ESSAYER DE VOIR

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De la fumée partout, de la poussière qui tombe du ciel en pluie étincelante, sombre, noire et blanche. Des cris horribles, terrifiants. Des pleurs et des râles qui creusent l’os et la moelle. Des bruits de pas affolés au milieu des bruits de pierres qui glissent encore des derniers murs branlants.

La Forme tente difficilement d’ouvrir les paupières, voir derrière le sang omniprésent imprégnant la peau la chair les tissus la poussière l’atmosphère. La Forme tente d’ouvrir les paupières et de voir. A côté d’elle une femme mutilée découpée prise d’un dernier râle d’un dernier rictus à fendre le cœur. La femme cherche de l’air cherche la paix cherche sa rue son quartier son travail sa vie sa famille la femme cherche à respirer dans une atmosphère sale compacte tranchante douloureuse la femme cherche ses jambes sans savoir qu’elles ne sont plus attachées à elle sans sentir la douleur de ses membres disparus de la chair calcinée suintante, de petits jets de sang forment de longues flaques crasseuses des flaques de suie nauséabonde du sang de mineur peignant l’horreur au sol.

La femme appelle sans pouvoir émettre un son, ses lèvres boursoufflées s’ouvrent et se ferment, son œil droit crevé son œil gauche gonflé son crâne fendu ses lèvres boursoufflées qui s’ouvrent et se ferment, appelant son enfant, son œil droit qui crache son sang au rythme des battements de son cœur presque éteint, son enfant resté dans les décombres, elle vomie par la force de l’explosion. Ses lèvres s’ouvrent et se ferment une dernière fois, elle s’arrête de respirer elle s’arrête de vivre.

De la fumée partout, des retombées crasseuses noires et blanches. Partout de la fumée, partout des cris, partout des pleurs.

Le Chien s’avance dans l’épais nuage noir. Il avait fui au moment de l’explosion, il ne sétait arrêté qu’après plusieurs dizaines de mètres. Jamais il n’avait eu aussi peur auparavant. Que s’était-il passé ? Il ne le comprenait pas, comme il n’avait pas compris les trois corps entremêlés feignant la mort.

Jamais le Chien n’avait eu aussi peur auparavant. Ses pattes tremblent, sa patte avant droite saigne, il a trébuché. Jamais il n’a eu aussi peur auparavant, mais une crainte grandissante s’empare de lui. La Forme a-t-elle pu fuir elle aussi ? ou se trouve-t-elle encore dans les décombres. Et quel est son état ? Le Chien s’avance dans l’épais nuage noir avec une envie de vomir l’intégralité de ses tripes, une boule géante emplissant son corps.

Plus il avance, plus la peur grandit, plus la boule grandit, plus l’envie de vomir grandit, plus l’envie de hurler grandit.

Il a mal. Il le sent en lui. Il sent la douleur cisailler son petit cœur battant à tout rompre. Il avance dans la fumée et a peur pour la Forme.

La fumée partout, les retombées crasseuses noires et blanches.

Le Chien n’entend plus que des sons très étouffés sous ses lourdes oreilles dorées tâchées de suie et de sang.

Le Chien ne voit plus que de la fumée noire et des formes recouvertes de cendre.

Le Chien ne sent plus que l’odeur du brûlé, du bois brûlé, de la chair brûlée, des os brûlés.

Il sait simplement que, où qu’il regarde, il n’y a que souffrance et peur. Il n’y a que cendres.

La Forme, recouverte de cette cendre, est au sol, les épaules relevées. Le Chien l’aperçoit et ressent alors un immense soulagement. Il accélère pour arriver à sa hauteur.

La Forme a les yeux ouverts, dans ses pupilles se reflètent le feu qui ronge les restes du bâtiment. Mais c’est tout. Ses yeux sont ouverts comme ils ne l’ont jamais été. Ses paupières ne semblent pas cligner. Et pourtant, le Chien croit ne rien y distinguer, il est pris d’un vertige à la vue de ses yeux sans vie. Et pourtant, le Chien sait que la Forme est bien en vie ...

Il pose sa tête contre la sienne, il la pousse délicatement pour essayer d’animer son ami, sa famille. Rien autour n’a de sens et n’a d’importance. Il pousse délicatement la tête de la Forme et espère. Puis il renifle son visage sa joue, son nez.

Au contact de la truffe humide, la Forme semble regagner ses esprits, doucement. Sa main droite se lève et se pose sur l’oreille du Chien. Ses yeux cillent et viennent se poser sur lui comme s’il le voyait pour la toute première fois.

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