Chapitre 42

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Épilogue

*

La table de la cuisine était recouverte de coupons de tissus. Barbara en plia quelques-uns et fit de la place pour installer sa machine à coudre. Elle expliqua à Marianne comment elle fonctionnait, l’importance du choix des fils à coudre et l’emplacement des doigts sur la machine. Dans la pièce d’à côté, Zofia était accroupie au sol. Elle traçait les dernières lignes d’un modèle de patron pour une future robe droite.

— Tu vas voir, elle va être très belle sur toi, Marianne.

— Je ne sais pas comment vous remercier les filles. Vous êtes trop sympas, sourit elle, essuyant une larme sur sa joue.

— Ça va aller, tu vas voir ! Nous sommes là pour toi. C'est à mon tour de prendre soin de toi !

— Entre filles, on se serre les coudes, pas vrai ? Avec cette robe, ils vont tous être gobsmacked et tomber à tes pieds, ajouta Barbara.

Marianne eut un petit sourire malgré son envie de pleurer. “Ne jamais se laisser abattre” aurait dit sa mère. Assise confortablement sur une chaise, elle commença à placer un morceau de tissu sur la machine à coudre, pour son premier essai, en suivant scrupuleusement les instructions détaillées de Barbara.

Un rayon de soleil pénétra par la lucarne. Elle apporta une lumière diffuse et agréable pendant tout le reste de l’après-midi qu’elles passèrent toutes les trois à coudre, dans une ambiance féminine chaleureuse.

*

À la fin du mois de mars, Rickie eut la visite de Catherine. Lorsqu’elle arriva chez lui en fin d’après-midi, elle préférera rester sur le palier. Elle ne voulait pas le déranger et refusa poliment le café qu’il lui proposait.

— Je reviens de chez Marc. Il va pouvoir reprendre doucement ses marques. Au téléphone, j’ai enfin pu avoir son frère avec qui il était brouillé depuis des années. Il m’a dit qu’il lui téléphonerait prochainement. J’en ai aussi profité pour passer voir sa voisine et la remercier du ménage qu’elle a fait chez lui. Elle devrait être aux petits soins avec lui. Quant à moi, je crois que j’ai fait ce que j’ai pu… Je t’avoue que je suis épuisée par tout ça.

— Tu as été formidable Catherine. Je suis sûr qu’il t’en est déjà reconnaissant, répondit Rickie.

— C’est gentil à toi. Marc m’a remercié effectivement. Il m’a dit qu’il ne méritait pas de telles attentions, surtout de ma part. Il m’a avoué à demi-mot que son geste désespéré lui avait fait prendre conscience de ce qu’il était devenu. Qu’il mesurait à peine la chance qu’il avait de s’en être sorti. On a même parlé du passé, des choses qu’on ne s’était jamais dites, qu’on aurait dû se dire il y a bien longtemps. Cela faisait des années que nous n’avions pas été aussi sincères l’un envers l’autre. Ça paraît tellement cliché ce que je te dis. Que de temps perdu...

Elle sortit de son sac un paquet.

— Tiens. De sa part. J’en profite aussi pour te remercier pour tout ce que tu as fait pour lui, durant ces derniers mois, sourit-elle, malgré ses yeux mouillés.

Rickie, surpris, prit le paquet, qu’il déposa à côté du téléphone, pour la prendre dans ses bras.

— Prends soin de toi, Catherine et merci.

Fébrile, il referma la porte et vint s’asseoir sur le tapis pour ouvrir le paquet. Il fut troublé de découvrir une photographie dans un élégant cadre blanc. Elle était magnifique. Un très beau portrait. Le sien. Il revit instantanément le lieu où elle avait été prise. C’était en août, un matin, sur une plage de la côte atlantique. Marc lui avait demandé de s’asseoir et de regarder la mer, tout simplement. Pense à un de tes rêves et imagine qu’il se réalise. Il s’était prêté au jeu, sans se poser de question. Tandis qu’il regardait attentivement la photographie en noir et blanc, il s’étonna de voir le regard apaisé de ce garçon qui, à l’époque, ne l’était pas. Il était bouleversé par cette image qu’il découvrait pour la première fois.

Dans l’emballage cadeau, une petite enveloppe. À l’intérieur, une carte. Quelques mots de la très belle écriture de Marc qu’il connaissait si bien. Il les relut plusieurs fois si bien qu'ils imprègnent son esprit, dans un moment de flottement. Son pouls ralentit. Il fut parcouru d'un frisson qui se mut en un bien-être doux et chaleureux. Il sourit à ce qu’il venait de comprendre et sécha ses larmes. Il remit la carte dans l’enveloppe qu’il alla ranger soigneusement dans un tiroir. Il reprit la photographie et la contempla pendant de longues minutes. Oui, s’il y réfléchissait bien, Marc avait su admirablement capter la sérénité qui l’avait toujours habité, mais qui refusait de remonter à la surface. À cet instant, il ressentait un nouvel équilibre, au plus profond de lui. Il respira profondément. C’était peut-être l’occasion de reprendre contact avec son père et de la lui montrer.

*

Après les fêtes de Pâques en famille, Tristan retourna dans son appartement pour terminer d’emballer ses derniers cartons. Il laissa sur la table le double des clefs suspendu à un scoubidou en forme de cœur percé de deux yeux souriants. Il sortit de sa poche un petit mot qu'il déposa à côté. Marianne le découvrirait à son retour. Il regarda une dernière fois cet appartement. Le premier de sa vie. Il se revit la veille, autour de la table, assis en face de son amie, chacun avec une tasse de thé. Une discussion apaisée sans que le ton monte. Les pleurs sincères de Marianne. Son envie que les choses se passent autrement entre eux. L’espoir, en vain, de le retrouver. Accepter son départ. De son côté, il s'était surpris à être aussi serein face à elle. Il ne regrettait pas sa décision. Il lui avait proposé de rester amis, ce à quoi elle avait répondu qu’il était encore trop tôt.

Il entendit le klaxon d’une voiture dans la rue. Ce devait être Paul et Tom qui arrivaient. Le bruit de leurs pas sur le palier.

— C’est bon, t’as pu finir tes cartons ? lança Paul qui venait lui faire la bise.

Il ne leur fallut que deux allers-retours pour charger le coffre et la moitié du siège arrière de la voiture. Deux heures plus tard, ils avaient fini de vider le dernier carton, dans le studio meublé que Marie venait de nettoyer. Celui-ci se situait juste au-dessus du Petit Marcel, avec une fenêtre qui donnait sur la place.

— Comment te remercier Marie, tu me sauves la vie ! dit Tristan. Il l’embrassa.

— Non, c’est toi qui sauves la mienne. Mon locataire m’a planté il y a un mois. Je n’avais pas pris le temps de trouver une personne de confiance. Comme Tom se porte garant de ton sérieux et que tu travailles trois jours par semaine, je n’ai pas trop à m’inquiéter. Ne me regarde pas comme ça, je plaisante,Tristan ! Bon, ce n’est pas bien grand, j’espère que tu ne te sentiras pas trop à l’étroit. Le seul inconvénient, c’est le bruit des voisins d’en dessous, le week-end quand ils mettent leur musique de dégénérés ! sourit Marie.

— Attention à vous plutôt, il a de quoi riposter. Le Petit Marcel peut vite se transformer en club de jazz. Je serais vous, je lui offrirais les petits-déjeuners du dimanche matin pour avoir la paix ! prévint Paul, tout en tambourinant avec deux doigts sur le front de Tristan.

Ils descendirent un escalier étroit qui donnait directement sur une petite impasse. À l’arrière du café, par une porte située juste à côté, ils entrèrent dans une pièce qui servait de réserve et de cuisine. Marie leur indiqua la porte battante qui donnait sur le comptoir.

— Vous tombez à pic tous les quatre. Vous m’en direz des nouvelles, s’exclama Lucas. Devant lui, un alignement de cocktails, avec dans chaque verre, une paille multicolore et un petit parasol décoratif.

Tristan le regarda étonné.

— C’est mon cadeau personnel de bienvenue. Je suis tellement content que tu habites au-dessus, comme ça, je pourrai te surveiller !

— Non mais écoutez le, celui-là, j’y crois pas, répondit Marie. Elle lui tira l’oreille.

Tristan leur offrit son plus beau sourire.

— J’ai vraiment de la chance de vous avoir rencontrés !

— On verra si tu dis la même chose ce soir, après avoir fait la plonge et nettoyé le bar, plaisanta Lucas.

Ils se mirent à rire, tous en même temps, avant de s'installer tranquillement à une table pendant que Lucas retournait derrière le comptoir et que Marie se dirigeait vers la porte d’entrée pour ouvrir l’établissement à la clientèle.

*

Paul glissa la clef dans la serrure de son appartement.

— Attention, tu vas me faire tomber ! s’exclama-t-il, poussé gentiment par Tom qui l’embrassait dans le cou.

— Je ne peux pas m’en empêcher, désolé monsieur, répondit Tom amusé.

Il déposa un gros sac de voyage par terre et enleva sa veste. La pièce toute entière baignait dans la lumière du soleil de cette fin de matinée de juin.

— Tiens ! J’ai un message sur mon répondeur, s'étonna Paul.

Il appuya sur la touche pour en prendre connaissance.

Allô Paul, tu n’es pas là ? C’est une revenante...Marianne, ta vieille copine. Écoute ce message en entier s’il te plaît… C’était juste pour te dire que j’ai eu mes examens ! Non, en réalité, je t’appelais pour te proposer de nous revoir… Je voulais m’excuser pour ces derniers mois... J’ai tellement de choses à te dire et à me faire pardonner. Je te rappellerai plus tard… Ah sinon, pourras-tu dire à Tom que j’ai toujours son livre de Tennessee Williams ? D’ailleurs, c’est quelque part grâce à lui que j’ai cartonné à mon examen sur la littérature américaine. Tu le remercieras de ma part, promis ? Je t’embrasse. À bientôt, j’espère. Biiip.

— Qu’est-ce que je t’avais dit ? lança Tom.

Paul, heureux, ouvrit grand la fenêtre, s'accouda au rebord, ferma les yeux et profita longuement des rayons du soleil lui caresser le visage. Il se retourna vers Tom qui terminait de ranger un deuxième sac.

Puis d'un commun accord, ils quittèrent l'appartement, en direction du Petit Marcel. Ils y allèrent à pied profitant des premiers parfums de l'été qui s'annonçait avec quelques jours d'avance sur la saison. Sur la petite place animée du café, des tables pleinement occupées par des étudiants, enfin débarrassés de leurs examens, engagés dans des conversations légères et décontractées. Ils se faufilèrent parmi eux et entrèrent dans le café où il y faisait frais. Ils saluèrent Marie et Lucas, bien occupés à cette heure-ci de la journée. Mais le serveur posa aussitôt son plateau pour sortir de ses poches un jeu de clés. Il les lança à Tom qui les attrapa au vol. Il joignit les deux mains dans un petit salut de remerciement. Lucas lui sourit, le pouce levé, avant de reprendre son plateau en direction de l'extérieur. Paul et Tom n'eurent pas à se regarder plus longtemps pour se diriger vers la petite table vide du fond. Tom prit Paul dans ses bras qui se laissa faire sans rougir. Il resserra son étreinte, le regarda tendrement, droit dans les yeux, avant de voir son ami les fermer, attendant le baiser qu’il allait lui donner.

Fin

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