement, entrouvre les lèvres, et je comprends qu’il essaye de trouver quel type de hanfu m’irait bien, ainsi que les bonnes couleurs.

- Si je trouve ce que j’ai en tête, tu seras so beautiful, affirme-t-il, des paillettes dans les yeux.

- Un : pourquoi tu parles anglais ? Deux : je serais moche si tu ne trouves pas ?

- Je m’entraîne pour la buddymoon au Royaume-Uni. Et non, tu ne seras pas moche. Je me comprends.

Je souris avant d’observer les différentes tenues du magasin à la recherche de vêtements pour mon petit ami. Étant donné que le blanc lui va bien, je pencherais plutôt sur un costume de cette couleur…

Je tombe sur une chemise d’un blanc un peu cassé avec un col en V plutôt petit mais qui pourrait être assez sexy si on laissait quelques boutons ouverts. Une cravate noire un peu défaite est cousue au col.

Oh, c’est parfait.

Je pars à la recherche d’un pantalon noir pour l’accorder avec la chemise. Oh, et je verrais bien des boucles d’oreilles à clip asymétriques en argent, assez discrètes… Et des bagues en argent, aussi…

Je disparais dans le magasin à la recherche de tout ça, et quand je reviens vers Felix, il hausse un sourcil avant d’observer très attentivement les vêtements et les bijoux avant de lever son pouce.

- C’est bien. Mon talent pour l’esthétisme commence à déteindre sur toi.

Il m’ébouriffe les cheveux avant d’attraper délicatement les vêtements pour aller les payer.

Ensuite, nous quittons le magasin à la recherche d’une boutique traditionnelle pour trouver un hanfu. Nous déambulons dans les allées du centre commercial en observant chaque commerce, et je sens Felix m’attraper discrètement la main puis la serrer. Ses doigts sont gelés, mais je ne fais aucun commentaire.

Nous finissons pas trouver une boutique chinoise et nous y entrons.

- Oh, regarde. Des bracelets comme les nôtres.

Felix me désigne une paire de bracelets de couple en fil rouge, qui rappelle la légende asiatique du fil rouge du destin.

Mon petit ami et moi en avions acheté il y a trois ans, au quartier chinois de Nagasaki. Je le porte tous les jours, et lui aussi, même si la plupart du temps il est dissimulé par ses manches longues.

- Ça me rappelle l’époque où on était jeunes, soupiré-je.

- Wow, t’abuses. On est encore jeunes.

- Moi oui, mais pas toi.

- Non, mais arrête !

Felix pince ma taille et je le regarde mal. Je fais semblant de détester ça, alors qu’en réalité ça m’amuse autant que lui.

Mon petit ami observe chaque tenue en marmonnant « non, c’est pas tout à fait ça », ou encore « c’est presque parfait, mais ça manque de petites broderies en fil d’argent sur l’ourlet des manches... ». Ça me tue de le voir aussi investi dans l’achat d’une tenue que je ne porterai qu’une fois.

- Quelle horreur… Qui a eu l’idée de marier du jaune et du rouge ? C’est beaucoup trop voyant, ça manque de couleur froide pour adoucir un peu… Non mais n’importe quoi…

Je ris doucement tandis qu’il continue de se plaindre, et que la vendeuse le fixe, interloquée, voire vexée… J’espère que ce n’est pas elle qui a cousu les vêtements…

- Tiens, essaye celui-ci, me lance mon petit ami en tendant vers moi un hanfu d’un rouge grenat aux arabesques dorées.

Je le saisis et me dirige vers les cabines, où je remplace mon jean et mon pull par la robe fluide. Je l’enfile puis m’observe dans le miroir.

Il me faut l’avis du spécialiste…

J’ouvre le rideau. Felix croise les bras et penche la tête sur le côté, étudiant ma silhouette. Au bout d’un moment, il secoue la tête.

- Les couleurs sont un peu sombres… Et le hanfu est trop large… Il faudrait en prendre un qui te serre à la taille puis qui s’évase, étant donné que tu as une silhouette mince…

Mon petit ami plisse les yeux et s’humecte les lèvres, concentré.

- Comment tu te sens ? Tu es à l’aise, dedans ?

Je secoue un peu la tête.

- En général, oui. C’est juste que ma poitrine est compressée, ça va être dur de respirer.

Avec un regard purement analytique, ses prunelles glissent sur ma poitrine qu’il observe avec concentration, marmonnant des choses inintelligibles. Ses lèvres sont légèrement pincées et orientées vers la droite, signe qu’il réfléchit profondément.

Il finit par planter son regard dans le mien.

- Ok, je pense voir quel type de coupe il faudrait. Rhabille-toi, je reviens.

Je souris et referme le rideau pour remettre mes vêtements. Je replie soigneusement le hanfu en attendant que mon petit ami revienne.

- Je peux ouvrir ? demande-t-il pile à ce moment-là.

- Ouaip.

Le rideau glisse et je remarque ses mains vides.

- Tu voudrais quoi, en fait ? Comme couleurs, par exemple ?

- Je ne veux pas que ça soit trop voyant.

- Des couleurs pastels ?

- Par exemple.

- Ok.

Felix s’éclipse à nouveau puis revient avec une tenue magnifique et plutôt légère. Je l’essaye, même si je pense déjà savoir que c’est la bonne.

* * *

Je tire sur la manche de Felix alors que nous continuons notre promenade.

- Quoi ?

- Regarde !

Je désigne un stand de donuts spéciaux. Il y en a des roses, des multicolores, des chocolatés… Rien que voir ça me met l’eau à la bouche…

- On n’a pas encore mangé le repas du midi.

- Le dessert, c’est meilleur. Il faut toujouuuurs commencer par le dessert. Imagine une météorite percute la planète pendant ton repas : tu n’auras pas eu le temps de manger ton dessert. Alors que si tu le fais avant le plat…

- Tu es complètement folle, soupire-t-il.

Pourtant, nous nous dirigeons vers le stand de donuts. Je les observe tous attentivement, à la recherche de celui qui paraît le meilleur. Mes yeux se posent sur l’une des pâtisseries toute violette claire, avec des petits Marshmallows dessus, ainsi qu’un coulis au chocolat, des vermicelles de sucre multicolores et du sucre glace.

Felix choisit celui au citron (ça m’aurait étonnée…), avec de la crème Chantilly, un fourrage citron-meringué et des pépites de chocolat.

Nous nous éloignons du stand après avoir acheté les donuts et nous nous asseyons sur des sièges en cuir.

- Je vais prendre quinze kilos juste en mangeant ça…

J’oublie parfois qu’il a été boulimique, parce que nous en avons à peine parlé. C’est un sujet qu’il ne veut pas aborder, et il dit que ça ne sert à rien de ressasser le passé, mais quand je vois ses réactions face à de la nourriture très calorique, je me demande si c’est vraiment terminé.

Peut-on réellement guérir des troubles du comportement alimentaire ? Je suis sûre qu’on garde des séquelles. De plus, la boulimie de Felix n’avait pas été traitée… Il était ado, il n’en a parlé à personne…

- Mais non ! Allez, mange.

Felix sourit et croque dans le donut.

En plus, il est tellement heureux quand il mange… Ça me fait trop de peine de penser qu’il s’imposait des régimes extrêmes après avoir cédé à la tentation de la nourriture… J’essaye de le visualiser à quatorze ans, en train de simuler des maladies pour ne pas manger ou encore de se tuer à faire du sport alors qu’il n’avait rien ingéré depuis des heures… Il a même fait un malaise…

Je me mets à le regarder avec inquiétude. Je veillerai à ce qu’il ne fasse plus rien de semblable.

- Tu ne manges pas ? demande-t-il.

- Hein ? Si, si.

- Si tu n’en veux pas, je mange ta part, hein. Ça ne me dérange pas.

Je plisse les yeux et éloigne le donut de lui.

- Pas touche !

- Ok, ok !

Felix se lèche le bout de l’index où de la crème au citron s’est déposée, puis il finit sa pâtisserie en trois bouchées.

- Ça m’a donné faim ! s’exclame-t-il.

- Alors, allons au resto ! proposé-je en sautant sur mes jambes.

- Ohhh, j’ai envie de manger italien ! Genre, des pâtes à la carbonaraaa !!!

Je souris. J’aime bien quand son côté enfantin ressort. Il est plus vieux que moi, mais beaucoup moins mature par moment.

- Alors allons-y. Tu m’as donné envie aussi.

Un immense sourire aux lèvres, mon petit ami se met debout et m’attrape par la main pour m’entraîner jusqu’à un restaurant italien.

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