Chapitre 31

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Rickie appuya sur le bouton du troisième étage qui les menait, avec Tom et Lucas, dans le service de l’hôpital où Marc avait été admis. Arrivés dans le couloir, une infirmière les salua d’un mouvement de la tête et sourit à Rickie qu’elle avait reconnu. Celui-ci entra dans la chambre en premier. Marc était allongé sur le lit, comme s’il dormait paisiblement.

— Je reste deux heures environ. Je lui tiens la main et lui raconte ce que je fais de mes journées au travail. Et c’est comme ça depuis deux semaines. Les premiers jours, je lui parlais de nous, de ce que nous avions vécu tous les deux, des bons moments, mais aussi des mauvais. J’ai beaucoup pleuré. Mais j’ai préféré arrêter, ça devenait glauque de parler comme ça, tout seul, à déverser tout ce que j’avais sur le cœur. Je trouvais ça injuste, il ne pouvait pas se défendre. C’est con comme raisonnement non ?

— Pas du tout Rickie. Venir tout seul comme ça…t’aurais dû nous prévenir dès le début. Ce n'est pas un reproche. Ça a dû être difficile pour toi. On est vraiment désolés, osa Lucas.

— Un seul à souffrir et culpabiliser, c’est suffisant, vous ne croyez pas ?

Lucas et Tom se regardèrent sans rien dire. Tom s’assit en premier sur le lit, près de Marc. Il lui prit la main délicatement.

— Tu peux lui parler si tu veux, dit Rickie qui voyait bien que Tom n’osait pas.

— Si tu le dis… Et bien… Marc… C’est Tom. Je suis venu avec Lucas et Rickie. Il nous a dit ce qui t’étais arrivé… Je suis désolé, je.... Mais il ne put finir sa phrase, bouleversé, les lèvres tremblantes. Il reposa la main de Marc sur le lit.

— Désolé, je ne peux pas, c’est au-dessus de mes forces… Il sortit précipitamment de la chambre sans dire un mot.

— Laisse-le Lucas, je comprends ce qu’il ressent. Je n'étais pas fier le premier jour où je suis venu. Heureusement que l’infirmière était là pour m’encourager et me dire ce que je pouvais faire. Je me sentais tellement démuni.

Une demi-heure plus tard, dans le hall de l’hôpital, Tom aperçut ses deux amis qui revenaient vers lui.

— Désolé les garçons…

Mais Rickie lui coupa la parole.

— Lucas vient de me dire pour ta mère. Je ne savais pas qu’elle était en maison de repos…

Tom essuya une larme qui pointait à son œil avant qu’elle ne coule.

— C’est de voir Marc allongé, ça m’a tellement rappelé les débuts, quand j’allais voir ma mère. Elle passait ses journées entières à dormir. J’ai eu l’impression que c’était elle aujourd’hui.

La neige s’était remise à tomber, doucement.

— Moi qui comptais rester encore un peu avec lui aujourd'hui, je crois que je vais repartir avec vous, annonça Rickie.

Recroquevillés dans leurs manteaux, ils arrivèrent à l’arrêt de bus. Un homme, emmitouflé dans son anorak, se leva du banc et leur dit qu’il en avait assez d’attendre. Avec toute cette neige, il n’était pas certain que le bus circule toujours à cette heure-ci. Ils n’eurent pas à se concerter pour se mettre d’accord. Ils allaient devoir rentrer à pied. Avant de revenir, Rickie leur proposa de faire un crochet par l’épicerie. C’était là que Barbara travaillait, à deux rues de l’hôpital. Ce serait l’occasion de lui faire une surprise.

*

Tom revint chez lui tel un automate. Des nœuds au ventre. Il attendit le début de soirée pour téléphoner à Paul après ses cours. Il lui raconta sa visite éprouvante à l'hôpital. À l'autre bout du fil, une voix à l'écoute. Il souhaitait rester seul quelques jours.

— Ça n’a rien avoir avec nous Paul. Je ne cherche pas à m’éloigner de toi, c’est juste l’histoire de deux, trois jours. Comme ça j’en profiterai pour aller rendre visite à ma mère.

— Je sais. Et puis je pense que ça me fera du bien aussi de me retrouver seul dans mon appart quelques jours. Il faut bien que j’entretienne ma réputation d’étudiant sérieux qui travaille sans relâche ! dit Paul prêt à tout pour lui redonner le sourire.

Tom le remercia sincèrement. Il enchaîna en appelant son père, non pas qu’il eût beaucoup de nouvelles à lui donner. Il avait juste besoin d’entendre sa voix. Après avoir dîné frugalement, il sortit pour se rendre dans le seul endroit où il pouvait réfléchir en toute sérénité. Ce soir, la neige ne tombait plus et avait laissé place au silence de la nuit. Ses pieds foulèrent, dans un crissement léger, les trottoirs d’un blanc immaculé. Il respirait à pleins poumons, imaginant absorber les résidus de particules de flocons suspendus dans les airs. Malgré la fatigue, il se sentait revigoré par cette balade nocturne. Apercevoir au bout de la rue la place du Petit Marcel, éclairée par de vieux réverbères en fer forgé, le réconfortait déjà. Il franchit la porte et alla s’asseoir directement. Tout au bout du comptoir, sur son tabouret fétiche, là où il pouvait s’adosser au mur s’il voulait. Il contemplait ainsi la salle tout entière. Sa capacité naturelle à pouvoir rester dans sa bulle au milieu des conversations. Le souvenir intact de sa première visite. Et l’habitude qu’il avait prise de choisir cette place, toutes les fois où il avait besoin de faire le point.

— Ton tabouret de médiation t’attendait sagement ! plaisanta Lucas qui effaça, d’un coup de torchon, la trace d’un verre de vin sur le marbre du comptoir.

— Pas grand monde ce soir, dis-moi ?

— Avec toute cette neige, les gens préfèrent rester chez eux, je ne peux pas leur en vouloir. Mais laisse-moi te regarder. Non, ne dis rien. Je sais exactement ce qu’il te faut.

Tom sourit devant la perspicacité de Lucas qui revint avec une tasse en porcelaine, remplie d’un chocolat chaud.

— Tiens mon cher Tom… Attends, comment ai-je pu oublier ? C’est un coup à perdre ma place !

— Merci Lucas, surtout, ne change rien, répondit Tom qui le regardait faire le pitre.

Lucas s’inclina devant lui avec une petite galette au beurre dans ses mains levées. Il en croqua un morceau, laissa fondre les fins cristaux de sel sur sa langue. Rien de plus réconfortant que d’être ici. Il se remémora la première fois où il avait amené Paul dans ce café. Son regard, à la fois perdu et curieux. Même si la soirée s’était finie tragiquement, il ne regrettait pas d’avoir osé le faire. C’était sa manière de lui faire comprendre qui il était. Il avait tant espéré ce moment. Le risque pourtant de se faire éconduire. Le Petit Marcel, son porte-bonheur. Un refuge les après-midi d’ennui, les soirs de blues. Avec la sollicitude bienveillante de Marie, l’humour espiègle de Lucas. Le Petit Marcel, son havre défendu. Y retrouver ses amis aussi souvent que possible. Aborder de nouvelles personnes. Espérer une aventure. Le Petit Marcel, son sanctuaire intérieur. Celui des premières fois. Des plaisirs interdits. Pour lui, pour Rickie, pour Marc, et tant d’autres comme lui. Pour tous ceux qui savaient qu’en ce lieu, aucun jugement n’avait sa place. Un endroit à préserver, à chérir.

Paul, ce jeune homme qui avait débarqué dans sa vie. Jamais il n’aurait cru s’attacher à lui aussi vite. Passées les premières semaines d’euphorie amoureuse, n’allait-il pas tomber de haut une nouvelle fois, comme avec les autres ? Arrête de douter Thomas. C’est toi qui est venu le chercher non ? Il savoura l’arôme de son chocolat, à petites gorgées, en regardant Lucas nettoyer tranquillement les verres et discuter avec un client à l’autre bout du zinc. Lucas, toujours prévenant. Comment faisait-il pour sourire en permanence ? Ce soir, il aurait voulu être à sa place. Mais il savait que chacun avait sa part d’ombre, son jardin secret. Celui de Lucas était bien gardé. Il avait l’impression de le connaître, depuis le temps qu’il venait ici. Et pourtant, même en réfléchissant, il était incapable de savoir s’il avait quelqu’un dans sa vie en ce moment. Lucas, un autre mystère.

Deux heures s'écoulèrent tranquillement avant qu'il ne se mette à bâiller.

— Il est temps de retrouver son lit, monsieur, lui dit Lucas en claquant des doigts devant lui, comme pour le maintenir éveillé.

Tom lui sourit, lui fit la bise avant de remettre son manteau et de partir dans le froid.

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