Chapitre 11

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Le lendemain, sa mère prétexta qu’elle avait quelque chose à faire dans la cuisine. Mais Paul se doutait bien que ses parents s’étaient mis d’accord afin qu'il se retrouve seul avec son père. Ce matin-là, le soleil éclatait de ses rayons dans un ciel bleu délavé, redonnant vie à la nature qui s’était endormie. Les arbres de la forêt avaient perdu la plupart de leurs feuilles. Leurs branches nues dansaient dans les rayons de lumière et dessinaient des ombres mouvantes sur le sentier qu’ils empruntaient. Paul respira profondément l’air familier de la campagne. Il regarda ses pas fouler le tapis de feuilles mortes, collées par le gel. Son père à côté de lui avançait avec une feuille de marronnier dans la bouche, à faire l’imbécile en poussant de drôles de cris quand il s’approchait de son fils. Paul secoua gentiment la tête d’un air exaspéré. Il ramassa à son tour une feuille qu’il mit à sa bouche et commença à faire le singe. Si un promeneur croisait leur chemin, il aurait droit à un spectacle déconcertant.

Paul fit la tête du singe fatigué, lâcha sa feuille et remit les mains dans ses poches. Il sentit comme un papier de bonbon oublié au fond de l’un d’entre elles. Il le retira et vit une petite feuille froissée pliée en deux. D’où sortait-elle ? Il l’ouvrit machinalement. Un numéro de téléphone. Appelle-moi quand tu veux, signé, Tom. Paul s’arrêta, cligna des yeux. Un frisson se faufila dans son dos et lui donna la chair de poule.

— Et bien, j’ai comme l’impression que mon fils a enfin retrouvé son vrai sourire.

Par réflexe, Paul cacha aussitôt son papier et baissa la tête. Puis il s’arrêta, hésita.

— Papa, dans la vie, tu fais facilement confiance ?

Son père reprit la marche en mettant les mains dans les poches de son épais gilet en laine et attendit quelques minutes avant de lui répondre.

— Vaste question mon fils. Mais laisse moi tout d’abord te raconter une histoire. Et oui, tu y as droit aujourd’hui encore, même à ton âge, dit-il en regardant son fils, habitué à ce préambule cérémonieux. Lorsque je suis entré à la fac, comme toi, je ne connaissais pas grand monde. Je n’ai jamais été doué pour lier connaissance facilement ou appartenir à une bande, par timidité, j’imagine. Pourtant, je savais bien qu’au fond de moi, il suffisait de pas grand chose pour changer la donne. Mais par confort ou stupidité, je ne sais plus, j’ai préféré rester dans ma chambre d’étudiant. C’est seulement après avoir obtenu mon diplôme, lors de mon premier job d’été, que j’ai réalisé que j’en souffrais véritablement. Les gens ne venaient jamais vers moi. Évidemment, il fallait que je me bouge et que j’aille vers eux, mais je pensais encore que j’en étais incapable. Durant ces deux mois, je n’avais pas d’autre choix que de trouver ma place parmi les autres intérimaires, puisque nous devions travailler si possible en binôme. Heureusement, cette fois-ci, un gars est venu vers moi et m’a fait confiance alors que j’avais la réputation, au bout d’une semaine, de faire cavalier seul. Nous nous sommes tout de suite bien entendus et ça m’a redonné confiance. Je me disais que finalement, ce n’était pas si compliqué que ça. Pourtant, je n’avais pas fait le premier pas. Pour lui, ça n’a pas été tous les jours une partie de plaisir, car il s’est retrouvé exclu par le groupe puisqu’il m’avait choisi, moi. À la fin de la saison, il m’a proposé de passer quelques jours avec lui en montagne, dans le chalet de ses cousins. Ça a été un séjour inoubliable. Je me souviens de nos longues excursions dans la forêt, une nuit à la belle étoile, nos baignades à poil dans la rivière qui bordait la propriété. Et oui, tu n’aurais pas imaginé ça de ton père, hein ?

Paul mit aussitôt les mains devant ses yeux en tirant la langue.

— Oh, remarque, moi non plus à l’époque. Mais tu sais, ce n’était plus le collègue sérieux et efficace, qui ne se plaignait jamais, contrairement à moi, que j’avais en face de moi. J’ai découvert une personne différente, sincère dans ses paroles, sans filtre la plupart du temps et tellement drôle. Souvent, il m’a bousculé, voire choqué dans ses propos. D’un autre côté, il m’en fallait peu, je ne connaissais finalement pas grand-chose de la vie. Non pas qu’il m’impressionnait, mais j’avais l’impression que lui, au moins, il osait. Ou plutôt, qu’il faisait des choix. Qu’ils soient bons ou mauvais, dans tous les cas, il essayait. Ce séjour a été libérateur pour moi, comme pour lui, je pense. Nous nous étions échangés nos adresses postales, avec la promesse de nous écrire. J’ai attendu un mois avant de lui envoyer une lettre. Je me souviens encore de sa longueur. Une dizaine de pages, une véritable première ! Je lui remémorais les bons moments passés ensemble et ma vie quotidienne de jeune adulte qui cherche son premier boulot. Lui écrire avait été comme une évidence et aussi une confession, comme si je parlais à un ami de longue date. J’ai longtemps attendu une réponse de sa part, mais elle n’est jamais arrivée. Au bout de quelques mois, ce n’est plus de la tristesse que j’éprouvais, mais de la rancœur. Il avait bien dû se moquer de moi en lisant ma lettre, me répétais-je. Je n’arrivais pas à expliquer son silence. Je remettais alors en question tout ce qu’il avait pu me dire, noirci tout ce que nous avions vécu ensemble. Je n’ai jamais eu de ses nouvelles de ma vie. Autant te dire que pendant de longues semaines, j’ai regretté la confiance que je lui avais donnée durant ce séjour en montagne et surtout, je me trouvais idiot et honteux de ma lettre, où je m’étais livré à cœur ouvert. Ça me servirait de leçon, me disais-je. Il m’a fallu du temps, avant d’être en paix avec ça et pour me dire que finalement, je ne regrettais absolument rien. Car au plus profond de moi, je savais que nous avions été honnêtes et sincères l’un envers l’autre. Le temps de ce séjour, nous avions été de véritables amis. Et ce n’était pas parce qu’il ne m’avait pas répondu qu’il fallait lui en vouloir.

Le père de Paul attrapa un mouchoir dans sa poche et se moucha. Paul ressenti toute l’émotion avec laquelle il lui avait raconté son histoire.

— Sages paroles, je dois retenir, vénérable maître. Méditer, je dois pour trouver ma voie, père adoré, ajouta Paul d’un ton cocasse. Il s’abaissa, les mains jointes, pour le remercier.

Son père lui ébouriffa les cheveux et le traita d’andouille de fils. Ils marchèrent un long moment en silence et profitèrent de la chaleur, presque douce, des rayons du soleil de cette fin de matinée. Ils regagnèrent le chemin qui menait à l’entrée du village et rentrèrent tranquillement à la maison.

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